Project Gutenberg's Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I Publiées d'après le seul manuscrit connu avec introduction et notes Author: Various Editor: Thomas Wright Release Date: September 14, 2012 [EBook #40763] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES CENT NOUVELLES, TOME I *** Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif, Eleni Christofaki and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Print project.)
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Paris, imprimé par Guiraudet et Jouaust, 338, rue S.-Honoré, avec les caractères elzeviriens de P. Jannet.
LES CENT
NOUVELLES
NOUVELLES
Publiées d'après le seul manuscrit connu
AVEC INTRODUCTION ET NOTES
Par
M. THOMAS WRIGHT
Membre correspondant de l'Institut de France
Tome I
A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
MDCCCLVIII
Le recueil de contes publié sous
le titre des Cent Nouvelles Nouvelles
est tellement connu, que
nous croyons pouvoir nous dispenser
de parler ici de sa valeur littéraire.
Par un hasard singulier, qui ne s'explique
pas facilement, on n'en connoissoit pas un
seul manuscrit, et toutes les éditions d'un
ouvrage qu'on considère avec raison comme
l'un des modèles de la vieille prose françoise
n'ont été jusqu'à présent que la reproduction
plus ou moins correcte des éditions imprimées
dans les dernières années du quinzième siècle.
Cependant, on voit des indications assez exactes
de deux manuscrits des Cent Nouvelles
Nouvelles. Dans le Catalogue de la bibliothèque
de Gaignat, publié par De Bure en 1769,
en deux volumes in-8, nous trouvons, sous
le nº 2214: «Le livre des Cent Nouvelles
Nouvelles composées pour l'amusement du
roi Louis XI, lorsqu'il n'étoit encore que Duc
vjde Bourgogne (sic), manuscrit sur vélin, du
quinzième siècle, en lettres gothiques, daté de
l'année 1432 et décoré de petites miniatures
assez jolies, petit in-folio, mar. cit.» Vendu
100 liv. 1 sol. Un autre catalogue, mais beaucoup
plus ancien, l'Inventaire de la Bibliothèque
des ducs de Bourgogne, publié dans
la Bibliothèque protypographique (Paris, 1830,
in-4, p. 283), nous indique un manuscrit du
même ouvrage qui en étoit probablement
l'exemplaire original. On y lit: «Nº 1261.
Ung livre tout neuf escript en parchemin, à
deux coulombes, couvert de cuir blanc de
chamoy, historié en plusieurs lieux de riches
histoires, contenant cent nouvelles, tant de
Monseigneur, que Dieu pardonne, que de
plusieurs autres de son hostel, quemanchant
le second feuillet, après la table, en rouges
lettres: celle qui se baignoit, et le dernier: lit
demanda.»
Voilà tout ce qu'on savoit des manuscrits des Cent Nouvelles Nouvelles, et on les croyoit tous les deux irréparablement perdus, quand, par un heureux hasard, durant une courte visite à Glasgow, j'ai trouvé un beau manuscrit de cet ouvrage dans la précieuse bibliothèque du Musée Huntérien, et qui répondoit assez bien à la description du manuscrit du vijcatalogue de 1769 d'un côté, et à celle du manuscrit des ducs de Bourgogne de l'autre. Ma première idée fut que les trois manuscrits n'en faisoient qu'un, et que j'avois devant les yeux l'exemplaire original de ce célèbre recueil. En effet, je me suis bientôt convaincu que j'avois entre les mains le manuscrit même qui avoit figuré dans le catalogue de Gaignat.—Non-seulement la description de ce Catalogue s'appliquoit parfaitement bien à notre manuscrit, mais la date 1432 s'y trouvoit. La chose s'explique sans difficulté: le docteur Hunter, à qui l'Université de Glasgow doit le musée et la bibliothèque qui portent encore son nom, né en 1728, s'établit à Londres en 1763 et y est mort en 1793. Le catalogue de Gaignat est précisément de l'époque à laquelle le docteur Hunter s'occupoit le plus activement de l'achat des manuscrits. C'est sans doute lui qui acheta pour 100 francs l'exemplaire des Cent Nouvelles Nouvelles indiqué dans le catalogue de 1769.
Je ne pouvois donc plus douter que je tenois entre les mains le manuscrit de Gaignat; mais je me suis également convaincu que notre manuscrit n'étoit pas celui de l'Inventaire de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, dont on avoit facilité l'identification, selon la viijmanière usuelle au moyen âge, en donnant les premiers mots du second et du dernier feuillet. En effet, nous savons que le second feuillet du manuscrit appartenant au duc de Bourgogne commençoit par les mots celle qui se baignoit. Nous trouvons bien sur la première page de notre manuscrit (le premier feuillet manque), dans le titre du premier conte, les mots: «trouva celuy qui se baignoit avec sa femme»; mais ils ne sont pas les premiers mots de la page, et par conséquent du feuillet. L'auteur de l'Inventaire a voulu sans doute nous informer que l'avant-dernier feuillet finissoit par les mots lict, demanda, et nous trouvons dans notre manuscrit (tom. II, p. 248, de notre édition) les mots: «la vit couchée au lict, demanda si pour ung seul, etc.»; mais les deux mots en question ne sont ni au commencement ni à la fin du feuillet. Le manuscrit de la bibliothèque des ducs de Bourgogne étoit évidemment un exemplaire des Cent Nouvelles Nouvelles différent de celui de Glasgow.
Mais, en comparant ainsi les manuscrits, une autre circonstance a fixé mon attention. Les mots qui commençoient le second feuillet de l'exemplaire appartenant aux ducs de Bourgogne sont identiques dans les deux manuscrits (car je regarde le celle de l'Inventaire ixcomme une simple erreur du compilateur), mais pas dans l'édition imprimée par Verard, qui a changé un peu la phrase: «le trouvoit qui se baignoit avec sa femme.» Nous devons conclure de cette conformité assez importante dans le peu de mots conservés du manuscrit des ducs de Bourgogne que le texte original des Cent Nouvelles Nouvelles est assez exactement représenté dans le manuscrit de Glasgow, et par conséquent que le texte de Verard et des éditions subséquentes est très imparfait et très incorrect, car on n'a qu'à comparer quelques pages du texte de notre manuscrit de Glasgow avec celui des éditions imprimées pour se convaincre que le premier leur est très supérieur. Nous avons le droit même de supposer que non-seulement Verard a tiré son texte d'un mauvais manuscrit, mais encore qu'il l'a laissé imprimer avec beaucoup de négligence; qu'on a continuellement changé les phrases qui sentoient le dialecte picard plutôt que l'idiome parisien; qu'on a remplacé des expressions vieilles ou triviales par d'autres plus modernes ou plus en vogue; enfin, qu'on a fait des omissions assez considérables, quelquefois par accident ou négligence, mais plus souvent pour abréger le texte. Ces omissions xdeviennent beaucoup plus nombreuses et plus importantes vers la fin de l'ouvrage qu'au commencement, et dans l'édition de Verard, comparée avec le texte du manuscrit, le dernier conte est abrégé presque d'un tiers. Le manuscrit de Glasgow nous permet donc de donner le texte des Cent Nouvelles Nouvelles beaucoup plus complet et plus correct que celui de toutes les éditions qui ont précédé la nôtre.
Maintenant, qu'il me soit permis d'appeler l'attention des lecteurs sur une autre circonstance qui me paroît d'une grande importance pour l'histoire littéraire de l'ouvrage remarquable que nous publions. On sait que, pour échapper aux poursuites de son père, Louis XI, alors Dauphin de France, se retira, au milieu de l'année 1456, à la cour du duc de Bourgogne Philippe le Bon, et qu'il y resta jusqu'à la mort de Charles VII, en 1461. Philippe le Bon lui assigna pour sa demeure le château de Génappe, et on prétend que c'étoit à la petite cour que le Dauphin réunit autour de lui dans ce séjour qu'on répétoit les divers contes que plus tard le duc de Bourgogne faisoit mettre en écrit pour en conserver la mémoire. Telle étoit, selon ce qu'on dit, l'origine du recueil des Cent Nouvelles Nouvelles; mais on n'a jamais nié que le seul fondement de tous ces xjprétendus faits se trouve dans la dédicace placée en tête de l'édition imprimée par Verard, à la fin de laquelle nous lisons les mots suivants: «Et notez que par toutes les Nouvelles où il est dit par Monseigneur, il est entendu par Monseigneur le Dauphin, lequel depuis a succédé à la couronne et est le roy Loys unsieme; car il estoit lors ès pays du duc de Bourgoingne.» Ce passage remarquable ne paroît pas dans notre manuscrit, et il faut avouer qu'il présente tout le caractère d'une addition émanant de Verard lui-même. Il me paroît évident aussi que ce passage manquoit également au manuscrit original indiqué dans l'ancien Inventaire des livres de la bibliothèque des ducs de Bourgogne déjà cité, qui parle du manuscrit de cet ouvrage comme «contenant cent nouvelles, tant de Monseigneur, que Dieu pardonne, que de plusieurs autres de son hostel.» Je n'ai pas besoin de dire que la phrase «que Dieu pardonne» indique que celui dont on parle étoit alors mort, et qu'elle s'applique ici nécessairement à Philippe le Bon, mort en 1467; et, certainement, si on devoit finir par avouer que les contes attribués à Monseigneur étoient du Dauphin, on n'auroit pas commencé par dire qu'ils étoient du duc Philippe. Du reste, il xijme paroît certain que, dans un ouvrage composé à la cour de Bourgogne et par un sujet du duc, ayant rapport spécialement à des circonstances arrivées dans ses Etats, le titre de Monseigneur, sans autre qualification, ne pouvoit désigner que le duc de Bourgogne. Notre livre même le prouve suffisamment. Les deux premiers contes de notre recueil sont donnés, comme de raison, au duc Philippe. On ne donne le nom du conteur du premier que dans la table; mais le second, que la table donne également à «Monseigneur le Duc», porte, dans le texte du livre, qu'il étoit raconté «par Monseigneur». Verard a donc eu tort de dire que le titre de Monseigneur s'appliquoit ici à Louis XI, et nous pouvons déclarer qu'il ne se trouve pas un seul mot dans le livre des Cent Nouvelles Nouvelles qui puisse faire croire que Louis XI étoit un des conteurs. Tout ce que dit son auteur, c'est qu'à la «requeste et advertissement» du duc Philippe, il avoit composé «ce petit œuvre» en imitation de la collection italienne des Cento Novelle, qui, publiée au commencement du quatorzième siècle, étoit devenue célèbre, et qui lui avoit donné l'idée de limiter son recueil au même nombre de cent Contes et de lui donner le titre de Cent Nouvelles Nouvelles. xiijIl ajoute seulement que ces Nouvelles Nouvelles ne sont pas arrivées, comme celles du conteur italien, en Italie, mais «ès parties de France, d'Allemaigne, d'Angleterre, de Haynault, de Brabant et autres lieux», et qu'elles sont toutes «d'assez fresche mémoire». C'étoit sans doute pour plaire au duc Philippe que l'auteur a mis les différents contes dans la bouche de lui et des individus les plus familiers de sa maison. Nous savons, du reste, que cette habitude de s'amuser en racontant de telles «nouvelles» entroit profondément dans les mœurs du temps, et que Louis XI, qui y avoit sans doute participé souvent à la cour de Bourgogne, dans sa jeunesse, en avoit conservé l'habitude toute sa vie. Nous n'avons aucune raison de supposer que les contes de notre recueil étoient véritablement racontés par ceux dont les noms y sont attachés; mais le goût bien connu de Louis XI pour ces contes, en général assez libres, et son long séjour à la cour de Bourgogne, pouvoient faire croire à Antoine Verard que ce roi étoit l'un des conteurs, celui qui se présente si souvent sous le titre de Monseigneur, un titre que le Dauphin auroit porté en France; mais, sans doute, il auroit été distingué xiven Bourgogne par le titre de Monseigneur le Dauphin.
Je regarde cet ouvrage, donc, simplement comme un recueil de contes composé à la cour de Bourgogne, à la «requeste», comme dit la dédicace, de Philippe le Bon.
Qui en étoit l'auteur? Nous savons seulement qu'il s'attribue cinq de ces Nouvelles, les 51e, 91e, 92e, 98e et 99e, et qu'ainsi il a dû être attaché à la cour de Bourgogne. J'avoue que je me sens porté à partager l'opinion émise par M. Le Roux de Lincy, que cet auteur est Antoine de La Sale, déjà bien connu par deux ouvrages remarquables, le roman du Petit Jehan de Saintré et les Quinze Joies de Mariage; et cette opinion me paroît confirmée par une circonstance que M. Le Roux de Lincy n'a pas observée: La Nouvelle cinquante est attribuée à monseigneur de La Sale, et la cinquante-et-unième porte le nom de «l'acteur» (l'auteur). Comme ses autres Nouvelles se présentent ensemble deux à deux, il me paroît assez vraisemblable que l'auteur a voulu faire la même disposition ici, et qu'ayant mis son nom à la première, il s'est contenté de se désigner modestement dans les autres par le seul titre de «l'auteur». «Monseigneur de La Sale» se désigne, en xvsupposant que c'est lui qui a composé cet ouvrage, par le titre de «premier maistre d'hostel de monseigneur le duc». En effet, Antoine de La Sale, né en 1398, en Bourgogne ou en Touraine, après un séjour en Italie (il étoit à Rome en 1422), s'établit en Provence, où il fut attaché à Louis III, comte d'Anjou et de Provence, et nommé viguier d'Arles. Plus tard, La Sale passa en Flandres, où il fut accueilli favorablement par le duc Philippe le Bon. La date de son arrivée à la cour de Bourgogne n'est pas connue. C'étoit probablement durant son séjour en Italie qu'il avoit eu connoissance des Cento Novelle, ouvrage beaucoup plus ancien, dont la compilation des Cent Nouvelles Nouvelles est (par le propre aveu de l'auteur) une imitation, ainsi que des Facéties du Pogge, dont l'auteur des Cent Nouvelles Nouvelles a tiré plusieurs de ses récits, et qui avoient dû être publiées tout récemment, quand La Sale étoit à Rome, et du Decameron de Boccace. On trouve dans les Cent Nouvelles Nouvelles quelques allusions historiques qui se rapportent principalement aux temps des guerres entre les Armagnacs et les Bourguignons. La Nouvelle soixante-deux raconte des circonstances de la conférence tenue en juillet xvj1440, au château d'Oye, entre Calais et Gravelines; et la Nouvelle quarante-deux commence par ces mots: «L'an cinquante derrenier passé», d'où l'on peut conclure que ce livre a été composé dans l'intervalle de 1450 à 1460, et probablement pas longtemps après la première de ces années. Cette date s'accorde parfaitement avec celle des autres ouvrages d'Antoine de La Sale; car la date des Quinze Joies est rapportée à 1450, et celle du Petit Jehan de Saintré à 1459. Le premier de ces deux ouvrages est cité directement dans les Cent Nouvelles Nouvelles.
De même que la plupart de celles qui figurent dans toutes les collections de contes, les Cent Nouvelles Nouvelles ne sont pas toutes nouvelles. La collection de Boccace et celle du Pogge y ont certainement contribué assez largement, et, des récits que notre auteur donne comme des anecdotes contemporaines, plusieurs sans doute sont empruntés aux fabliaux des treizième et quatorzième siècles. Cependant on a remarqué avec justice que notre recueil se distingue de tous les autres par un bon nombre d'histoires qu'on ne trouve dans aucun des recueils plus anciens. Cette partie des Cent Nouvelles Nouvelles est sans doute la plus intéressante, et paroît être composée xvijd'anecdotes que l'auteur savoit ou croyoit être arrivées dans la première moitié du quinzième siècle. En revanche, nul conteur n'a été si généralement mis à contribution par les compilateurs qui l'ont suivi que l'auteur des Cent Nouvelles Nouvelles. J'ai déjà eu occasion de dire que la première édition imprimée de ce recueil est sortie de l'imprimerie d'Antoine Verard; elle date du mois de décembre 1486, et on peut supposer que la publication fut accueillie assez favorablement, puisque Verard lui-même l'a réimprimée. Cette seconde impression est sans date. Un autre imprimeur parisien, Nicolas Desprez, a donné une troisième édition des Cent Nouvelles Nouvelles, achevée d'imprimer le 3e jour de février 1505; et une quatrième, sans date, porte le nom du célèbre imprimeur Michel Le Noir. On connoît encore une édition de Paris, sans date, et une autre imprimée à Lyon en 1532. Nous ne connoissons pas d'autre édition de cet ouvrage avant le commencement du siècle dernier. Il fut imprimé à Cologne, en 2 volumes in-12, avec des gravures d'après les dessins de Romain de Hooge. Cette édition, qui porte la date de 1701, a été suivie d'une autre imprimée à La Haye en 1733, et, comme l'autre, en 2 xviijvolumes. J'ai déjà dit que le texte original des Cent Nouvelles Nouvelles est assez mal représenté par celui des éditions de Verard, qui a été encore détérioré dans les éditions subséquentes; mais le texte de celles de Cologne et de La Haye est détestable, et ces éditions n'ont aucun intérêt littéraire; on les prise seulement pour les gravures.
Dans l'édition que nous offrons à nos lecteurs, nous avons reproduit littéralement le texte du manuscrit de Glasgow, sauf quelques exceptions rares. Le manuscrit est en général très correct; mais, de temps en temps, l'écrivain a fait des omissions de quelques mots, et même de deux ou trois lignes, en passant, par négligence, d'un mot dans une ligne au même mot répété dans la ligne suivante ou deux ou trois lignes plus bas. J'ai été obligé de suppléer à ces lacunes d'après le texte de Verard, qui a été reproduit avec soin dans l'excellente édition de M. Le Roux de Lincy. J'ai indiqué les variantes les plus importantes du texte de Verard dans mes notes.
Nous publions ainsi un texte de cet ouvrage remarquable qui est entièrement nouveau, et qui en est probablement le seul bon texte xixqu'aujourd'hui l'on puisse retrouver, et en même temps nous lui rendons pour la première fois sa véritable place dans l'histoire littéraire du quinzième siècle. Le livre des Cent Nouvelles Nouvelles n'est plus, comme on croyoit autrefois, un souvenir de la visite du Dauphin de France à la cour de Bourgogne. C'est un recueil de contes faits probablement par Antoine de La Sale, auteur spirituel et bien connu, en imitation des conteurs italiens, dont il avoit eu connoissance durant son séjour à Rome. Notre auteur a composé son livre à la cour de Bourgogne, sous le duc Philippe le Bon, qui, par un caprice sans doute, a voulu qu'on mît les diverses nouvelles dans la bouche de ses courtisans; car la forme de la collection, le style uniforme qui y règne partout, les termes dans lesquels l'auteur en parle lui-même dans sa dédicace, rendent très peu vraisemblable l'idée qu'il a voulu nous rapporter une véritable scène de la vie intime de cette brillante cour. On se trompe grandement si l'on croit que c'étoit seulement à la Cour de Bourgogne qu'existoit l'usage d'égayer les loisirs de la vie féodale par le récit de telles «nouvelles»; mais en Antoine de La Sale, en supposant que ce recueil xxlui appartient, nous avons un des plus anciens, et, sous beaucoup de rapports, le plus intéressant des vieux conteurs françois.
Thomas WRIGHT.
a mon trèschier et trèsredoubté seigneur
monseigneur
LE DUC DE BOURGOIGNE, DE BRABANT
ETC.
Comme ainsi soit qu'entre les bons et
prouffitables passe-temps, le trèsgracieux
exercice de lecture et d'estude
soit de grande et sumptueuse recommendacion,
duquel, sans flaterie, mon trèsredoubté
Seigneur, vous estes trèshaultement doé,
Je, vostre trèsobéissant serviteur, désirant,
comme je dois, complaire à toutes vos trèshaultes
et trèsnobles intencions en façon à moy possible,
ose et presume ce present petit œuvre, à vostre
requeste et advertissement mis en terme et sur
piez, vous présenter et offrir; suppliant trèshumblement
que agréablement soit receu, qui en soy
contient et tracte cent histoires assez semblables
en matère, sans attaindre le subtil et trèsorné
xxijlangage du livre de Cent Nouvelles. Et se peut intituler
le livre de Cent Nouvelles nouvelles. Et
pource que les cas descriptz et racomptez ou dit
livres de Cent Nouvelles advindrent la pluspart
ès marches et metes d'Ytalie, jà long temps a,
neantmoins toutesfoiz, portant et retenant nom de
Nouvelles, se peut trèsbien et par raison fondée
en assez apparente verité ce présent livre intituler
de Cent Nouvelles nouvelles, jà soit ce que advenues
soient ès parties de France, d'Alemaigne,
d'Angleterre, de Haynau, de Brabant et aultres
lieux; aussi pource que l'estoffe, taille et fasson
d'icelles est d'assez fresche memoire et de myne
beaucop nouvelle.
De Dijon, l'an m.iiiic.xxxii.
Sensuyt la table de ce present livre, intitulé des Centxxiij Nouvelles, lequel en soy contient cent chapitres ou histoires, ou pour mieulx dire nouvelles.
Compté par monseigneur le duc.
La première nouvelle traicte d'un qui trouva façon d'avoir la femme de son voisin, lequel il avoit envoyé dehors pour plus aisément l'avoir; et luy, retourné de son voiage, trouva celuy qui se baignoit avec sa femme. Et, non sachant que ce fust elle, la volut voir; et permis luy fut de seullement veoir le derrière: et alors jugea que ce luy sembla sa femme, mais croire ne l'osa. Et, sur ce, se partit et vint trouver sa femme à l'ostel, qu'on avoit boutée hors par une posterne; et luy compta son imaginacion.
Par monseigneur le duc.
La secunde nouvelle, comptée par monseigneur le duc Philipe, d'une jeune fille qui avoit le mal de broches, la quelle creva à ung cordelier qui la vouloit médiciner ung seul bon œil qu'il avoit; et du procés qui en fut.
Par monseigneur de la Roche.
La tierce nouvelle, de la tromperie que fist ung chevalier à la femme de son musnier, à laquelle xxivbailloit à croire que son con luy cherroit, si luy recoingna plusieurs fois. Et le musnier, de ce adverty, pescha ung dyamant que la femme au chevalier avoit perdu; et dedans son corps le trouva, comme bien sceut le chevalier depuis; si l'appela pescheur, et le musnier cuigneur le nomma.
Par monseigneur.
La quatriesme nouvelle, d'un archier escossois qui fut amoureux d'une belle gente damoiselle, femme d'un eschopier, laquelle, par le commandement de son mary, assigna jour au dit Escossois; et de fait y comparut et besoigna tant qu'il voult, le dit eschopier estant caiché en la ruelle de son lit, qui tout povoit veoir et oyr.
Par Philipe de Loan.
La cinquiesme nouvelle, par Philipe de Loan, de deux jugements de monseigneur Talebot, c'est assavoir, d'un François prins par ung Anglois soubz son sauf-conduict, qui d'aguillettes à aorner se defendit contre le François, qui d'une espée le feroit, présent Talebot; et d'un qui l'Eglise avoit robée, auquel il fist jurer de non jamais plus entrer en l'Eglise.
La sisiesme nouvelle, par monsieur de Launoy, d'un yvroigne qui au prieuré des Augustins de La Haye en Hollendre se voult confesser, et après sa confession, disant que son bon estat estoit, vouloit mourir. Et cuida avoir la teste trenchée et estre mort, et par ses compaignons fut emporté, qui luy disoient qu'ilz l'emportoient en terre.
La septiesme nouvelle, par Monseigneur, de l'orfevre de Paris qui fist le charreton coucher avec luy et sa femme; et comment le charreton par derrière xxvse jouoit avec elle, dont l'orfevre se parceut et trouva ce qui estoit; et des parolles qu'il dist au charreton.
La huictiesme, par monsieur de la Roche, d'un compaignon picard demourant à Bruxelles, qui engrossa la fille de son maistre; et à ceste cause print congié de haulte heure et vint en Picardie se marier. Et tost après son partement, la mère de la fille se parceut de l'encloueure de sa fille, laquelle, à quelque meschief que ce fust, confessa le cas tel qu'il estoit. La mère la renvoya devers le dit compaignon; et depuis leur espousée, par ung accident qui au compaignon advint le jour de ses nopces.
La nefviesme nouvelle, par Monsieur le Duc, d'un chevalier de Bourgoigne, amoureux d'une des chambrières de sa femme. Cuidant coucher avecques celle, cogneut que c'estoit mesmes sa femme, qui ou lieu de sa chambrière s'estoit boutée. Et comment ung aultre chevalier, son voisin, par son ordonnance, avecques sa femme aussi avoit couschié, dont il fut bien mal content, jà soit ce que sa femme n'en sceut oncques riens, et ne cuidoit avoir eu que son mary.
La dixiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'un chevalier d'Angleterre, qui, puis qu'il fut marié, voult que son mignon, comme paravant son mariage, de belles filles luy fist finance; laquelle chose il ne voult faire, et s'excusoit; mais son maistre à son premier train le ramena par le faire servir de pastés d'anguilles.
La onziesme nouvelle, par Monseigneur, d'un paillard jaloux qui, après beaucop d'offrandes faictes à divers sainz pour le remède de sa maudicte maladie, fist offrir une chandelle au deable qu'on mect communement desoubz saint Michel; et du songe qu'il songea, et de ce qui luy advint au reveiller.
xxvjLa dousiesme nouvelle parle d'ung Hollandois qui nuyt et jour, à toute heure, ne cessoit d'assaillir sa femme au jeu d'amours; et comment d'aventure il la rua par terre, en passant par ung bois, soubz un grand arbre sur lequel estoit ung laboureur qui avoit perdu son veau. Et, en faisant inventoire des beaux membres de sa femme, dist qu'il véoit tant de belles choses et quasi tout le monde; à qui le laboureur demanda s'il véoit point son veau qu'il cherchoit, quel il disoit qu'il lui sembloit en veoir la queue.
La tresiesme nouvelle, comment le clerc d'ung procureur d'Angleterre deceut son maistre pour luy faire accroire qu'il n'avoit nulz coillons, et à ceste cause il eut le gouvernement de sa maistresse aux champs et à la ville, et se donnèrent bon temps.
La quatorsiesme nouvelle, de l'ermite qui deceut la fille d'une povre femme, et lui faisoit accroire que sa fille auroit ung filz de luy qui seroit pape, et adonc, quant vint à l'enfanter, ce fut une fille, et ainsi fut l'ambusche du faulx hermite descouverte, qui à ceste cause s'enfouit du païs.
La quinsiesme nouvelle, d'une nonnain que ung moyne cuidoit tromper, lequel en sa compaignie amena son compaignon, qui devoit bailler à taster à elle son instrument, comme le marchié le portoit, et comme le moyne mit son compaignon en son lieu, et de la response que elle fist.
La seiziesme nouvelle, d'ung chevalier de Picardie, lequel en Prusse s'en ala; et tandiz ma dame sa femme d'ung autre s'accointa; et, à l'eure que son mary retourna, elle estoit couchée avec son amy, lequel, par une gracieuse subtilité, elle le bouta hors de sa chambre, sans ce que son mary le chevalier s'en donnast garde.
La dix et septiesme nouvelle, d'ung president de parlement qui devint amoureux de sa chamberière, xxvijlaquelle à force, en bulletant la farine, cuida violer, mais par beau parler de lui se desarma et lui fist affubler le bulleteau de quoy elle tamisoit, puis ala querir sa maistresse, qui en cet estat son mary et seigneur trouva, comme cy après vous orrez.
La dix et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, d'ung gentilhomme de Bourgoingne, lequel trouva façon, moyennant dix escuz qu'il fit bailler à la chamberière, de couchier avecques elle; mais, avant qu'il voulsist partir de sa chambre, il eut ses dix escuz et se fit porter sur les espaules de la dicte chamberière par la chambre de l'oste. Et, en passant par la dicte chambre, il fist ung sonnet tout de fait advisé qui tout leur fait encusa, comme vous pourrez ouyr en la nouvelle cy dessoubz.
La dix neuviesme nouvelle, par Phelippe Vignieu, d'ung marchant d'Angleterre, du quel la femme, en son absence, fist ung enfant, et disoit qu'il estoit sien; et comment il s'en despescha gracieusement comme elle luy avoit baillé à croire qu'il estoit venu de neige, aussi pareillement au soleil comme la neige s'estoit fondu.
La vingtiesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung lourdault Champenois, lequel, quant il se maria, n'avoit encores jamais monté sur beste crestienne, dont sa femme se tenoit bien de rire. Et de l'expédient que la mère d'elle trouva, et du soudain pleur du dit lourdault à une feste et assemblée qui se fit depuis après qu'on lui eut monstré l'amoureux mestier, comme vous pourrez ouyr plus à plain cy après.
La vingt et uniesme nouvelle, racomptée par Philippes de Loan, d'une abesse qui fut malade par faulte de faire cela que vous savez, ce qu'elle ne vouloit faire, doubtant de ses nonnains estre xxviijreprouchée; et toutes lui accordèrent de faire comme elle; et ainsi s'en firent toutes donner largement.
La vingt et deusiesme nouvelle racompte d'ung gentilhomme qui engroissa une jeune fille, et puis en une armée s'en ala. Et, avant son retour, elle d'ung autre s'accointa, auquel son enfant elle donna. Et le gentilhomme, de la guerre retourné, son enfant demanda; et elle lui pria que à son nouvel amy le laissast, promettant que le premier qu'elle feroit sans faulte lui donneroit, comme cy dessoubz vous sera recordé.
La vingt et troisiesme nouvelle, d'ung clerc de qui sa maistresse fut amoureuse, la quelle à bon escient s'i accorda, pourtant qu'elle avoit passé la raye que le dit clerc lui avoit faicte. Ce voyant son petit filz dist à son père, quant il fut venu, qu'il ne passast point la raye: car, s'il la passoit, le clerc lui feroit comme il avoit fait à sa mère.
La vingt et quatriesme nouvelle, dicte et racomptée par monseigneur de Fiennes, d'ung conte qui une trèsbelle, jeune et gente fille, l'une de ses subjectes, cuida decevoir par force; et comment elle s'en eschappa par le moyen de ses houseaux; mais depuis l'en prisa trèsfort, et l'aida à marier, comme il vous sera declairé cy aprés.
La vingt et cinquiesme nouvelle, racomptée et dicte par Monseigneur de Saint Yon, de celle qui de force se plaignit d'ung compaignon, lequel elle avoit mesme adrecié à trouver ce qu'il queroit; et du jugement qui en fut fait.
La vingt et siziesme nouvelle, racomptée et mise en terme par monseigneur de Foquessoles, des amours d'ung gentilhomme et d'une damoiselle, laquelle esprouva la loyauté du gentilhomme par une merveilleuse et gente façon, et coucha troys xxixnuytz avec lui sans aucunement savoir que ce fust elle; mais pour homme la tenoit, ainsy comme plus à plein pourrez ouyr cy après.
La vingt et septiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir, des amours d'ung grant seigneur de ce royaume et d'une gente damoiselle mariée, laquelle, affin de baillier lieu à son serviteur, fist son mary bouter en ung bahu par le moyen de ses chamberières, et léans le fist tenir toute la nuyt, tandis qu'avec son serviteur passoit le temps; et des gaigeures qui furent faictes entre elle et son dit mary, comme il vous sera recordé cy après.
La vingt et huitiesme nouvelle, dicte et racomptée par messire Michault de Changy, de la journée assignée à ung grand prince de ce royaume par une demoiselle servante de chambre de la Royne; et du petit exploit d'armes que fist le dit prince, et des faintises que la dicte demoiselle disoit à la royne de sa levrière, la quelle estoit tout à propos enfermée dehors de la chambre de la dicte royne, comme orrez cy après.
La vingt et nefviesme nouvelle, racomptée par monseigneur, d'ung gentilhomme qui, dès la première nuyt qu'il se maria, et aprés qu'il eut heurté ung coup à sa femme, elle luy rendit ung enfant; et de la manière qu'il en tint, et des paroles qu'il en dist ses compagnons qui lui apportoient le chaudeau, comme vous orrez cy aprés.
La trentiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir, François, de troys marchans de Savoye alans en pelerinage à saint Anthoine en Viennois, qui furent trompez et deceuz par trois cordeliers, lesquelz couchèrent avec leurs femmes, combien qu'elles cuidoient estre avec leurs mariz; et comment, par le rapport qu'elles firent, leurs xxxmaryz le sceurent, et de la manière qu'ilz en tindrent, comme vous orrez cy après.
La trente et uniesme nouvelle, mise en avant par Monseigneur, de l'escuier qui trouva la mulette de son compaignon et monta dessus, laquelle le mena à l'uis de la dame de son maistre; et fist tant l'escuier qu'il coucha léans, où son compaignon le vint trouver; et pareillement des paroles qui furent entre eulz, comme plus à plain vous sera declairé cy dessoubz.
La trente et deusiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Villiers, des cordeliers d'Ostelleric en Castelongne qui prindrent le disme des femmes de la ville; et comment il fut sceu, et quelle punicion par le seigneur et ses subjetz en fut faicte, comme vous orrez cy après.
La trente et troisiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil seigneur qui fut amoureux d'une damoiselle, dont se donna garde ung autre grant seigneur, qui lui dist; et l'autre tousjours plus lui celoit et en estoit tout affolé; et de l'entretenement depuis d'eulz deux envers elle, comme vous pourrez ouyr cy après.
La trente et quatriesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, d'une femme mariée qui assigna journée à deux compaignons, lesquelz vindrent et besoingnèrent; et le mary tantost après survint; et des paroles qui après en furent, et de la manière qu'ilz tindrent, comme vous orrez cy après.
La trente et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung chevalier du quel son amoureuse se maria, tandis qu'il fut en voyaige; et à son retour, d'aventure la trouva en mesnage, la quelle, pour couchier avec son amant, mist en son lieu couchier avec son mary une jeune damoiselle, sa xxxichamberière; et des paroles d'entre le mary et le chevalier voyaigeur, comme plus à plain vous sera recordé cy après.
La trente et sisiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur de la Roche, d'ung escuier qui vit sa maistresse dont il estoit moult feru, entre deux autres gentilzhommes, et ne se donnoit de garde qu'elle tenoit chascun d'eulz en ses laz; et ung autre chevalier qui savoit son cas le lui bailla à entendre, comme vous orrez cy après.
La trente et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung jaloux qui enregistroit toutes les façons qu'il povoit ouyr ne savoir dont les femmes ont deceu leurs mariz, le temps passé; mais à la fin il fut trompé par l'orde eaue que l'amant de sa dicte femme getta par une fenestre sur elle, en venant de la messe, comme vous orrez cy après.
La trente et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur le seneschal de Guienne, d'ung bourgois de Tours qui acheta une lamproye qu'à sa femme envoya pour appointer, affin de festoier son curé, et la dicte femme l'envoya à ung cordelier son amy; et comment elle fist couchier sa voisine avec son mary, qui fut bastue, Dieu sçait comment, et de ce qu'elle fist accroire à son dict mary, comme vous orrez cy dessoubz.
La trente et nefviesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Saint-Pol, du chevalier qui, en attendant sa dame, besoingna troys fois avec la chamberière qu'elle avoit envoyée pour entretenir le dit chevalier, afin que trop ne luy ennuyast; et depuis besoingna troys fois avec la dame; et comment le mary sceut tout par la chamberière, comme vous orrez.
La quarantiesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung Jacopin qui abandonna sa dame par amour, une bouchière, pour une autre plus belle xxxijet plus jeune; et comment la dicte bouchière cuida entrer en sa maison par la cheminée.
La quarante et uniesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung chevalier qui faisoit vestir à sa femme ung haubergon quand il lui vouloit faire ce que savez, ou compter les dens; et du clerc qui lui apprint autre manière de faire, dont elle fut à pou prés par sa bouche mesmes encusée à son mary, se n'eust esté la glose qu'elle controuva subitement.
La quarante et deusiesme nouvelle, par Meriadec, d'ung clerc de villaige estant à Romme, cuidant que sa femme fust morte, devint prestre et impetra la cure de sa ville; et, quand il vint à sa cure, la première personne qu'il rencontra ce fut sa femme.
La quarante et troisiesme nouvelle, par Monseigneur de Fiennes, d'ung laboureur qui trouva un homme sur sa femme, et laissa à le tuer pour gaingner une somme de blé; et fut la femme cause du traictié, affin que l'autre parfist ce qu'il avoit commencé.
La quarante et quatriesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung curé de villaige qui trouva façon de marier une fille dont il estoit amoureux, la quelle lui avoit promis, quant elle seroit mariée, de faire ce qu'il vouldroit; laquelle chose le jour de ses nopces il luy ramentéust, ce que le mary d'elle ouyt tout à plain, à quoy il mit provision, comme vous orrez.
La quarante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung jeune Escossois qui se maintint en habillement de femme l'espace de quatorze ans, et par ce moyen couchoit avec filles et femmes mariées, dont il fut puny en la fin, comme vous orrez cy après.
La quarante et siziesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Thienges, d'ung Jacopin et de la xxxiijnonnain qui s'estoient boutez en ung préau pour faire armes à plaisance, dessoubz ung poirier où s'estoit caiché un qui savoit leur fait tout à propos, qui leur rompit leur fait pour ceste heure, comme plus à plain vous orrez cy après.
La quarante et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung president saichant la deshonneste vie de sa femme, la fist noyer par sa mulle, la quelle il fit tenir de boire par l'espace de huit jours; et pendant ce temps lui faisoit bailler du sel à mengier, comme il vous sera recordé plus à plain.
La quarante et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, de celle qui ne vouloit souffrir qu'on la baisast, mais bien vouloit qu'on lui rembourrast son bas; et habandonnoit tous ses membres fors la bouche, et de la raison qu'elle y mettoit.
La quarante et nefviesme nouvelle, racomptée par Pierre David, de celui qui vit sa femme avec ung homme auquel elle donnoit tout son corps entierement, excepté son derrière, qu'elle laissoit à son mary, lequel la fist habiller ung jour, présens ses amys, d'une robe de bureau et fit mettre sur son derrière une belle piéce d'escarlate; et ainsi la laissa devant tous ses amys.
La cinquantiesme nouvelle, racomptée et dicte par Anthoine de la Sale, d'ung père qui voulut tuer son fils pource qu'il avoit voulu monter sur sa mère grand, et de la reponse du dit filz.
La cinquante et uniesme nouvelle, racomptée par l'acteur, de la femme qui départoit ses enfans au lit de la mort, en l'absence de son mary, qui siens les tenoit; et comment ung des plus petiz en advertit son père.
La cinquante et deusiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur de la Roche, de trois enseignemens xxxivque ung père bailla à son fils, lui estant au lit de la mort, lesquelz le dit filz mist à effet au contraire de ce qu'il lui avoit enseigné. Et comment il se deslia d'une jeune fille qu'il avoit espousée, pource qu'il la vit couchier avec le prestre de la maison la première nuyt de leurs nopces.
La cinquante et troisiesme nouvelle, racomptée par monseigneur l'amant de Brucelles, de deux hommes et deux femmes qui attendoient pour espouser à la première messe bien matin; et, pource que le curé ne véoit pas trop cler, il print l'une pour l'autre, et changea à chascun homme la femme qu'il devoit avoir, comme vous orrez.
La cinquante et quatriesme nouvelle, racomptée par Mahiot, d'une damoiselle de Maubeuge qui se abandonna à ung charreton et refusa plusieurs gens de bien; et de la response qu'elle fist à ung noble chevalier, pource qu'il lui reprouchoit plusieurs choses, comme vous orrez.
La cinquante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'une fille qui avoit l'épidimie, qui fit mourir troys hommes pour avoir la compaignie d'elle; et comment le quatriesme fut saulvé et elle aussi.
La cinquante et sixiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung gentilhomme qui attrappa en ung piege qu'il fist le curé, sa femme et sa chamberière, et un loup avec eulz; et brula tout là dedans, pour ce que le dit curé maintenoit sa femme.
La cinquante et septiesme nouvelle, par Monseigneur de Villiers, d'une damoiselle qui espousa ung bergier, de la manière du traictié du mariage, et des paroles qu'en disoit ung gentilhomme frère de la dicte damoiselle.
La cinquante et huitiesme nouvelle, par Monseigneur le Duc, de deux compaignons qui cuidoient trouver leurs dames plus courtoises vers eulz; et xxxvjouèrent tant du bas mestier que plus n'en pouvoient; et puis dirent, pource qu'elles ne tenoient compte d'eulz, qu'elles avoient comme eulz joué du cymier, comme vous orrez cy après.
La cinquante et nefviesme nouvelle, par Poncelet, d'ung seigneur qui contrefist le malade pour couchier avec sa chamberière, avec laquelle sa femme le trouva.
La soixantiesme nouvelle, par Poncelet, de troys damoiselles de Malignes qui accointées s'estoient de troys cordeliers, qui leur firent faire couronnes et vestir l'abbit de religion, afin qu'elles ne fussent apperceues, et comment il fut sceu.
La soixante et uniesme nouvelle, par Poncelet, d'ung marchant qui enferma en sa huche l'amoureux de sa femme; et elle y mist un asne secrettement, dont le mary eut depuis bien à souffrir et se trouva confuz.
La soixante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram, de deux compaignons dont l'ung d'eulz laissa ung diamant ou lit de son hostesse et l'autre le trouva, dont il sourdit entre eulz ung grant debat, que le mary de la dicte hostesse appaisa par trèsbonne façon.
La soixante et troisiesme nouvelle, d'ung nommé Montbleru, lequel, à une foire d'Envers, desroba à ses compaignons leurs chemises et couvrechiefs qu'ilz avoient baillées à blanchir à la chamberière de leur hostesse; et comme depuis ilz pardonnèrent tout au larron; et puis ledit Montbleru leur compta le cas tout au long.
La soixante et quatriesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung curé qui se vouloit railler d'ung chatreur nommé Trenchecouille; mais il eut ses genitoires coupez par le consentement de l'oste.
La soixante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur xxxvjle prévost de Vuatènes, de la femme qui ouyt compter à son mary que ung hostellier du mont Saint-Michiel faisoit raige de ronciner, si y alla cuidant l'esprouver; mais son mary l'en garda trop bien, dont elle fut trop mal contente, comme vous orrez cy après.
La soixante et sixiesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung tavernier de Saint Omer qui fist une question à son petit filz, dont il se repentit après qu'il eut ouy la response, de laquelle sa femme en fut trèshonteuse, comme vous orrez plus à plain cy après.
La soixante et septiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung chapperon fourré de Paris qui une courdouennière cuida tromper; mais il se trompa lui mesme bien lourdement, car il la maria à un barbier, et, cuydant d'elle estre despesché, se voulut marier ailleurs; mais elle l'en garda bien, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.
La soixante et huitiesme nouvelle, d'ung homme marié qui sa femme trouva avec ung autre, et puis trouva manière d'avoir d'elle son argent, ses bagues, ses joyaux, à tout jusques à la chemise; et puis l'envoya paistre en ce point, comme cy après vous sera recordé.
La soixante et neuviesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil chevalier de la comté de Flandres, marié à une trèsbelle et gente dame, lequel fut prisonnier en Turquie par longue espace, durant laquelle sa bonne et loyale femme, par l'amonestement de ses amys, se remaria à ung autre chevalier; et tantost après qu'elle fut remariée elle ouyt nouvelles que son premier mary revenoit de Turquie, dont par deplaisance se laissa mourir, pource qu'elle avoit fait nouvelle aliance.
La septantiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, xxxvijd'ung gentil chevalier d'Alemaigne, grant voyaigier en son temps, lequel, aprés ung certain voyaige par lui fait, fist veu de jamais faire le signe de la croix, par la trèsferme foy et credence qu'il avoit ou saint sacrement de baptesme, en laquelle credence il combastit le dyable, comme vous orrez.
La septante et uniesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung chevalier de Picardie qui en la ville de Saint-Omer se logea en une hostellerie, où il fut amoureux de l'ostesse de léans, avec laquelle il fut trèsamoureusement; mais en faisant ce que savez, le mary de la dicte hostesse les trouva, lequel tint manière telle que cy après pourrez ouyr.
La septante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram, d'ung gentilhomme de Picardie qui fut amoureux de la femme d'ung chevalier son voisin, lequel gentilhomme trouva façon par bons moyens d'avoir la grace de sa dame, avec laquelle il fut assiegé, dont à grand peine trouva manière d'en ysser, comme vous orrez cy après.
La septante et troisiesme nouvelle, par maistre Jehan Lambin, d'ung curé qui fut amoureux d'une sienne paroichienne, avec laquelle le dit curé fut trouvé par le dit mary de la gouge, par l'advertissement de ses voisins; et de la manière comment le dit curé eschappa, comme vous orrez cy après.
La septante et quatriesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung prestre boulenois qui eleva par deux fois le corps de nostre Seigneur, en chantant une messe, pource qu'il cuidoit que monseigneur le seneschal de Boulongne fust venu tard à la messe; et aussy comment il refusa de prendre la paix devant monseigneur le seneschal, comme vous pourrez ouyr cy après.
La septante et cinquiesme nouvelle, racomptée xxxviijpar monseigneur de Talemas, d'ung gentil galant demy fol et non guères saige, qui en grant aventure se mist de mourir et estre pendu au gibet, pour nuyre et faire desplaisir au bailly, à la justice et autres plusieurs de la ville de Troyes en Champaigne, desquelz il estoit hay mortellement, comme plus à plain pourrez ouyr cy après.
La septante et sixiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung prestre chapellain à ung chevalier de Bourgoingne, lequel fut amoureux de la gouge du dit chevalier; et de l'aventure qui lui advint à cause de ses dictes amours, comme cy dessoubz vous orrez.
La septante et septiesme nouvelle, racomptée par Alardin, d'ung gentilhomme des marches de Flandres, lequel faisoit sa residence en France; mais, durant le temps que en France residoit, sa mère fut malade ès dites marches de Flandres; lequel la venoit tressouvent visiter, cuidant qu'elle mourust; et des paroles qu'il disoit et de la manière qu'il tenoit, comme vous orrez cy dessoubz.
La septante et huitiesme nouvelle, par Jean Martin, d'ung gentilhomme marié, lequel s'avoulenta de faire plusieurs loingtains voyaiges, durant lesquelz sa bonne et loyale preude femme de troys gentilz compaignons s'accointa que cy après pourrés ouyr; et comment elle confessa son cas à son mary, quand des ditz voyaiges fut retourné, cuidant le confesser à son curé; et de la manière comment elle se saulva, comme cy après orrez.
La septante et neuviesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung bonhomme de Bourbonnois, lequel ala au conseil à ung saige homme du dit lieu, pour son asne qu'il avoit perdu, et comment il croioit que miraculeusement il retrouva son dit asne, comme cy après pourrez ouir.
La huitantiesme nouvelle, par messire Michault xxxixde Changy, d'une jeune fille d'Alemaigne qui de l'aage de xv à xvi ans, ou environ, se maria à ung gentil galant, laquelle se complaignit de ce que son mary avoit trop petit instrument à son gré, pource qu'elle véoit ung petit asne qui n'avoit que demy an, et avoit plus grand ostil que son mary, qui avoit xxiii ou xxvi ans.
La huitante et uniesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Vaulvrain, d'un gentil chevalier qui fut amoureux d'une trèsbelle jeune dame mariée, lequel cuida bien parvenir à la grâce d'icelle et aussi d'une autre sienne voisine; mais il faillit à toutes deux, comme cy après vous sera recordé.
La huitante et deusiesme nouvelle, par monseigneur de Lannoy, d'ung bergier qui fit marchié avec une bergière qu'il monteroit sur elle afin qu'il véist plus loing, par tel si qu'il ne l'embrocheroit non plus avant que le signe qu'elle même fist de sa main sur l'instrument du dit berger, comme cy après plus à plain pourrez ouyr.
La huitante et troisiesme nouvelle, par monseigneur de Vaulvrain, d'ung carme qui en ung vilaige prescha; et comment, après son preschement, il fut prié de disner avec une damoiselle; et comment, en disnant, il mist grant peine de fournir et emplir son repoint, comme vous orrez cy après.
La huitante et quatriesme nouvelle, par monseigneur le marquis de Rothelin, d'ung sien mareschal qui se maria à la plus douce et amoureuse femme qui fut en tout le pays d'Alemaigne. S'il est vray ce que je dy sans en faire grant serment, affin que par mon escript menteur ne soye réputé, vous le pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.
La huitante et cinquiesme nouvelle, d'ung orfevre marié à une trèsbelle, doulce et gracieuse femme, et avec ce trèsamoureuse, par especial de xlson curé leur prochain voisin, avec lequel son mary la trouva couchée par l'advertissement d'ung sien serviteur, et ce par jalousie, comme vous pourrez ouyr.
La huitante et sisiesme nouvelle racompte et parle d'ung jeune homme de Rouen qui print en mariaige une belle et gente jeune fille, de l'aage de quinze ans ou environ, lesquelz la mère de la dicte fille cuida bien faire desmarier par monseigneur l'official de Rouen; et de la sentence que le dit official en donna, après les parties par luy ouyes, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain, en la dicte nouvelle.
La huitante et septiesme nouvelle racompte et parle d'ung gentil chevalier, lequel s'enamoura d'une trèsbelle, jeune et gente fille, et aussi comment il luy print une moult grande maladie en ung œil; pour laquelle cause lui convint avoir ung medecin, lequel pareillement devint amoureux de la dicte fille, comme vous ourrez; et des paroles qui en furent entre le chevalier et le medecin, pour l'emplastre qu'il luy mist sur son bon œil.
La huitante et huictiesme nouvelle, d'ung bon simple homme païsan, marié à une plaisante et gente femme, laquelle laissoit bien le boire et le mangier pour aymer par amours; et de fait, pour plus asseurement estre avec son amoureux, enferma son mary ou coulombier par la manière que vous orrez.
La huitante et nefviesme nouvelle, d'ung curé qui oublia par negligence, ou faulte de sens, à annoncer le karesme à ses paroichiens, jusqu'à la vigille de Pasques fleuries, comme cy après pourrez ouyr; et de la manière comment il s'excusa devers ses paroichiens.
La nonantiesme nouvelle, d'ung bon marchant xljdu pays de Brebant qui avoit sa femme trèsfort malade, doubtant qu'elle ne mourust, après plusieurs remonstrances et exortacions qu'il lui fist pour le salut de son ame, lui crya mercy, laquelle luy pardonna tout ce qu'il povoit luy avoir meffait, excepté tant seulement ce qu'il avoit si peu besoingnié en son ouvroir, comme en la dicte nouvelle pourrez ouyr plus à plain.
La nonante et uniesme nouvelle parle d'ung homme qui fut marié à une femme laquelle estoit tant luxurieuse et tant chaulde sur le potaige que je cuide qu'elle fut née ès estuves, ou à demie lieue prés du soleil de midy: car il n'estoit nul, tant bon ouvrier fust il, qui la peust refroidir; et comment il la cuida chastier, et de la reponse qu'elle lui bailla.
La nonante et deusiesme nouvelle, d'une bourgeoise mariée qui estoit amoureuse d'ung chanoine, laquelle, pour plus couvertement aller vers le dit chanoine, s'accointa d'une sienne voisine; et de la noise et debat qui entre elles sourdit pour l'amour du mestier dont elles estoient, comme vous orrez cy après.
La nonante et troisiesme nouvelle, d'une gente femme mariée qui faignoit à son mary d'aler en pelerinaige pour soy trouver avec le clerc de la ville, son amoureux, avec lequel son mary la trouva; et de la manière qu'il tint quant ensemble les vit faire le mestier que vous savez.
La nonante et quatriesme nouvelle, d'ung curé qui portoit courte robe comme font ces galans à marier; pour laquelle cause il fut cité devant son juge ordinaire, et de la sentence qui en fut donnée; aussi la deffense qui lui fut faicte, et des autres tromperies qu'il fist après, comme vous orrez plus à plain.
xlijLa nonante et cinquiesme nouvelle, d'ung moyne qui faignit estre trèsfort malade et en dangier de mort, pour parvenir à l'amour d'une sienne voisine, par la manière qui cy après s'ensuit.
La nonante et sisiesme nouvelle, d'ung simple et riche curé de villaige, qui par sa simplesse avoit enterré son chien ou cymetière; pour laquelle cause il fut cité par devant son evesque; et comme il bailla la somme de cinquante escuz d'or au dit evesque; et de ce que l'evesque luy en dit, comme pourrés ouyr cy dessoubz.
La nonante et septiesme nouvelle, par monseigneur de Launoy, d'une assemblée de bons compaignons faisant bonne chère à la taverne et buvans d'autant et d'autel, dont l'un d'iceulx se combatit à sa femme, quant en son hostel fut retourné, comme vous orrez.
La nonante et huitiesme nouvelle, par l'acteur, d'un chevalier des marches de France, lequel avoit de sa femme une fille, belle damoiselle eagée de xv à xvij ans ou environ; mais, pour ce que son père la vouloit marier à ung ancien chevalier, elle s'en alla avec ung aultre jeune chevalier, son serviteur en amours, en tout bien et honneur. Et comment, par merveilleuse fortune, ilz finirent tous deux piteusement, comme vous orrez.
La nonante et nefviesme nouvelle, par Philipe de Loan, d'un evesque d'Espaigne qui par defaulte de poisson mengea deux perdriz en ung vendredi; et comment il dist à ses gens qu'il les avoit convertiz par parolles de char en poisson, comme cy dessous vous sera recordé.
La centiesme et derrenière de ces nouvelles, par l'acteur, d'un riche marchant de la cité de Jennes, qui se maria à une belle et jeune fille, laquelle, pour la longue absence de son mary, et par son xliijmesme advertissement, manda quérir ung sage clerc pour la secourir de ce dont elle avoit mestier; et de la response qu'il luy donna, comme cy après pourrez ouyr.
En la ville de Valenciennnes eut
naguères ung notable bourgois,
en son temps receveur de Haynau,
lequel entre les autres fut
renommé de large et discrète prudence,
et entre ses loables vertuz celle de liberalité
ne fut pas la maindre, car par icelle
vint en la grace des princes, seigneurs et aultres
gens de tous estaz. En ceste eureuse felicité
Fortune le maintint et soustint jusques en
la fin de ses jours. Devant et après que la mort
l'eust destaché de la chayne qui à mariage
l'accouploit, le bon bourgois cause de ceste
histoire n'estoit point si mal logé en la dicte
ville que ung bien grand maistre ne se tenist
pour content et honoré d'avoir ung tel
logis. Et entre les desirez et loez edifices, sa
maison descouvroit sur pluseurs rues; et de
fait avoit une petite posterne vis à vis de laquelle
demouroit ung bon compaignon qui
trèsbelle femme et gente avoit et encores en
meilleur point. Et, comme il est de coustume,
les yeulx d'elle, archiers du cueur, descochèrent
2tant de flèches en la personne dudit bourgois
que sans prochain remède son cas n'estoit
pas maindre que mortel. Pour laquelle
chose seurement obvier, trouva par pluseurs
et subtiles fassons que le bon compaignon,
mary de ladicte gouge, fut son amy trèsprivé
et familier; et tant que pou de disners, de
souppers, de bancquetz, de baings d'estuves,
et aultres telz passetemps, en son hostel et ailleurs,
ne feissent jamais sans sa compaignie. Et
à ceste occasion se tenoit nostre compaignon
bien fier et encores autant eureux. Quand
nostre bourgois, plus subtil que ung regnard,
eust gaigné la grace du compaignon, bien pou
se soucya de parvenir à l'amour de sa femme;
et en pou de jours tant et si trèsbien laboura
que la vaillant femme fut contente d'oyr et
entendre son cas. Et, pour y bailler remède
convenable, ne restoit mais que temps et lieu;
et fut à ce menée qu'elle luy promist que, tantost
que son mary iroit quelque part dehors
pour sejourner une nuit, elle incontinent l'en
advertiroit. A chef de peche, ce desiré jour
fut assigné, et dist le compaignon à sa femme
qu'il s'en alloit à ung chasteau loingtain de
Valenciennes environ trois lieues, et la chargea
de bien se tenir à l'ostel et garder la maison,
pource que ses affaires ne povoient souffrir
que celle nuyt il retournast. S'elle en fut
bien joyeuse, sans en faire semblant en paroles,
en manière, ne aultrement, il ne le fault
jà demander. Il n'avoit pas cheminé une lieue
quand le bourgois sceut ceste adventure de
3pieça desirée. Il fist tantost tirer les baings,
chauffer les estuves, faire pastez, tartres et
ypocras, et le surplus des biens de Dieu, si
largement que l'appareil sembloit ung droit
desroy. Quand vint sur le soir, la posterne
fut desserrée, et celle qui pour la nuit le guet
y devoit saillit dedans; et Dieu scet s'elle
ne fut pas trèsdoulcement receue. Je passe
en bref, et espère plus qu'ilz ne firent pluseurs
devises d'entre ceulx qui n'avoient pas
eue ceste eureuse journée à leur première volunté.
Après ce que en la chambre furent descenduz,
tantost se boutèrent ou baing, devant
lequel le beau soupper fut en haste couvert
et servy. Et Dieu scet qu'on y beut d'autant
et souvent et largement. Des vins et viandes
parler ne seroient que redittes; et, pour
trousser le compte court, faulte n'y avoit que
du trop. En ce trèsglorieux estat se passa la
pluspart de ceste doulce et courte nuyt: baisiers
donnez, baisiers renduz, tant et si longuement
que chacun ne desiroit que le lit.
Tandiz que ceste grande chière se faisoit, et
veez cy jà retourné de son voyage bon mary,
non querant ceste sa bonne adventure, qui
heurte bien fort à l'huys de la chambre. Et,
pour la compaignie qui y estoit, l'entrée du
prinsault luy fut refusée jusques ad ce qu'il
nommast son parain. Adonc il se nomma hault
et cler, et bien l'entendirent et cogneurent sa
bonne femme et le bourgois. Elle fut tant fort
esserrée à la voix de son mary que à pou
que son loyal cueur ne failloit; et ne savoit jà
4plus sa contenance, si le bon bourgois et ses
gens ne l'eussent reconfortée. Le bon bourgoys,
tout asseuré, et de son fait trèsadvisé,
la fist bien à haste coucher, et au plus près
d'elle se bouta, et luy chargea bien qu'elle se
joignist près de luy et caichast le visage qu'on
n'en puisse rien appercevoir. Et, cela fait au
plus bref qu'on peut, sans soy trop haster, il
commenda ouvrir la porte. Et le bon compaignon
sault dedans la chambre, pensant en soy
que aucun mistère y avoit, qui devant l'huys
l'avoit retenu. Et, quand il vit la table chargée
de vins et de grandes viandes, ensemble le
beau baing très bien paré, et le bourgois en
très beau lit encourtiné avec sa secunde personne,
Dieu scet s'il parla hault et blasonna bien
les armes de son bon voisin. Or l'appelle ribauld,
après loudier, après putier, après yvroigne; et
tant bien le baptise que tous ceulx de la chambre
et luy avec s'en rioient bien fort. Mais sa
femme à ceste heure n'avoit pas ce loisir, tant
estoient ses lèvres empeschées de se joindre
près de son amy nouvel. «Ha! dist-il, maistre
houllier, vous m'avez bien celée ceste bonne
chére; mais, par ma foy, si je n'ay esté à la
grande feste, si fault-il bien qu'on me monstre
l'espousée.» Et à cest cop, tenant la chandelle
en sa main, se tire près du lit; et jà se
vouloit avancer de hausser la couverture soubz
laquelle faisoit grand penitence en silence sa
très parfecte et bonne femme, quand le bourgois
et ses gens l'en gardèrent; dont il ne se
contentoit pas, mais à force, malgré chascun,
5toujours avoit la main au lit. Mais il ne fut
pas maistre lors, ne creu de faire son vouloir,
et pour cause. Mais ung appoinctement trèsgracieux
et bien nouveau au fort le contenta,
qui fut tel: le bourgois fut content que luy
monstrast à descouvert le derrière de sa femme,
les rains et les cuisses, qui blanches et grosses
estoient, et le surplus bel et honeste, sans
rien decouvrir ne veoir du visage. Le bon
compagnon, tousjours la chandelle en sa
main, fut assez longuement sans dire mot.
Et, quand il parla, ce fut en loant beaucop la
trèsgrande beaulté de ceste sa femme; et afferma
par ung bien grand serment que jamais
n'avoit veu chose si trèsbien ressembler le
cul de sa femme; et, s'il ne fust bien seur
qu'elle fust à son hostel à ceste heure, il diroit
que c'est elle! Elle fut tantost recouverte,
et il se tire arrière, assez pensif; mais Dieu
scet si on luy disoit bien, puis l'un, puis l'aultre,
que c'estoit de luy mal cogneu, et à sa
femme pou d'honneur porté, et que c'estoit
bien aultre chose, comme cy après il pourra
veoir. Pour refaire les yeulx abusez de ce
pouvre martir, le bourgois commenda qu'on
le feist seoir à la table, où il reprint nouvelle
ymaginacion par boire et menger largement
du demourant du soupper de ceulx qui entretant
ou lit se devisoient à son grand prejudice.
L'eure vint de partir, et donna la bonne
nuyt au bourgois et à sa compaignie; et pria
moult qu'on le boutast hors de leans par la
posterne, pour plustost trouver sa maison.
6Mais le bourgois lui respondit qu'il ne saroit
à ceste heure trouver la clef; pensoit aussi
que la serure fust tant enrouillée qu'on ne la
pourroit ouvrir, pour ce que nulle foiz ou pou
souvent s'ouvroit. Il fut au fort content de
saillir par la porte de devant et d'aller le grand
tour à sa maison; et, tantdiz que les gens du
bourgois le conduisoient vers la porte, tenant
le boc en l'eaue pour deviser, la bonne femme
fut vistement mise sur piez, et en pou d'heure
habillée et lassée de sa cotte simple, son corset
en son bras, et venue à la posterne; ne
fist que ung sault en sa maison, où elle attendoit
son mary, qui le long tour venoit, trésadvisée
de son fait et de ses manières qu'elle
devoit tenir. Véez cy nostre homme, voyant
encores la lumière en sa maison, hurte à l'huys
assez rudement. Et sa bonne femme, qui mesnageoit
par léans, en sa main tenant ung ramon,
demande ce qu'elle bien scet: «Qui est-ce là?»
Et il respond: «C'est vostre mary.—Mon
mary! dist-elle: mon mary n'est-ce pas; il
n'est pas en la ville.» Et il hurte de rechef
et dit: «Ouvrez, ouvrez, je suis vostre mary.—Je
cognois bien mon mary, dit-elle; ce
n'est pas sa coustume de soy enclorre si tard,
quand il seroit en la ville; allez ailleurs, vous
n'estes pas bien arrivé; ce n'est point séans
qu'on doit hurter à ceste heure.» Et il hurte
pour la tierce, et l'appella par son nom, une
foiz, deux foiz. Et adonc fist-elle aucunement
semblant de le cognoistre, en demandant dont
il venoit à ceste heure. Et pour response ne
7bailloit aultre que: «Ouvrez, ouvrez!»—«Ouvrez,
dit-elle, encores n'y estes-vous pas,
meschant houllier? Par la force sainte Marie,
j'aymeroie mieulx vous veoir noyer que séans
vous bouter. Alez coucher en mal repos dont
vous venez.» Et lors bon mary de se courroucer;
et fiert tant qu'il peut de son pié contre
la porte, et semble qu'il doit tout abatre, et
menace sa femme de la tant batre que c'est
rage, dont elle n'a guères grand paour; mais
au fort, pour abaisser la noise et à son aise
mieulx dire sa volunté, elle ouvrit l'huys, et,
à l'entrée qu'il fist, Dieu scet s'il fut servy
d'une chére bien rechignée, et d'un agu et
bien enflambé visage. Et, quand la langue
d'elle eut povoir sur le cueur trèsfort chargé
d'ire et de courroux, par semblant les parolles
qu'elle descocha ne furent pas mains trenchans
que rasoirs de Guingant bien affillez.
Et entre aultres choses fort luy reproucha
qu'il avoit par malice conclu ceste faincte allée
pour l'esprouver, et que c'estoit fait d'un
lasche et recreant courage d'homme, indigne
d'estre allyé à si preude femme comme elle. Le
bon compaignon, jà soit ce qu'il fust fort courroucé
et mal meu par avant, toutesfoiz, pour
ce qu'il voit son tort à l'œil et le rebours de
sa pensée, refraint son ire, et le courroux
qu'en son cueur avoit conceu, quand à sa porte
tant hurtoit, fut tout à coup en courtois parler
converty. Car il dit pour son excuse, et
pour sa femme contenter, qu'il estoit retourné
de son chemin pource qu'il avoit oublyé la
8lettre principale touchant le fait de son voyage.
Sans faire semblant de le croire, elle recommence
sa grande legende dorée, luy mettant
sus qu'il venoit de la taverne et des estuves et
des lieux deshonnestes et dissoluz, et qu'il se
gouvernoit mal en homme de bien, maudisant
l'eure qu'oncques elle eut son accointance,
ensemble et sa trèsmaudicte allyance. Le
pouvre désolé, cognoissant son cas, voyant
sa bonne femme trop plus qu'il ne voulsist
troublée, helas! et à sa cause, ne savoit que
dire. Si se prend à meiser, et, à chef de sa meditacion,
se tire près d'elle, plorant, ses genoulz
tout en bas sur la terre, et dist les
beaulx motz qui s'ensuyvent: «Ma trèschère
compaigne et trèsloyale espouse, je vous
requier et prie, ostez de vostre cueur tout
courroux que avez vers moy conceu, et me
pardonnez au surplus ce que je vous puis
avoir meffait. Je cognois mon tort, je cognois
mon cas, et viens naguères d'une place où
l'on faisoit bonne chère. Si vous ose bien dire
que cognoistre vous y cuidoye, dont j'estoye
trèsdesplaisant. Et pour ce que à tort et sans
cause, je le confesse, vous avoie suspessonnée
d'estre aultre que bonne, dont me repens
amerement, je vous supplie et de rechef que
tout aultre passé courroux, et cest icy, vous
obliez, vostre grace me soit donnée, et me
pardonnez ma folie.» Le maltalant de nostre
bonne gouge, voyant son mary en bon ploy
et à son droit, ne se monstra meshuy si aspry
ne si venimeux: «Comment, dist-elle, villain
9putier, si vous venez de vos trèsinhonestes
lieux et infames, est-il dit pourtant que vous
devez oser penser ne en quelque fasson croire
que vostre preude femme les daignast regarder?—Nenny,
par Dieu; helas! ce sçay-je
bien, m'amye; n'en parlez plus, pour Dieu»,
dist le bon homme. Et de plus belle vers elle
s'incline, faisant la requeste pieça trop dicte.
Elle, jasoit qu'encores marrye et enragée de
ceste suspicion, voyant la parfecte contrition
du bon homme, cessa son dire, et petit à petit
son troublé cueur se remist à nature, et
pardonna, combien que à grand regret, après
cent mille seremens et autant de promesses, à
celuy qui tant l'avoit grevé. Et par ce point
à mains de crainte et de regret se passa
maintesfois depuis ladicte posterne, sans ce
que l'embusche fust jamais descouverte à celuy
à quy plus touchoit. Et ce souffise quant à
la première histoire.
En la maistresse ville d'Angleterre,
nommée Londres, assez hantée et
congneue de pluseurs gens, n'a
pas long temps demouroit ung riche
et puissant homme qui marchant et bourgois
10estoit, qui entre ses riches bagues et tresors
innombrables s'esjoissoit plus enrichy d'une
belle fille que Dieu luy avoit envoyée que du
bien grand surplus de sa chevance, car de
bonté, beaulté, et genteté, passoit toutes les
filles d'elle plus eagées. Et ou temps que ce
très eureux bruyt et vertueuse renommée d'elle
sourdoit, en son quinziesme an ou environ,
Dieu scet si pluseurs gens de bien desiroient
et pourchassoient sa grace par plusieurs et
toutes fassons en amours acoustumées, qui
n'estoit pas ung plaisir petit au père et à la
mère d'elle. Et à ceste occasion de plus en
plus croissoit en eulz l'ardent et paternel
amour que à leur trèsbelle et trèsamée fille
portoient. Advint toutesfois, ou car Dieu le
permist, ou car Fortune le voult et commenda,
envieuse et mal contente de la prosperité de
celle belle fille, ou de ses parens, ou de tous
deux ensemble, ou espoir par une secrète
cause et raison naturelle, dont je laisse l'inquisition
aux philosophes et medicins, qu'elle
cheut en une desplaisante et dangereuse maladie
que communement l'on appelle broches.
La doulce maison fut trèslargement troublée,
quand en la garenne que plus chère tenoient
lesdictz parens, avoient osé lascher les levriers
et limiers à ce desplaisant mal, et que
plus est, toucher sa proye en dangereux et
dommageable lieu. La pouvre fille, de ce
grand mal toute affolée, ne scet sa contenance
que de plourer et souspirer. Sa trèsdolente
mère est si trèsfort troublée que d'elle il n'est
11rien plus desplaisant; et son trèsennuyé père
destort ses mains, ses cheveux detire, pour la
grand rage de ce nouvel courroux. Que vous
diray-je? toute la grand triumphe qui en cest
hostel souloit comblement abunder est par ce
cas abatue et ternye, et en amère et subite
tristece à la male heure converty. Or viennent
les parens, amys et voisins de ce dolent hostel
visiter et conforter la compaignie; mais
pou ou rien y prouffite, car de plus en plus
est aggressée et opprimée la pouvre fille de ce
mal. Or vient une matrone qui moult et trop
enquiert de ceste maladie; et fait virer et revirer
puis çà, puis là, la trèsdolente paciente,
à trèsgrand regret, Dieu le scet, et puis la
medecine de cent mille fassons d'herbes; mais
riens; plus vient avant et plus empire; c'est
force que les medicins de la ville et d'environ
soient mandez, et que la pouvre fille descouvre
son trèspiteux cas. Or sont venuz
maistre Pierre, maistre Jehan, maistre cy,
maistre là, tant de phisiciens que vous vouldrez,
qui veullent veoir la paciente ensemble,
et les parties du corps à descouvert où ce
maudit mal de broches s'estoit, helas! longuement
embusché. Ceste pouvre fille, autant
prinse et esbahie que si à la mort fust adjugée,
ne se vouloit accorder nullement qu'on la
meist en fasson que son mal fust apperceu,
mesmes amoit plus cher morir que ung tel secret
fust à nul homme decelé. Ceste obstinée
volunté ne dura pas gramment, quand père
et mère vindrent, qui pluseurs remonstrances
12luy firent, comme de dire qu'elle pourroit
estre cause de sa mort, qui n'est pas ung petit
peché, et pluseurs aultres mistères trop longs
à racompter. Finablement, trop plus pour à
père et à mère obéir que pour crainte de sa
mort vaincue, la pouvre fille se laissa ferrer;
et fut mise sur une cousche, les dens dessoubz,
et son corps tant et si trèsavant descouvert
que les medicins virent apertement le
grant meschef qui fort la tormentoit. Ilz ordonnèrent
son regime, font faire aux apothicaires
clistères, pouldres, oignemens, et le
surplus que bon leur sembla; et elle prend et
fait tout ce qu'on voult pour recouvrer santé.
Mais rien n'y vault, car il n'est tour ne engin
que les dictz medecins sachent pour alleger
quelque pou de ce destresseux mal, ne en
leurs livres n'ont veu ne accoustumé, que si
trèsfort la pouvre fille empire avecques l'ennuy
qu'elle s'en donne que autant semble
morte que vive. En ceste aspre doleur et langueur
forte se passèrent mains jours. Et comme
le père et la mère, parens et voisins s'enqueroient
par tout pour l'allegence de la fille,
fut rencontré ung ancien cordelier qui borgne
estoit, et en son temps avoit veu moult de
choses, et de sa principale science se mesloit
fort de medicine, dont sa presence fut plus
agreable aux parens de la paciente, laquel,
helas! à tant de regret que dessus, regarda
tout à son beau loisir, et se fist fort de la garir.
Pensez qu'il fut trèsvoluntiers oy, et tant
que la dolente assemblée, qui de lyesse pieça
13bannye estoit, fut à ce point quelque pou consolée,
esperant l'effect sortir tel que à sa parolle
le touchoit. Il part de léans, et prend
jour à demain de retourner pourveu et garny
de medicine si trèsvertueuse qu'elle en pou
d'heure effacera la grand douleur et le martire
qui debrise et gaste la pouvre paciente. La
nuyt fut beaucop longue, attendant ce jour
desiré; neantmains passèrent tant d'heures à
quelque peine que ce fust, que nostre bon
cordelier fut acquitté de sa promesse par soy
rendre devers la paciente à l'heure assignée.
S'il fut bien doulcement et autretant joyeusement
receu, pensez que oy. Et quand vint
l'heure qu'il voult besoigner et la paciente mediciner,
on la print comme autrefois, et sur
la cousche tout au plus bel qu'on peut fut à
bouchons couschée, et son derrière descouvert
assez avant, lequel fut incontinent par matrones
d'ung beau blanc drap de linge garny,
tapissé et armé; et à l'endroit du secret mal
fut fait ung beau pertus, par le quel damp
cordelier le povoit apertement choisir. Il regarde
ce mal puis d'un costé, puis d'aultre;
maintenant le touche d'un doy tant doulcement,
une aultre foiz y souffle la pouldre dont
mediciner la vouloit; or regarde le tuyau dont
il voult souffler ladicte pouldre par dessus et
dedans le mal; ore retourne arrière et jette
l'œil de rechef sur ce dit mal, et ne se peut
saouler de assez regarder. A chef de peche, il
prend sa pouldre à la main gauche, mise en
ung beau petit vaisseau plat, et de l'aultre son
14tuyau que emplir vouloir de la dicte pouldre,
et comme il regardoit trèsententivement
et de trèsprès par ce pertus et à l'environ le
destresseux mal de la pouvre fille, si ne se
peut elle contenir, voyant l'estrange fasson de
regarder à tout ung œil de nostre cordelier,
que force de rire ne la surprint, qu'elle cuida
longuement retenir; mais si mal, helas! luy advint,
que ce ris à force retenu fut converty en ung
sonnet dont le vent retourna si très à point la
pouldre que la pluspart il fist voler contre le visage
et sur l'œil de ce bon cordelier, lequel sentent
ceste doleur, habandonna tantost et vaissel
et tuyau; et à peu qu'il ne cheut à la renverse,
tant fut fort effrayé. Et quand il reut
son sang, il met tout à haste la main à son
œil, soy plaignant durement, disant qu'il estoit
homme deffait et en dangier de perdre
ung bon œil qu'il avoit. Il ne mentit pas, car
en pou de jours la pouldre, qui corrosive estoit,
luy gasta et mengea l'œil, et par ce point
aveugle fut et demoura. Si se fist guider et
mener ung jour jusques à l'ostel où il conquist
ce beau butin; et firent tant ses guides
qu'ilz parlèrent au maistre de léans, auquel il
remonstra son piteux cas, priant et requerant,
ainsi que droit le porte, qu'il luy baille et assigne,
ainsi que à son estat appartient, sa vie
honnorablement. Le bourgois luy respondit
que de ceste son adventure beaucop luy desplaisoit,
combien que en rien il n'en soit cause,
n'en quelque fasson que ce soit chargé ne s'en
ient. Trop bien est il content pour pitié et
15aumosne luy faire quelque gracieuse aide
d'argent, pource qu'il avoit entrepris de garir
sa fille, ce qu'il n'a pas fait; car à luy ne
veult en riens estre tenu; luy veult bailler autant
en somme que s'il eust sa fille en santé
rendue, non pas, comme dit est, qu'il soit
tenu de ce faire. Damp cordelier, non content
de ceste offre, demande qu'il luy assigne sa
vie, remonstrant tout premier comme la fille
l'avoit aveuglé en sa presence et d'aultres
pluseurs, et à ceste occasion estoit privé de la
digne et trèssaincte consecracion du precieux
corps de Jhésus, du saint service de l'Eglise,
et de la glorieuse inquisicion des docteurs que
escript ilz ont sur la saincte Escripture; et par
ce point de predicacion plus ne povoit servir
le peuple, qui estoit sa totale destruction, car
mendiant estoit, et non fondé sinon sur aumosnes,
que plus conquester il ne povoit.
Quelque chose qu'il allègue ne remonstre, il
ne peut finer d'aultre response que ceste presente.
Si se tira par devers la justice du
parlement du dit Londres, devant lequel fut
baillé jour à nostre homme dessus dit. Et quand
vint l'heure de plaider sa cause par ung bon
advocat bien informé de ce qu'il devoit dire,
Dieu scet que pluseurs se rendirent au consistoire
pour oyr ce nouvel procès, qui beaucop
pleut aux seigneurs du dit parlement, tant
pour la nouvelleté du cas que pour les allegations
et argumens des parties devant eulz debatans,
qui non accoustumées mais plaisantes
estoient. Ce procès tant plaisant et nouveau,
16affin qu'il fust de pluseurs gens congneu, fut
en suspens tenu et maintenu assez et longuement;
non pas que à son tour de rolle ne fust
bien renvoyé et mis en jeu, mais le juger fut
differé jusques à la fasson de cestes. Et par ce
point celle qui auparavant par sa beauté, bonté
et genteté congneue estoit de pluseurs gens,
devint notoire à tout le monde par ce mauldit
mal de broches, dont en la fin fut garie, ainsi
que puis me fut compté.
En la duché de Bourgoigne eut naguères
ung gentil chevalier dont l'ystoire
presente passe le nom, qui
maryé estoit à une belle et gente
dame. Et assez près du chasteau où le dit
chevalier faisoit residence demouroit ung musnier,
pareillement à une belle, gente et jeune
femme marié. Advint une fois entre les aultres
que comme le chevalier, pour passer temps et
prendre son esbatement, se pourmenast à
l'environ de son hostel et du long de la rivière
sur laquelle estoient assis lesdictz hostel
et molin du dit musnier, qui à ce coup n'estoit
pas à l'ostel, mais à Dijon ou à Beaune, il
perceut et choisit la femme du dit musnier
17portant deux cruches et retournant de la rivière
de quérir de l'eaue. Si s'avança vers elle
et doulcement la salua; et elle, comme sage
et bien aprinse, luy fist honneur et la reverence
comme il appartenoit. Nostre chevalier,
voyant ceste musnière très-belle et en bon
point, mais de sens assez escharsement hourdée,
s'approucha de bonnes et luy dist: «Certes,
m'amye, j'apperçoy bien que vous estes
malade et en grand péril.» Et à ces parolles la
musnière s'approucha et dist: «Helas! monseigneur,
et que me fault il?—Vrayement, m'amye,
j'apperçoy bien que si vous cheminez
guères avant, que vostre devant est en trèsgrand
dangier de cheoir; et vous ose bien dire
que vous ne le porterez guères longuement
qu'il ne vous chiège, tant m'y cognois-je.» La
simple musnière, oyant les parolles de monseigneur,
devint très ebahie et courroucée,
ebahie comment monseigneur povoit savoir
ne veoir ce meschef advenir, et courroucée
d'oyr la perte du meilleur membre de son
corps; et dont elle se servoit le mieulx, et son
mary aussi. Si respondit: «Helas! monseigneur,
et que dictes vous et à quoy congnoissez
vous que mon devant est en dangier de
cheoir? Il me semble qu'il tient tant bien.—Dya,
m'amye, respondit monseigneur, suffise
vous à tant, et soiez seure que je vous dy la
verité, et ne seriez pas la première à qui le
cas est advenu.—Helas! dist-elle, monseigneur,
or suis je bien femme deffaicte, deshonorée
et perdue; et que dira mon mary,
18nostre Dame! quand il saura ce meschef? Il ne
tiendra plus comte de moi.—Ne vous desconfortez
que bien à point, m'amye, dist monseigneur;
encores n'est pas le cas advenu:
aussi il y a de beaulx remèdes.» Quand la
jeune musnière oyt qu'on trouveroit bien remède
en son fait, le sang luy commence à revenir;
et, ainsi qu'elle scet, prie à monseigneur,
pour Dieu! que de sa grace luy veille
enseigner qu'elle doit faire pour garder ce
pouvre devant de cheoir. Monseigneur, qui
trèscourtois et gracieux estoit, mesmement
tousjours vers les dames, luy dist: «M'amye,
pource que vous estes belle fille et bonne, et que
j'ayme bien vostre mary, il me prend pitié et
compassion de vostre fait; si vous enseigneray
comment vous garderez vostre devant.—Helas!
monseigneur, je vous en mercy, et certes
vous ferez une euvre bien meritoire, car autant
me vauldroit non estre que de vivre sans mon
devant. Et que doy je dont faire, monseigneur?—M'amye,
dist-il, affin de garder vostre devant
de cheoir, le remède si est que plus tost
et souvent que pourrez le facez recoigner.—Recoigner,
monseigneur? et qui le saroit faire?
A qui me fauldroit il parler pour bien faire ceste
besoigne?—Je vous diray, m'amye, respondit
monseigneur, pource que je vous ay advertye
de vostre meschef, qui trèsprochain et
gref estoit, et aussi du remède necessaire pour
obvier aux inconveniens qui sourdre pourroient
à l'occasion de vostre cas, dont je suis
seur que bon gré m'en saurez, je suis content,
19affin de plus en plus nourrir amour entre nous
deux, vous recoigner vostre devant, et le vous
rendrai en tel et si trèsbon estat que par tout le
pourrez seurement porter, sans avoir crainte
ne doubte que jamais il vous puisse cheoir; et
de ce me fais je bien fort.» Si nostre musnière
fut bien joyeuse, il ne le fault pas dire ne demander,
qui mettoit trèsgrand peine du peu
de sens qu'elle avoit de souffisaument mercier
monseigneur. Si marchèrent tant, monseigneur
et elle, qu'ilz vindrent au molin, où ilz ne furent
guères sans mettre la main à l'euvre, car
monseigneur, par sa courtoisie, d'un oustil
qu'il avoit recoigna en peu d'heure troys ou
quatre foiz le devant de nostre musnière, qui
trèslyée et joyeuse en fut. Et après que l'euvre
fut ployé, et de devises ung millier, et jour
assigné d'encores ouvrer à ce devant, monseigneur
part, et tout le beau pas s'en retourna
à son hostel. Au jour nommé se rendit monseigneur
vers la musnière, et, en la fasson que
dessus, le mieulx qu'il peut il s'employa à recoigner
ce devant; et tant et si bien y ouvra,
par continuacion de temps, que ce devant fut
trèstout asseuré et tenoit trèsferme et bien.
Pendent le temps que nostre chevalier recoignoit
et chevilloit le devant de ceste musnière,
le musnier retourna de sa marchandise et fist
grand chère, et aussi fist sa femme. Et comme
ilz eurent devisé de leurs affaires et besoignes,
la trèssage musnière va dire à son mary:
«Par ma foy, sire, nous sommes bien tenuz à
monseigneur de ceste ville.—Voire, m'amye,
20dist le musnier, en quelle fasson?—C'est bien
raison que le vous dye, affin que le sachez
remercier, car vous y estes bien tenu. Il est
vray que tantdiz qu'avez esté dehors, monseigneur
passoit par devant nostre maison une
foiz que à tout deux cruches alloye à la rivière;
il me salua, si feis je luy, et comme je
marchoie, il apperceut, ne sçay comment, que
mon devant ne tenoit comme rien, et qu'il
estoit en trop grand adventure de cheoir; et
le me dist de sa grace, dont je fus si trèsesbahie,
voire, par Dieu! autant courroucée que si tout
le monde fust mort. Le bon seigneur, qui me
veoit en ce point lamenter, en eut trèsgrand
pitié; et de fait il m'enseigna ung bon remède
pour me garder de ce mauldit dangier. Et encores
me fist il bien plus, ce qu'il n'eust pas
fait à une aultre, car le remède dont il m'advertit,
qui estoit de faire recoigner et recheviller
mon devant, affin de le garder de cheoir, lui
mesmes le mist à execucion; qui luy fut trèsgrand
peine et en sua pluseurs foiz, pource
que mon cas requeroit d'estre souvent visité.
Que vous diray je plus? il s'en est tant bien
acquitté que jamais ne luy saurions desservir.
Par ma foy, il m'a tel jour de ceste sepmaine
recoigné les trois, les quatre fois, ung aultre
deux, ung aultre trois; il ne m'a jamais laissée
tant que j'aye esté toute garie; et si m'a
mise en tel estat que mon devant tient à ceste
heure aussi bien et fermement que celui de femme
de nostre ville.» Le musnier, oyant cette
adventure, ne fist pas semblant par dehors tel
21que dedans son cueur portoit, mais, comme s'il
fust bien joyeux, dist à sa femme: «Or çà, m'amye,
je suis bien joyeux que monseigneur nous
a fait ce plaisir, et se Dieu plaist, quand il sera
possible, je feray autant pour luy. Mais toutes
foiz, pource que vostre cas n'estoit pas bien
honeste, gardez vous bien d'en rien dire à
personne, et aussi, puis que vous estes bien
garie, il n'est jà mestier que vous traveillez
plus monseigneur.—Vous n'avez garde, dist la
musnière, que j'en sonne jamais ung mot, car
aussi le me deffendit bien monseigneur.» Nostre
musnier, qui estoit gentil compaignon, ramentevoit
souvent en sa teste la courtoisie que
monseigneur luy avoit faicte, et se conduisit
si bien et si sagement que oncques mon dit
seigneur ne se perceut qu'il se doubtast de la
tromperie qu'il luy avoit faicte, et cuidoit en
soy mesmes qu'il n'en sceust rien. Mais, helas!
si faisoit, et n'avoit ailleurs son cueur, son estude,
ne tous ses pensers, que à se venger
de luy, s'il savoit, en fasson telle ou semblable
qu'il deceust sa femme. Et tant fist par son
engin, qui point oyseux n'estoit, qu'il advisa
une manière par laquelle bien luy sembloit, s'il
en povoit venir à chef, que monseigneur raroit
beurre pour œufs. A chef de peche, pour aucuns
affaires qui survindrent à monseigneur, il
monta à cheval et print de madame congé bien
pour ung moys, dont nostre musnier ne fut
pas moyennement joyeux. Ung jour entre les
aultres, madame eut volunté de se baigner, et
fist tirer le baing et chauffer les estuves en son
22hostel à part, ce que nostre musnier sceut trèsbien,
pource qu'il estoit assez familier léans;
si s'advisa de prendre ung beau brochet qu'il
avoit en sa fosse, et vint au chasteau pour le
presenter à madame. Aucunes femmes de madame
vouloient prendre le brochet, et de par
le musnier en faire present à madame; mais le
musnier trèsbien les en garda, et dist qu'il le
voloit luy mesme à madame presenter, ou
vraiement qu'il le remporteroit. Au fort, pource
qu'il estoit comme de léans et joyeux homme,
madame le fist venir, qui dedans son baing
estoit. Le gracieux musnier fist son present,
dont madame le mercya, et le fist porter en la
cuisine et mectre à point pour le soupper. En
entretant que madame au musnier devisoit, il
apperceut sur le bout de la cuve ung trèsbeau
dyamant et gros qu'elle avoit osté de son doy,
doubtant de l'eaue le gaster. Si le crocqua si
simplement qu'il ne fut de ame apperceu; et
quand il vit son point, il donna la bonne nuyt
à madame et à sa compaignie, et s'en retourne
à son molin, pensant au surplus de son affaire.
Madame, qui faisoit grand chère avecques ses
femmes, voyant qu'il estoit desjà bien tard et
heure de soupper, abandonna le baing et en
son lit se bouta. Et comme elle regardoit ses
braz et ses mains, elle ne vit point son dyamant;
si appella ses femmes et leur demande
ce dyamant, et à laquelle elle l'avoit baillé.
Chacune dist: «Ce ne fut pas à moy.—Ne à
moy.—Ne à moy aussi.» On cherche hault et
bas, dedans la cuve, sur la cuve, et partout;
23mais rien n'y vault, on ne le peut trouver. La
queste de ce dyamant dura longuement, sans
qu'on en sceust oyr nouvelle, dont madame
se donnoit bien mauvais temps, pource qu'il
estoit meschantement perdu et en sa chambre.
Et aussi monseigneur luy donna le jour de ses
espousailles, si l'en tenoit beaucop plus cher. On
n'en savoit qui mescroire, ne à qui le demander,
dont grand dueil sourd par léans. L'une
des femmes s'advisa et dist: «Ame n'est céans
entré que nous qui y sommes et le musnier; si
me sembleroit bon qu'il fust mandé.» On le
mande, et il y vint. Madame, si trèscourroucée
et si desplaisante que plus ne povoit, demanda
au musnier s'il n'avoit pas veu son
dyamant. Et il, autant asseuré en bourdes que
ung aultre à dire vérité, s'excusa trèshaultement,
mesmes osa bien dire à madame s'elle
le tenoit pour larron; à quoy elle respondit
doulcement: «Certes, musnier, nenny; aussi
ce ne seroit pas larrecin si vous aviez par esbatement
mon dyamant emporté.—Madame,
dist le musnier, je vous promectz par ma foy
que de vostre dyamant ne sçay je nouvelles.»
Adonc fut la compaignie bien simple, et madame
specialement, qui en est si trèsdesplaisante
qu'elle ne scet sa contenance que de
gecter larmes à grande abundance, tant a regret
de ceste verge. La triste compaignie se
met au conseil pour savoir qu'il est de faire.
L'une dit qu'il fault qu'il soit en la chambre,
l'aultre dit qu'elle a serché par tout, et que
impossible est qu'il y soit qu'on ne le trouvast,
24attendu que c'est une chose qui à ceste heure
bien se monstre. Le musnier demande à madame
s'elle l'avoit à l'entrée du baing, et elle
dit que si. «S'il est ainsi, certainement, madame,
veue la grande diligence qu'on a faicte de
le querir sans en savoir nouvelle, la chose
est bien estrange. Toutesfoiz, il me semble que
s'il y avoit homme en ceste ville qui sceust
donner conseil pour le retrouver, que je seroye
celuy; et, pource que je ne vouldroye pas
que ma science fust descouverte ne cogneue
de pluseurs, il seroit expedient que je parlasse
à vous à part.—A cela ne tiendra pas», dist
madame. Si fist partir la compaignie, et au
partir que firent les femmes dirent dame Jehanne,
dame Ysabeau et Katherine: «Helas!
musnier, que vous serez bon homme si vous
faictes revenir ce dyamant.—Je ne m'en fays
pas fort, dist le musnier; mais j'ose bien dire,
s'il est possible de jamais le trouver, que j'en
apprendray la manière.» Quand il se vit à part
avec madame, il luy dist qu'il se doubtoit trèsfort
et pensoit certainement, puisque à l'arriver
au baing elle avoit son dyamant, qu'il ne fust
sailly de son doy et cheut en l'eaue, et dedans
son corps se bouté, attendu qu'il n'y
avoit ame qui le voulsist retenir. Et la diligence
faicte pour le trouver, si fist madame monter
sur son lit, ce qu'elle eust voluntiers refusé si
ce ne fust pour mieulx faire. Et après ce qu'il
l'eut assez avant descouverte, fist comme manière
de regarder çà et là, et dist: «Seurement,
madame, le dyamant est entré en vostre corps.25—Et
dictes vous, musnier, que l'avez appercéu?—Oy,
vrayement.—Helas! dit-elle, et
comment le pourra l'on tirer?—Trèsbien,
madame; je ne doubte pas que je n'en vienne
bien à chef, s'il vous plaist.—Ainsi m'ayde
Dieu, il n'est chose que je ne face pour le ravoir,
dist madame; or vous avancez, beau
musnier.» Madame, encores sur le lit couschée,
fut mise par le musnier tout en telle fasson
que monseigneur mettoit sa femme quand il
luy recoignoit son devant, et d'un tel oustil
fit il la tente pour querir et pescher le dyamant.
Après les reposées de la première et
deuxiesme queste que le musnier fist du dyamant,
madame demande s'il l'avoit point senty.
Et il dist que oy, dont elle fut bien joyeuse, et
luy pria qu'il peschast encores tant qu'il l'eust
trouvé. Pour abreger, tant fist le bon musnier
qu'il rendit à madame son trèsbeau dyamant,
dont trèsgrand joye vint par léans; et n'eut
jamais musnier tant d'honneur ne d'avancement
que madame et ses femmes luy donnèrent.
Ce bon musnier, en la trèsbonne grace de
madame après la trèsdesirée conclusion de sa
haulte entreprinse, part de léans, et vint en sa
maison sans soy vanter à sa femme de sa nouvelle
adventure, dont il estoit plus joyeux que
s'il eust tout le monde gaigné. La Dieu mercy,
petit de temps après, monseigneur revint en sa
maison, où il fut doulcement receu et de madame
humblement bienvenu, laquelle, après
pluseurs devises qui au lit se font, luy compta
la trèsmerveilleuse adventure de son dyamant,
26et comment il fut de son corps par le
musnier repesché; et, pour abregier, tout du
long luy compta le procès, la fasson et la manière
que tint le dit musnier en la queste du
dit dyamant, dont il n'eut guères grand joye,
mais se pensa que le musnier luy avoit baillée
belle. A la première fois qu'il rencontra le bon
musnier, il le salua haultement et dist: «Dieu
gard, Dieu gard ce bon pescheur de dyamant!»
A quoy le bon musnier respondit: «Dieu gard,
Dieu gard ce recoigneur de cons!—Par nostre
Dame! tu dis vray, dist le seigneur; tays toy
de moy et si ferai-je de toy.» Le musnier fut
content, et jamais plus n'en parla; non fist le
seigneur, que je sache.
Le roy estant naguères en sa ville de Tours, ung gentil compaignon escossois,
archier de son corps et de sa
grand garde, s'enamoura trèsfort
d'une trèsbelle et gente damoiselle mariée et
mercière, et, quand il sceut trouver temps et
lieu, le mains mal qu'il peut compta son
trèsgracieux et piteux cas, auquel ne fut pas
bien respondu à son avantage, dont il n'estoit
pas trop content ne joyeux. Neantmains, car
27il avoit la chose fort au cueur, ne laissa pas sa
poursuite, ainçois de plus en plus et trèsaigrement
pourchassa tant que la damoiselle, le
voulant enchasser et donner le total congié,
luy dist qu'elle advertiroit son mary du pourchaz
deshoneste et damnable qu'il s'efforçoit
d'eschever, ce qu'elle fist tout au long. Le mary,
bon et sage, preu et vaillant, comme après
vous sera compté, se courroussa amerement encontre
l'Escossois qui deshonorer le vouloit et
sa trèsbonne femme aussi; et, pour bien se
venger de luy et à son aise et sans reprinse,
commenda à sa femme que s'il retournoit plus à
sa queste, qu'elle luy baillast et assignast jour,
et, s'il estoit si fol que d'y comparoir, le blasme
qu'il luy pourchassoit luy seroit cher vendu.
La bonne femme, pour obéir au bon plaisir
de son mary, dist que si feroit elle. Il ne demoura
guères que le pouvre Escossois amoureux
fist tant de tours qu'il vit en place nostre
mercière, qui fut par luy humblement saluée,
et de rechef d'amours si doulcement priée que
les requestes du par avant devoient bien estre
enterinées par la conclusion de ceste piteuse
et derrenière; qui le oyoit, jamais femme ne fut
plus loyalement obéye ne servye qu'elle seroit,
si de sa grace vouloit passer sa trèshumble
et raisonnable requeste. La belle mercière,
recordant de la leczon que son mary
luy bailla, voyant aussi l'heure propice, entre
aultres devises et pluseurs excusations servans
à son propos, bailla journée à l'Escossois au
lendemain au soir de comparoir personnellement
28en sa chambre, pour en ce lieu luy dire
plus celéement le surplus de son intencion et
le grand bien qu'il luy vouloit. Pensez qu'elle
fut haultement merciée, doulcement escoutée,
et de bon cueur obéye de celuy qui, après ces
nouvelles bonnes, laissa sa dame le plus
joyeux que jamais il avoit. Quand le mary
vint à l'ostel, il fut servy de prinsault comme
l'Escossois fut léans, des parolles et grandes
offres qu'il fist; et en conclusion, qui mieulx
vault, comment il se rendra demain au soir
devers elle en sa chambre. «Or le laissez venir,
dist le mary; il ne fist jamais si folle entreprise,
que je luy cuide monstrer avant qu'il
parte, voire et son grant tort faire confesser,
pour estre exemple aux aultres folz oultrecuidez
et enragez comme luy.» Le soir du lendemain
approucha, très désiré du pouvre Escossois
amoreux pour venir et joir de sa dame,
trèsdésiré du bon mercier pour accomplir la
trèscriminale vengence qu'il veult executer
en la personne de celuy qui veult estre son
lieutenant; trèsredoubté aussi de la bonne
femme, qui, pour obéir à son mary, attend de
veoir ung grand hutin. Au fort, chascun s'appreste:
le mercier se fait armer d'un grand,
lourd et vieil harnois, prend sa salade, ses
ganteletz, et en sa main une grand hache. Or
est il bien en point, Dieu le set, et semble
bien que aultres fois il ait veu hutin. Comme
ung champion venu sur les rencs de bonne
heure et attendant son ennemy, en lieu de pavillon
se va mectre derrière ung tapis en la
29ruelle de son lit, et si trèsbien se caicha qu'il
ne povoit estre apperceu. L'amoureux malade,
sentent l'heure trèsdesirée, se met au chemin
devers l'ostel à la mercière; mais il n'oblya
pas sa grande, forte et bonne espée à deux
mains. Et comme il fut venu léans, la dame
monte en sa chambre sans faire effroy, et il la
suyt tout doulcement. Et quand il s'est trouvé
léans, il demande à sa dame si en sa chambre
y avoit aultre qu'elle. A quoy elle respondit
assez laschement et estrangement, et
comme non trop asseurée, que non. «Dictes
verité, dist l'Escossois; vostre mary n'y est il
pas?—Nenny, dist-elle.—Or le laissez venir;
par sainct Trignan! s'il y vient, je luy
fendray la teste jusques aux dens; voire par
Dieu! s'il estoient trois, j'en seray bien maistre
hardiment.» Et après ces criminelles parolles,
vous tire hors du fourreau sa grande et bonne
espée, et si la fait brandir trois ou quatre foiz,
et auprès de luy sur le lit la cousche, et ce
fait, vistement baiser et accoler, et le surplus
qu'après s'ensuyt tout à son bel aise et loisir
acheva, sans ce que le pouvre coux de la
ruelle s'osast oncques monstrer, mais si grand
paour avoit qu'à pou qu'il ne mouroit. Nostre
Escossois, après ceste haulte adventure, prend
de sa dame congé jusques une aultre fois, et
la mercye comme il scet de sa grand courtoisie,
et se met au chemin et descend les degrez
de la chambre. Quand le vaillant homme
d'armes sceut l'Escossois enseur de luy, ainsi
effrayé qu'il estoit, sans à peine savoir parler,
30sault de son pavillon, et commence à tenser
sa femme de ce qu'elle avoit souffert le plaisir
de l'archier. Et elle luy respondit que c'estoit
sa coulpe et sa faulte, et chargié luy
avoit luy bailler jour. «Je ne vous commenday
pas, dist-il, de luy laisser faire sa volunté.—Comment,
dit-elle, le povois je refuser, voyant
sa grand espée, dont il m'eust tuée en cas de
refus?» Et à cest cop veez cy bon Escossois
qui retourne et monte arrière les degrez de la
chambre, et sault dedans et dit tout hault:
«Qu'est cecy!» Et bon homme de se sauver,
et dessoubz le lit se boute pour estre plus seurement,
beaucop plus esbahy que par avant.
La dame fut reprinse et de rechef par l'amoureux
enferrée trèsbien et à loysir, en la fasson
que dessus, tousjours l'espée au près de luy.
Après ceste rencharge et pluseurs aultres devises
entre l'Escossois et la dame, l'heure vint
de partir, si luy donna bonne nuyt et picque
et s'en va. Le pouvre martir estant soubz le
lit, à peu s'il s'osoit tirer de là, doubtant le
retourner de son adversaire, ou, pour mieulx
dire, son compaignon. A chef de pièce, il
print courage, et, ou l'ayde de sa femme, la
Dieu mercy, il fut remis sur piez. S'il avoit
bien tansé et villannée sa femme auparavant,
encores recommença il plus dure légende; car
elle avoit consenty après sa defense le deshonneur
de luy et d'elle. «Helas! dit-elle, et
où est la femme tant asseurée qui osast dedire
ung homme ainsi eschauffé et enragé que cestuy
est, quand vous, qui estes armé, embastonné,
31et si vaillant que c'est rage, à qui il a
trop plus meffait que à moy, ne l'avez osé assaillir
ne moy defendre?—Ce n'est pas response,
dist-il, dame; si vous n'eussiez voulu,
jamais ne fust venu à ses attainctes. Vous estes
mauvaise et desloyale.—Mais vous, dit-elle,
lasche, meschant, et reprouché homme,
par qui je suis deshonorée, car pour vous
obéir j'assignay le mauldit jour à l'Escossois,
et oncques n'avez eu tant de courage que
d'entreprendre la defence de celle où gist tout
vostre bien et honneur. Et ne pensez pas,
j'eusse trop mieulx amé la mort que d'avoir
de moy mesmes consenty ne accordé ce meschef.
Et Dieu scet le dueil que j'en porte et
en porteray tant que je vivré, quand celuy
de qui je doy avoir et tout secours attendre,
en sa presence et par son advis m'a bien souffert
deshonorer!» Il fait assez à croire et penser
qu'elle ne souffrit pas la volunté de l'Escossois
pour plaisir qu'elle y prensist, mais elle
fut ad ce contraincte et forcée par non resister,
laissant la resistence en la proesse de son
mary, qui s'en estoit très bien chargé. Chacun
d'eulx cessa son dire et sa querelle après pluseurs
argumens et repliques d'une costé et
d'aultre; mais en son tort evident fut le mary
conclu, qui demoura trompé de l'Escossois
en la fasson et manière que avez oy.
Monseigneur Talebot, à qui Dieu pardoint,
capitaine anglois si preux, si
vaillant, et aux armes si eureux,
comme chacun scet, fist en sa vie
deux jugemens dignes d'estre recitez et en audience
et memoire perpétuelle amenez; et, affin
que aussi en soit fait d'iceulx jugemens en
brefs motz ma première nouvelle, ou renc des
aultres la cinquiesme, j'en fourniray et diray
ainsi. Pendant le temps que la mauldicte et
pestilencieuse guerre de France et d'Angleterre
regnoit, et qui encores n'a prins fin,
comme souvent advient, ung François, homme
d'armes, fut à ung aultre Anglois prisonnier;
et puis qu'il se fut mis à finance, soubz le
saufconduit de monseigneur Talebot, devers
son capitaine s'en retournoit pour faire finance
de sa renson, et à son maistre l'envoyer ou la
porter. Et comme il estoit en chemin, fut par
un Anglois sur les champs rencontré, lequel,
le voyant François, tantost luy demande dont
il venoit et où il alloit. L'aultre respondit la
verité. «Et où est vostre saufconduit? dist
l'Anglois.—Et il n'est pas loing», dit le François.
Lors tire une petite boyte pendant à sa
33couroye, où son saufconduit estoit, et à l'Anglois
le tendit, qui d'un bout à l'aultre le leut;
et, comme il est de coustume de mettre en
toutes lettres de saufconduit: Reservé tout
vray habillement de guerre, l'Anglois note sur
ces motz, et voit encores les aguilletes à armer
pendans au pourpoint du François. Si va
juger en soy mesmes qu'il avoit enfraint son
saufconduit, et que aguillettes sont vray habillement
de guerre, et luy dit: «Amy, je vous
fays prisonnier, car vous avez rompu vostre
saufconduit.—Par ma foy, non ay, dist le
François, sauve vostre grace; vous voiez en
quel estat je suis.—Nenny, nenny, dist l'Angloys,
par sainct Jehan! vostre saufconduit est
rompu. Rendez vous, ou je vous tueray.» Le
pouvre François, qui n'avoit que son paige et
qui estoit tout nu et de ses armes desgarny,
voyant l'autre armé et de trois ou quatre archiers
acompaigné pour le deffaire, à luy se
rendit. L'Anglois le mena en une place assez
près de là et en prison le bouta. Le François,
voyant ce party, tout son estat à grand haste
au capitaine manda; lequel, oyant le cas de
son homme, fut à merveilles esbahy; si fist
tantost escripre lettres à monseigneur Talebot,
et par ung hérault les envoya, bien enditté et
informé de la matière que l'homme d'armes
prisonnier avoit au long au capitaine rescript,
c'est assavoir comment ung tel de ses gens
avoit prins ung tel des siens soubz son saufconduit.
Le dit hérault, bien informé et aprins
qu'il devoit dire et faire de son maistre, partit,
34et à monseigneur Talebot ses lettres presenta.
Il les lysit, et par ung sien secretaire en
audience, devant pluseurs chevaliers et escuiers
et aultres de sa rote, de rechef les feist
relire. Si devez savoir que tantost il monta sur
son chevalet, car il avoit la teste chaude et
fumeuse, et n'estoit point bien content quand
on faisoit aultre chose que à point, et par especial
en matière de guerre, et d'enfraindre son
saufconduyt, il enrageoit tout vif. Pour abreger
le compte, il fist venir devant luy l'Anglois
et le François, et dist au François qu'il deist
son cas. Il dist comment il avoit esté prisonnier
d'ung tel de ses gens et s'estoit mis à finance.
«Et soubz vostre saufconduit, monseigneur,
je m'en aloye devers ceulx de nostre
party pour querir ma renson. J'ay encontré
ce gentil homme cy, aussi de voz gens; il
m'a demandé où je alloye, et se j'avoie saufconduyt.
Je luy dys que oy et luy monstre, et,
quand il l'eut leu, il me dist que je l'avoye
rompu, et je luy respondy que non avoie et
qu'il ne le saroit monstrer. Bref, je ne peuz
estre oy, et me fut force, si je ne me vouloye
laisser tuer en la place, de me rendre. Et
ne sçay cause nulle par quoi il me doive avoir
retenu; si vous en demande justice.» Monseigneur
Talebot, oyant le Françoys, n'estoit
pas bien à son aise; néantmains, quand il eut
dit, il dist à l'Anglois: «Que respons-tu à cecy?—Monseigneur,
dist-il, il est bien vray,
comme il a dit, que l'encontray et voulu veoir
son saufconduit, lequel de bout en bout et
35tout au long je leyz, et perceu tantost qu'il
l'avoit enfraint et rompu, et autrement je ne
l'eusse arresté.—Comment le rompit-il? dist
monseigneur Talebot; dy tost.—Monseigneur,
pource que en son saufconduit a et avoit
«reservé tout vray habillement de guerre»; et il
avoit et a encores ses aguillettes à armes, qui
sont ung habillement de guerre, car sans elles
on ne se peut armer.—Voire, dist monseigneur
Talebot, si aguillettes sont donc vray
habillement de guerre? Et ne scez-tu aultre
chose par quoy il puisse avoir enfraint son
saufconduyt?—Vrayement, monseigneur,
nenny, respond l'Angloys.—Voyre, villain,
de par vostre dyable! dist monseigneur Talebot,
avez vous retenu ung gentilhomme sur
mon saufconduyt pour ses aguillettes? Par
saint George, je vous feray monstrer si ce sont
habillemens de guerre.» Alors, tout eschaufé
et de courroux trèsfort esmeu, vint au François,
et de son porpoint print deux aguillettes
et à l'Angloys les bailla, et au François
une bonne espée d'armes fist en la main livrer,
et puis la belle et bonne sienne du fourreau
tira, et à l'Anglois va dire: «Defendez
vous de cest habillement de guerre que
vous dictes, se vous savez.» Et puis dist au
François: «Frappez sur ce villain qui vous a
retenu sans cause et sans raison; on verra
comment il se defendra de vostre habillement
de guerre. Si vous l'espergnez, je frapperay
sur vostre teste, par saint George!» Alors le
François, voulsist ou non, fut contraint de ferir
36sur l'Anglois de l'espée toute nue qu'il tenoit, et
le pouvre Angloys s'en couroit par la chambre
le plus qu'il pouvoit, et Talebot après, qui tousjours
faisoit ferir par le François sur l'aultre,
et luy disoit: «Defendez vous, villain, de vostre
habillement de guerre.» A la verité, l'Anglois
fut tant batu que presque jusques à la mort,
et crya mercy à Talebot et au Françoys, qui par
ce moien fut delivré, et de sa renson par monseigneur
Talebot acquitté, et, avecques ce, son
cheval et son harnoys et tout son bagaige que
au jour de sa prinse avoit luy fist rendre et
bailler. Veez là le premier jugement que fist le
bon seigneur Talebot. Reste à compter l'aultre,
qui fut tel: Il sceut que l'un de ses gens
avoit desrobé en une eglise le ciboire où l'on
met corpus Domini, et à bons deniers contens
l'avoit vendu, je n'en sçay pas la juste somme;
mais il estoit bel et grand et d'argent doré,
et trèsgentement esmaillé. Monseigneur Talebot,
quoy qu'il fust terrible et cruel, et en
la guerre très criminel, si avoit il en grand reverence
tousjours l'eglise, et ne voloit que nul
en nesun moustier le feu boutast ne desrobast;
et où il savoir qu'on le feist, il en faisoit merveilleuse
discipline de ceulx qui, en ce faisant,
son commendement trespassoient. Or fist il
devant luy mener, et vint celuy qui ce ciboire
avoit en l'eglise robé. Et quand il le vit,
Dieu scet quelle chère il luy fist! Il le voloit à
toute force tuer, se n'eussent esté ceulx qui
entour luy estoient, qui tant luy prièrent que
la vie luy fut sauvée. Mais néantmains si le
37vouloit-il punir et luy dist: «Traistre ribauld,
comment avez-vous osé rober l'eglise oultre
mon commendement et ma defense?—Ha!
monseigneur, pour Dieu, mercy! dist le pouvre
larron; je vous crye mercy; jamais ne m'adviendra.—Venez
avant, villain», dist-il. Et
l'aultre, aussi voluntiers qu'on va au guet, devers
monseigneur s'avance. Et monseigneur
Talebot, de son poing, qui estoit gros et
lourd, de charger sur la teste de ce bon pelerin,
et luy disoit: «Ha! larron, avez-vous desrobé
l'eglise!» Et l'autre de crier: «Monseigneur,
je vous crye mercy; jamais ne le feray.—Le
ferez-vous?—Nenny, monseigneur.—Or,
jurez donc que jamais en eglise,
quelle qu'elle soit, n'entrerez. Jurez, villain.—Et
bien! monseigneur», dist l'aultre. Et
lors luy fist jurer que jamais en eglise pié ne
mettroit, dont tous ceulx qui là estoient eurent
grand ris, quoy qu'ilz eussent pitié du larron,
pource que monseigneur Talebot luy defendoit
l'eglise à tousjours, et luy faisoit jurer de non
jamais y entrer. Et croiez qu'il cuidoit bien
faire et à bonne intencion lui faisoit. Ainsi avez
oy les deux jugemens de monseigneur Talebot.
En la ville de La Haye, en Hollandre,
comme le prieur des Augustins naguères
se pourmenast disant ses
heures, sur le serain, assés près
de la chapelle Saint-Anthoine, située au bois
près la dicte ville, il fut rencontré d'un grand
lourd Hollandois si trèsyvre que merveilles,
qui demouroit en ung village nommé Stevelinghes,
à deux lieues près d'illec. Le prieur,
de loing le voyant venir, cogneut tantost son
cas par les desmarches lourdes et malseures
qu'il faisoit tirant son chemin, et, quand ils
vindrent pour joindre l'un à l'aultre, l'ivroigne
salua premier le prieur, qui luy rendit son salut
tantost et puis passe oultre, continuant
son service, sans en aultre propos l'arrester ne
interroguer. L'yvroigne, tant oultré que plus
ne povoit, retourne et poursuit le prieur, et
luy requiert confession. «Confession! dist le
prieur; va-t-en, va-t-en! tu es bien confessé.—Helas!
sire, respond l'yvroigne, pour
Dieu, confessés-moy: j'ay à ceste heure très
fresche memoire de mes pechez et parfecte
contricion.» Le prieur, desplaisant d'estre empesché
à ce cop par cest yvroigne, respond:
«Va ton chemin, il ne te fault aultre confession,
39car tu es en trèsbon estat.—Ha dya!
dist l'yvroigne, par la mort bieu, vous me
confesserez, maistre curé, car j'ay devocion.»
Et le saisit par la manche et le voult arrester.
Le curé n'y voloit entendre, mais avoit tant
grand fain que merveille d'eschapper de l'aultre;
mais rien n'y vault, car il est ferme en la
ruse que d'estre confessé, ce que le curé tousjours
refuse, et si s'en cuide desarmer, mais il
ne peut. La devocion de l'yvroigne de plus en
plus s'enforce, et, quand il voit le curé refusant
de oyr ses peschez, il mect la main à sa
grand coustille, et de sa gayne la tira, et dist au
curé qu'il l'en tuera si bientost il n'escoute sa
confession. Le curé, doubtant le cousteau et
la main perilleuse qui le tenoit, ne sçet que
dire, si demande à l'aultre: «Que veulx-tu
dire?—Je veil confesser, dit-il.—Or avant,
je le veil», dit le curé, avance-toy. Nostre
yvroigne, plus estourdy que une grive partant
d'une vigne, commença, s'il vous plaist, sa
devote confession, laquelle je passe: car le
curé point ne la revela, mais vous pouvez
bien penser qu'elle fut bien nouvelle et estrange.
Quand le curé vit son point, il couppa le
chemin aux lourdes et longues parolles de nostre
yvroigne et l'absolucion luy donne; et congé
luy donnant luy dist: «Va-t-en, tu es bien
confessé.—Dictes-vous, sire? respond-il.—Oy
vrayemement, dist le curé, ta confession
est trèsbonne. Va-t-en, tu ne peuz mal avoir.—Et
puis que je suis bien confessé et que j'ay
l'absolution receue, si à ceste heure je mouroye,
40n'yrois-je pas en paradis? dit l'yvroigne.—Tout
droit, tout droit, sans faillir, dit le
curé, n'en fay nulle doubte.—Puis qu'ainsi est,
dit l'yvroigne, que je suis en bon estat maintenant,
je veil morir tout dès maintenant, affin
que je y aille.» Si prend et baille son cousteau
à ce curé, en lui priant et requerant
qu'on luy trenche la teste, affin qu'il voist en
paradis.—«Ha dya! dit le curé tout esbahy,
il n'est jà mestier d'ainsi faire, tu iras bien en
paradis par aultre voye.—Nenny, respond
l'yvroigne, je y veil aller tout maintenant, et
cy morir par voz mains; avancez-vous et me
tuez.—Non feray pas, dit le curé; ung prestre
ne doit ame tuer.—Si ferez, sire, par la
mort bieu, et, si bientost ne me despeschez et
ne me mettez en paradis, je mesme à mes
deux mains vous occiray.» Et à ces motz brandit
son grand cousteau, et en fait monstre aux
yeulx du pouvre curé, tout espoenté et assimply.
Au fort, après qu'il eut ung peu pensé, affin
d'estre de son yvroigne despeschié, qui de
plus en plus l'aggresse et parforce qu'il luy oste
la vie, il saisist et prent le cousteau et si va
dire: «Or ça, puisque tu veulx par mes mains
finer affin d'aller en paradis, mets-toy à genoulz
cy devant moy.» L'yvroigne ne s'en fist
guères prescher, mais tout à coup du hault de
lui tumber se laissa, et à chef de piece, à quelque
meschef que ce fust, sur ses genoulz se
releva, et à mains joinctes le cop de l'espée,
cuidant mourir, attendoit. Le curé, du doz du
Cousteau, fiert sur le col de l'yvroigne ung
41grand et pesant cop, et à terre l'abbat bien rudement.
Mais vous n'avez garde qu'il se reliève,
mesme cuide vrayement estre en paradis.
En ce point le laissa le curé, qui, pour sa
seureté, n'oublia pas le cousteau. Et, comme il
fut ung peu avant, il rencontra ung chariot
chargé de gens, mesmes de la pluspart, vint si
bien, de ceulx qui avoient esté prescris où nostre
yvroigne se chargea, auxquelz il racompta
bien au long tout le mystère, en leur priant
qu'ilz le levassent et en son hostel le voulsissent
rendre et conduire, et puis leur bailla son cousteau.
Ilz promissent de l'emmener et charger
avec eulx, et puis le curé s'en va. Ilz n'eurent
guères cheminé qu'ilz perceurent ce bon yvroigne
couché comme s'il fust mort, les dents contre
la terre; et, quand ilz furent près de lui, tréstous
à une voiz par son nom l'appelèrent; mais ilz ont
beau hucher, il n'a garde de respondre; ilz recommencent
à crier, mais c'est pour neant.
Adonc descendirent les aucuns de leur chariot,
si le prindrent par teste, par piez et par jambes,
et tout en air le sourdèrent et tant huchèrent
qu'il ouvrit ses yeulx, et quand il parla il
dist: «Laissez-moy, laissez, je suis mort.—Non
estes, non, dirent ses compaignons; il
vous en fault venir avecques nous.—Non
feray, dist l'yvroigne, où yrois je? Je suis mort
et desjà en paradis.—Vous vous en viendrez,
dirent les aultres; il nous fault aler boire.—Boire!
dit l'aultre; jamais je ne buray, car je
suis mort.» Quelque chose que ses compaignons
luy deissent ne fissent, il ne vouloit partir
42ne mettre hors de sa teste qu'il ne fust mort.
Ces devises durèrent beaucop, et ne savoient
trouver les compaignons fasson ne manière
d'emmener ce fol yvroigne: car, quelque chose
qu'ilz dissent, tousjours respondoit: «Je suis
mort.» En la fin, ung entre les aultres s'avisa
et dit: «Puis que vous estes mort, vous ne
voulez pas demourer icy, et comme une beste
aux champs estre enfouy; venez, venez avecques
nous, si vous porterons en terre sur nostre
chariot, ou cimeitére de nostre ville, ainsi
qu'il appartient à ung crestian; autrement n'yrés
pas en paradis.» Quand l'yvroigne entendit
que encores le falloit enterrer, ains qu'il
montast en paradis, il fut tout content d'obéyr;
ci fut tantost troussé et mis dessus le chariot,
où guères ne fut sans dormir. Le chariot estoit
bien atelé, si furent tantost à Stevelinghes, où
ce bon yvroigne fut descendu tout devant sa
maison. Sa femme et ses gens furent appelez,
et leur fut ce bon corps saint rendu, qui si trèsfort
dormoit que, pour le porter du chariot en
sa maison et sur son lit le gecter, jamais ne
s'esveilla, et là fut il ensevely entre deux linceux
sans s'esveiller bien de deux jours après.
Ung orfévre de Paris, naguères, pour
despescher pluseurs besoignes de
sa marchandise à l'encontre d'une
feste de Lendit et d'Envers, fist large
et grand provision de charbon de saulx.
Advint ung jour, entre les aultres, que le
charreton qui ceste denrée livroit, pour la
grand haste de l'orfévre, fist si grand diligence
qu'il amena deux voictures plus que nul
des jours par avant; mais il ne fut pas si tost
à Paris à sa derrenière charetée, que la porte
à ses talons ne fust fermée. Il fust trèsbien
venu et receu de l'orfévre, et, après que son
charbon fut deschargé et les chevaulx mis en
l'estable, il voult soupper tout à loysir, et
firent trèsgrande chère, qui pas ne se passa
sans boire d'autant et d'autel. Quand la brigade
fut trèsbien repeue, la cloche sonna
xij heures, dont ilz se donnèrent grans merveilles,
tant plaisaimmant s'estoit le temps
passé à ce soupper. Chacun loa Dieu comme
il savoit, faisans trèspetitz yeulx, et demandent
le lit; mais, pource qu'il estoit tant tard,
l'orfévre retint au couscher son chareton,
doubtant la rencontre du guet, qui l'eust
en Chastellet logié si à ceste heure le trouvast.
44Pour cest cop nostre orfévre avoit tant
de gens qui pour luy ouvroient que force luy
fut le chareton avec luy et sa femme en son
lit heberger; et, comme sage et non suspeçonneux,
fist sa femme entre luy et le chareton
couscher. Or vous fault-il dire que ce ne
fut pas sans grand mystère, car le bon chareton
refusoit de tout point ce logis, et à toute
force vouloit dessus le bang ou en la grange
couscher; force luy fut d'obéir, et, après qu'il
fut despoillé, dedans le lit pour dormir se boute,
ou quel desjà estoient l'orfévre et sa femme en
la fasson que j'ay jà dicte. La femme, sentant
le chareton, à cause du froit et de la petitesse
du lit, d'elle approucher, tost se vira
vers son mary, et, en lieu d'aureillier, sa teste
mist sur sa poictrine, et ou geron du chareton
son gros derrière reposoit. Sans dormir ne se
tint guères l'orfévre, ne sa femme sans en faire
le semblant; mais nostre chareton, jasoit qu'il
fust las et traveillé, n'en avoit garde. Car,
comme le poulain s'eschauffe sentant la jument,
et se dresse et demaine, aussi faisoit le
sien, levant la teste contremont si très prochain
de l'aurfauveresse, et ne fut pas en la puissance
du chareton qu'à elle ne se joignist et
de trèsprès. Et cest estat fut assez longue espace
sans que la femme s'esveillast, voire ou
au mains qu'elle en fist semblant. Non eust
pas fait le mary, si n'eust esté la teste de sa
femme sur sa poictrine reposant, qui par l'assault
et hurt de ce poulain luy donnoit si grand
45branle que assez tost il s'en reveilla. Il cuidoit
bien que sa femme songeast, mais car trop longuement
duroit, et qu'il oyoit le chareton se
remuer et trèsfort souffler, tout doulcement
leva sa main en hault, et si trèsbien à point
en bas la rabatit qu'en dommage et en sa garenne
le poulain au chareton trouva, dont il
ne fut pas bien content, et ce pour l'amour
de sa femme. Si l'en fist à haste saillir, et dist
au chareton: «Que faictes-vous, meschant coquart?
Vous estes, par ma foy, bien enragé,
qui à ma femme vous prenez; n'en faictes plus,
je vous en prie. Par la mort bieu! s'elle se
fust à cest cop eveillée que vostre poulain
ainsi la harioit, je ne sçay que vous eussiez
fait: car je suis tout certain, tant la cognois-je,
qu'elle vous eust tout le visage egratigné, et à
ses mains les yeulx de vostre teste esrachez;
vous ne savez pas qu'elle est merveilleuse depuis
qu'elle entre en sa manière, et si n'est
chose ou monde qui plustost l'y boutast. Le
chareton à peu de motz s'excusa qu'il n'y pensoit
pas; et, quant le jour fut, il se leva, et,
après le bon jour donné à son hoste et à son
hostesse, s'en va et au charroier se remect.
Pensez, si la bonne femme eust sceu le fait du
chareton, qu'elle l'eust fort plus grevé que
son mary ne disoit. Combien que depuis le
chareton le racompta en la façon que avez oye,
sinon qu'elle ne dormoit point: non pas que
le veille croire, ne ce rapport faire bon.
En la ville de Bruxelles, où maintes
adventures sont en nostre temps advenues,
demouroit n'a pas long
temps à l'ostel d'un marchant ung
jeune compaignon picard qui servit trèsbien
et loyaument son maistre assez longue espace.
Et entre aultres services à quoy il obligea son
dict maistre vers luy, il fist tant par son gracieux
parler, maintien, et courtoisie, que si
avant fut en la grace de la fille qu'il couscha
avec elle, et par ses euvres elle devint grosse
et enceincte. Nostre compaignon, voyant sa
dame en cest estat, ne fut pas si fol que d'actendre
l'heure que son maistre le pourroit savoir
et appercevoir; si print de bonne heure
ung gracieux congié pour pou de jours, combien
qu'il n'eust nulle envye de jamais retourner,
faignant aller en Picardie visiter son
père et sa mère et ses aultres parens. Et quand
il eut à son maistre et à sa maistresse dit le
derrain adieu, le trèspiteux fut à la fille sa
dame, à laquelle il promis tantost retourner,
ce qu'il ne fist point et pour cause. Luy estant
en Picardie, en l'ostel de son père, la pouvre
fille de son maistre devenoit si trèsgrosse que
son piteux cas ne se pouvoit plus celer, dont
47entre les aultres sa bonne mère, qui au mestier
se cognoissoit, s'en donna garde la première.
Si la tira à part et luy demanda, comme assez
on le peut penser, dont elle venoit en cest
estat et qui l'y avoit mise. S'elle se fist beaucop
presser et menacer avant qu'elle en voulsist
rien dire, il ne le fault jà demander; mais
au fort en fin elle fut ad ce menée qu'elle cogneut
son piteux cas, et dist que le picard
varlet de son père naguères party l'avoit seduicte
et en ce trèspiteux point laissée. Sa
mère, toute enragée, forcenée et tant marrie
qu'on ne pourroit plus, la voyant ainsi deshonorée,
si prend à la tenser, et tant d'injures
luy va dire que la pacience qu'elle eut de
tout escouter, sans mot sonner ne riens luy
contredire, estoit assez suffisante d'estaindre
le crime qu'elle avoit commis par soy laisser
engrosser du Picard. Mais, helas! ceste pacience
n'esmeut en rien sa mère à pitié, mesmes
luy dit: «Va-t-en, va-t-en ensus de
moy, et fay tant que tu trouves le Picard qui
t'a fait grosse et luy dy qu'il te defface ce qu'il
t'a fait, et ne retournes jamais vers moy jusques
ad ce qu'il ara deffait tout ce que par son
oultrage il t'a fait.» La pouvre fille, en cest
estat, marrie, Dieu le scet, et desolée, part de
sa cruelle et tumeuse mère et se met à la queste
de ce Picard qui l'engrossa. Et croiez avant
qu'elle en peust oyr nouvelle ce ne fut pas
sans avoir peine et du malaise largement. En
la parfin, comme Dieu le voulut, après mains
gistes qu'elle fist en Picardie, elle arriva par
48ung jour de dimenche en ung gros village en
Artois. Si trèsbien luy vint, ce propre jour son
amy le Picard faisoit ses nopses, dont elle fut
bien joyeuse, et ne fut pas si peu asseurée
pour à sa mère obéir qu'elle ne se boutast par
la presse des gens, ainsi grosse qu'elle estoit,
et fist tant qu'elle trouva son amy et le salua,
lequel tantost la recogneut, et en la recognoissant
son salut luy rendit, et luy dit: «Vous
soyez bien venue! Qui vous ameine à ceste
heure, m'amye?—Ma mère, dit-elle, m'envoye
vers vous, et Dieu scet que vous m'avez
bien fait tanser. Elle m'a chargée et commendé
que vous me deffacez ce que m'avez fait,
et s'ainsi ne le faictes que jamais je ne retourne
vers elle.» L'aultre entendit tantost la folie et
au plustost qu'il peut il se deffist d'elle et luy
dit: «M'amye, je feray trèsvoluntiers ce que
me requerez et que vostre mère veult que je
face, c'est bien raison; mais à ceste heure, je
n'y puis bonnement entendre: si vous prie
que aiez pacience meshuy, et demain je besoigneray
à vous.» Elle fut contente, et alors il la
fist garder et en une chambre mener, et là trèsbien
penser, dont elle avoit bon mestier, à
cause des grans labours et travaulx qu'elle
avoit eu en ceste queste. Vous devez savoir
que l'espousée se donna trèsbien garde et perceut
son mary parler à nostre fille grosse, dont
elle n'estoit en riens contente, mais trèstroublée
et marrye en estoit. Si garda ce courroux
sans en rien dire jusques ad ce que son mary
s'en vint coucher, et quand il la cuida accoler
49et baiser et au surplus faire son devoir et gaigner
le chaudeau, elle se vire puis d'ung costé
puis d'aultre, tellement qu'il ne peut parvenir
à ses attainctes, dont il est trèsebahy et courroucé,
et luy va dire: «M'amye, pourquoy
faictes vous cecy?—J'ay bien cause, dit-elle,
et aussi quelque manière que vous facez, il ne
vous chault guères de moy: vous en avez bien
d'aultres dont il vous chault plus que de moy.—Et
non ay, par ma foy! m'amye, dit-il;
je n'ayme en ce monde aultre femme que vous.—Helas!
dit-elle, et ne vous ay-je pas bien
veu après disner tenir voz longues parolles à
une femme en la sale en bas? On voit trop
bien que c'est, vous ne vous en sariez excuser
ne sauver.—Cela, dit-il, nostre dame! vous
n'avez cause de vous en rien jalouser.» Et
adonc luy va tout compter, comment c'estoit
la fille à son maistre de Bruxelles, et qu'il coucha
avecques elle et l'engrossa, et que à ceste
cause il vint par deçà; comment aussi après
son departement elle devint si trèsgrosse qu'on
s'en perceut, et comme elle confessa à sa mère
qu'il l'avoit engrossée, et qu'elle l'envoyoit
vers luy affin qu'il luy deffist ce qu'il luy avoit
fait, ou aultrement vers elle ne retournast.
Quand nostre homme eut tout au long compté,
sa femme ne reprint que l'ung de ses poinz et
dist: «Comment, dit-elle, dictes-vous qu'elle
dist à sa mère que vous aviez couché avec
elle?—Oy, par ma foy! dit-il, elle luy cogneut
tout.—Par mon serment! dist-elle, elle
monstra bien qu'elle estoit beste; le charreton
50de nostre maison a couché avecques moy plus
de quarante nuiz, mais vous n'avez garde que
j'en deisse oncques ung seul mot à ma mère:
je m'en suis bien gardée.—Voire, dit-il, de
par le deable! dame, estes-vous telle? Le
gibet y ait part! Or allez à vostre charreton,
si vous voulez, car je n'ay cure de vous.» Si
se leva tout à coup et se vint rendre à celle
qu'il engrossa, et abandonna l'autre. Et quand
lendemain on sceut ceste nouvelle, Dieu scet
la grand risée d'aucuns, et le grant desplaisir
de pluseurs, especialement du père et de la
mère!
Pour continuer le propos de nouvelles
histoires, comme les adventures
adviennent en divers lieux et diversement,
on ne doit pas taire comment
naguères ung gentil chevalier de Bourgoigne,
faisant residence en ung sien chasteau
bel et fort, fourny de gens et d'artillerie, comme
à seigneur de son estat appartenoit, devint
amoureux d'une damoiselle de son hostel,
voire et la première après madame sa femme.
Et car amours si fort le contraignoit, jamais ne
savoit sa manière sans elle, tousjours l'entretenoit,
tousjours la requeroit, et bref nul bien
51sans elle avoir il ne povoit, tant estoit-il au vif
feru de l'amour d'elle. La damoiselle, bonne
et sage, voulant garder son honneur, que aussi
cher elle tenoit que sa propre ame, voulant
aussi garder la loyauté que à sa maistresse
elle devoit, ne prestoit pas l'oreille à son seigneur
toutesfoiz qu'il eust bien voulu; et si
aucunes foiz force luy estoit de l'escouter,
Dieu scet la trèsdure response dont il estoit
servy, luy remonstrant sa trèsfole entreprinse,
la grand lascheté de son cueur, et au surplus
bien luy disoit que, si ceste queste il continue
plus, que à sa maistresse il sera decelé.
Quelque manière ou menace qu'elle face, il
ne veult laisser son emprinse, mais de plus
en plus la pourchasse, et tant en fait que
force est à la bonne fille d'en advenir bien au
long sa maistresse. La dicte dame, advertie
des nouvelles amours de monseigneur, sans
en monstrer semblant, en est très malcontente;
mais non pourtant elle s'advisa d'ung tour, ainçois
que rien luy en dist, qui fut tel. Elle charge
à sa damoiselle que à la première foiz que
monseigneur viendra pour la prier d'amours,
que, trestous refuz mis arrière, elle luy baille
jour à lendemain se trouver devers elle dedans
sa chambre et en son lict: «Et s'il accepte la
journée, dit madame, je viendray tenir vostre
place, et du surplus laissez moy faire.» Pour
obéir comme elle doit à sa maistresse, elle est
contente d'ainsi faire. Si ne tarda guères après
que monseigneur ne retournast à l'ouvrage,
et s'il avoit auparavant bien fort menty, encores
52à ceste heure il s'en efforce beaucop de
l'affermer, et qui à ceste heure l'oyst, mieulx
luy vauldroit la mort que sans prochain remède
vivre en ce monde. Qu'en vauldroit le long
compte? La damoiselle de sa maistresse est
escollée et advoée que mieulx on ne pourroit,
baille au bon seigneur à demain l'heure de
besoignier, dont il est tant content que son
cueur tressault tout de joye, et dit bien en
soy mesmes qu'il ne fauldra pas à sa journée.
Le jour des armes assignées, survint au soir
ung gentilhomme chevalier, voisin de monseigneur
et son trèsgrand et bon amy, qui le
vint veoir, auquel il fist trèsgrande et bonne
chère, comme trèsbien le savoit faire; si fait
madame aussi, et le surplus de la maison
s'efforçoit fort de luy complaire, saichant estre
le bon plaisir de monseigneur et de madame.
Après les trèsgrandes chères et du soupper et
du bancquet, et qu'il fut heure de retraire, la
bonne nuyt donnée et à madame et à ses
femmes, les deux bons chevaliers se mettent
en devises de pluseurs et diverses matères,
et entre aultres propos le chevalier estrange
demanda à monseigneur si en son village avoit
rien de beau pour aler courre l'aguillette, car
la devocion luy en est prinse après ces bonnes
chères et le beau temps qu'il fait à ceste
heure. Monseigneur, qui rien ne luy vouldroit
celer, pour la grand amour qu'il luy porte,
luy va dire comment il a jour assigné de coucher
ennuyt avecques sa chambrière, et pour
luy faire plaisir, quand il aura esté avecques
53elle aucune espace, il se levera tout doulcement
et le viendra querir pour le surplus parfaire.
Le chevalier estrange mercya son compaignon,
et Dieu scet qu'il luy tarde bien que
l'heure soit venue! L'oste prend congé de luy
et se retrait en sa garderobe, comme il avoit
de coustume, pour soy deshabiller. Or devez
vous savoir que tantdiz que les chevaliers se
devisoient, madame se alla mettre dedans le
lict où monseigneur devoit trouver sa chambrière,
et droit là attendoit ce que Dieu luy
vouldra envoyer. Monseigneur mist assez longue
espace à soy deshabiller tout à propos,
pensant que desjà madame fust endormie,
comme souvent faisoit, pource que devant se
couchoit. Il donne congé à son varlet de
chambre, et à tout sa longue robe s'en va au
lict où madame l'attendoit, cuidant y trouver
aultry; et trestout coyement de sa robe se
desarme, et dedans le lit se boute, et car la
chandelle est estaincte et madame mot ne
sonne, il cuide avoir sa chambrière. Il n'y eut
guères esté sans faire son devoir, et si trèsbien
s'i acquitta que les trois, les quatre foiz
guères ne luy coustèrent, que madame print
bien en gré, qui tost après, pensant que ce
soit tout, fut endormye. Monseigneur, trop
plus legier que par avant, voyant que madame
dormoit et recordant de sa promesse, tout
doulcement se lève, et puis vient à son compaignon,
qui n'attendoit que l'heure d'aller aux
armes, et luy dist qu'il aille tenir son lieu,
mais qu'il ne sonne mot, et qu'il retourne
54quand il aura bien besoigné et tout son saoul.
L'aultre, plus esveillé qu'un rat et viste comme
ung levrier, part et s'en va, et auprès de madame
se loge sans qu'elle en sache rien. Et
quand il est tout rasseuré, si monseigneur
avoit bien besoigné, voire et à haste encores
fist-il mieulx, dont madame n'est pas ung peu
esmerveillée, qui après ce bel passetemps,
qui aucunement traveil luy estoit, arrière s'endormit.
Et bon chevalier de l'abandonner,
et à monseigneur s'en retourne, qui comme
paravant emprès madame se vint relogier, et
de plus belle aux armes se ratoille, tant bien
luy plaist ce nouvel exercice. Tant d'heures
se passèrent, tant en dormant comme en
aultres choses faisant, que le trèsbeau jour
s'apparut; et comme monseigneur se retournoit,
cuidant virer l'œil sur la chambrière, il
voit et congnoist que c'est madame, qui à
ceste heure luy va dire: «N'estes-vous pas
bien putier, creant, lasche et meschant, qui,
cuidant avoir ma chambrière, par tant de
foiz et oultre mesure m'avez accolée pour
acomplir vostre desordonnée volunté, dont
vous estes, la Dieu mercy! bien deceu, car
aultre que moy, pour ceste heure, n'aura ce
qui doit estre mien.» Se le bon chevalier fut
esbahy et courroucé se voyant en ce train,
ce n'est pas de merveilles. Et quand il parla,
il dist: «M'amye, je ne vous puis celer ma
folie, dont beaucop il me poise que jamais
l'entreprins; si vous prie qu'en soyez contente
et n'y pensez plus, car jour de ma vie plus
55ne m'adviendra: cela vous prometz-je, et
sur ma foy. Et affin que n'aiez occasion d'y
penser, je donneray congé à la chambrière
qui me bailla le vouloir d'envers vous faire
cette faulte.» Madame, plus contente d'avoir
eu l'adventure de ceste nuyt que sa chambrière,
et oyant la bonne repentence de monseigneur,
assez legièrement s'en contenta,
mais ce ne fut pas sans grans langages et
remonstrances. Au fort trestout va bien, et
monseigneur, qui a des nouvelles estoupes en
sa quenoille, après qu'il est levé, s'en vient
devers son compaignon, auquel il compte
tout du long son adventure, luy priant de
deux choses: la première si fut qu'il celast
trèsbien ce mistère et sa trèsdesplaisant adventure;
l'autre si est que jamais il ne retourne
en lieu où sa femme sera. L'autre,
trèsdesplaisant de ceste male adventure, conforte
le chevalier au mieulx qu'il peut, et promect
d'accomplir sa trèsraisonnable requeste,
et puis monte à cheval et s'en va. La chambrière,
qui coulpe n'avoit au meffait desusdit,
emporta la punicion par en avoir congié. Si
vesquirent depuis assez longtemps monseigneur
et madame assez paisiblement ensemble,
sans qu'elle sceust jamais qu'elle eust eu afaire
au chevalier estrange.
Pluseurs aultres haultes et dures adventures
ont esté demenées et à fin
conduictes ou royaume d'Angleterre,
dont la recitacion à present de
la pluspart ne serviroit pas à la continuacion
de ceste hystoire presente. Neantmains ceste
presente hystoire, pour son propos continuer,
et le nombre de ces histoires accroistre, fera
mencion comment ung grand seigneur dudit
royaume d'Angleterre entre les mieulx nez,
riche, puissant, et conquerant, entre les aultres
ses serviteurs avoit parfecte fiance, confidence
et amour en ung jeune et gracieux
gentil homme de son hostel, pour pluseurs
raisons, tant pour sa beauté, diligence, subtilité
et prudence; et, pour le bien qu'en
lui avoit trouvé, ne luy celoit rien de ses
amours; mesmes par succession de temps,
pour mieulx s'entretenir en la grace de son
maistre, le dit gentil homme estoit celuy qui
procuroit la plus part des bonnes adventures
qu'en amour il avoit, et ce pour le temps que
son dit maistre encores estoit à marier. Advint
certain espace après, que, par le conseil de
pluseurs ses parens, amis et bien veillans,
monseigneur se marya à une trèsbelle, bonne,
57et riche dame, dont pluseurs furent trèsjoyeux;
et entre les aultres nostre gentil homme, qui
mignon se povoit bien nommer, n'en fut pas
le mains contant, sentant en soy que c'estoit
le bien et honneur de son maistre, qui le retireroit
de pluseurs menues folies, ausquelles
espoir trop se donnoit. Si dist ung jour à monseigneur
qu'il estoit trèsjoyeux qu'il avoit si
trèsbelle et bonne dame espousée, car à
ceste cause il ne seroit plus empesché de faire
queste ça et là pour luy, comme il avoit de
coustume. A quoy monseigneur respondit que
pourtant ne se remuoit droit, et, jasoit qu'il
soit marié, si n'est-il pas pourtant du gracieux
service d'amours osté, mesmes de bien en
mieulx s'i veult employer et donner. Son mignon,
non content de ce vouloir, luy respondit
que sa queste en amours doit estre bien finée,
quand amours l'ont party de la nonpareille
des aultres, de la plus belle, de la plus
sage, de la plus loyalle et toute bonne; et quand
à luy, face Monseigneur ce qu'il luy plaist,
mais, de sa part, jour de sa vie à aultre femme
parolle ne portera au prejudice de sa maistresse.
«Je ne scay quel prejudice, dit le
maistre, mais il vous fault trop bien remettre en
train mes besoignes à telle, et à telle, et à telle,
rop long-temps sans pourchaz abandonnées.
Et ne pensez pas qu'encores ne m'en soit autant
que quand vous en feiz premier parler.—Ha
dea! monseigneur, dit le mignon, je ne
sçay trop emerveiller de vostre fait; il faut dire
que vous prenez plaisir à abuser femmes, qui
58par ma foy n'est pas bien fait: car vous savez
mieulx que nul aultre que toutes celles
que vous avez cy nommées ne sont pas à comparer
en beauté ne aultrement à madame, à
qui vous ferez mortel desplaisir s'elle savoit
vostre desordonné vouloir. Et, qui plus est,
vous ne povez ignorer qu'en ce faisant vous
ne damnez votre ame.—Cesse ton prescher,
dit monseigneur, et va dire ce que je te commende.—Pardonnez-moy,
monseigneur, dit
le mignon; un mot pour tous, j'aymeroie
mieulx mourir que à mon pourchaz sourdist
noise ou debat entre vous et madame, mesmes
pour vous la mort eternelle; si vous prie estre
content de moy, s'il vous plaist, car je n'en
feray rien plus.» Monseigneur, qui voit son
mignon enhurté, pour ce cop ne le presse.
Mais à chef de pièce de trois ou quatre jours,
sans faire en rien semblant des parolles precedentes,
entre aultres devises à son mignon demande
quelle viande il mengoit plus voluntiers.
Et il luy respondit que nulle viande
tant ne luy plaisoit que pastez d'anguilles.
«Saint Jehan, c'est bonne viande, ce dist le
maistre, vous n'avez pas mal choisy.» Cela
se passe, et monseigneur se trait arrière et
mande venir vers luy ses maistres d'ostel,
auxquelx il charge si cher qu'ilz luy veulent
obeir que son mignon ne soit servy d'aultre
viande que de pastez d'anguille, pour rien
qu'il dye. Et ilz respondent et promectent
d'accomplir son commendement, ce qu'ilz feirent
trèsbien: car, comme le dit mignon fut
59assis à table pour menger en sa chambre, le
propre jour du commendement, ses gens luy
apportèrent largement de beaulx et gros pastez
d'anguilles qu'on leur delivra en la cuisine,
dont il fut bien joyeux. Si en menga
tout son saoul. Au lendemain pareillement,
et cinq ou six jours ensuyvans tousjours revenoient
ces pastez en jeu, dont il estoit desjà
tout ennuyé; si demanda à ses gens si on ne
servoit léans que de pastez. «Ma foy, Monseigneur,
dient-ilz, on ne vous baille autre
chose; trop bien voyons-nous servir en sale
et ailleurs d'aultres viandes; mais pour vous,
il n'est memoire que de pastez.» Le mignon,
sage et prudent, que jamais sans grand cause
pour sa bouche ne feroit plainte, passa encores
pluseurs jours tousjours usant de ces ennuyeux
pastez, dont il n'estoit pas bien content.
Si s'advisa, ung jour entre les aultres, d'aller
disner avec les maistres d'ostel, qui le firent
servir comme paravant de pastez d'anguilles.
Et quand il vit ce, il ne se peut plus tenir de
demander la cause pour quoy on le servoit
plus de pastez d'anguilles que les aultres, et
s'il estoit pasté. «Par la mort bieu! dist-il,
j'en suis si treshodé que plus n'en puis; il me
semble que je ne voy que pastez. Et pour vous
dire, il n'y a point de raison, vous le m'avez
fait trop longuement; il y a plus d'un mois
que vous me faictes ce tour, dont j'en suys
tant maigre que je n'ay force ne puissance; et
ne saroye estre content d'estre ainsi gouverné.»
Les maistres d'ostel dirent que vrayement ilz
60ne faisoient chose que monseigneur n'eust
commendé, et que ce n'estoit pas par eulz.
Nostre mignon, plain de pastez, ne porta guères
sa pensée sans la deceler à monseigneur,
et luy demanda à quel propos il l'avoit fait
servir si longuement de pastez d'anguilles, et
defendu, comme disoient les maistres d'ostel,
qu'on ne luy baillast aultre chose. Et Monseigneur,
pour response, luy dist: «Ne m'as-tu
pas dit que la viande qu'en ce monde plus tu
ames ce sont pastez d'anguilles?—Saint Jehan!
monseigneur, dist le mignon, oy.—De
quoy te plains-tu donc? dist monseigneur;
je te fais bailler ce que tu aymes.—Aime!
dit le mignon, il y a manière: j'ayme trèsbien
voirement pastez d'anguilles pour une foiz, ou
pour deux, ou pour trois, ou de fois à aultre,
et n'est viande que devant je preisse; mais
de dire que tous les jours les voulsisse avoir
sans menger aultre chose, par nostre Dame,
non feroye; il n'est homme qui n'en fut rompu
et rebouté: mon estomac en est si traveillé
que, tantost qu'il les sent, il a assez disné.
Pour Dieu! monseigneur, commendez qu'on
me baille aultre viande pour recouvrer mon appetit,
aultrement je suis homme deffait.—Ha
dya, dit monseigneur, et te semble-il que je ne
soye ennuyé, qui veulx que je me passe de la
char de ma femme; tu peuz penser, par ma foy,
que j'en suys aussi saoul que tu es de pastez,
et que aussi voluntiers me renouvelleroye d'une
aultre, jasoit que point tant ne l'aymasse,
que tu feroies d'aultre viande que point tant
61n'aymes que pastez. Et, pour abreger, tu ne
mengeras jamais aultre viande jusques à ce
que tu me serves ainsi que souloyes; et me feras
avoir des unes et des aultres, pour moy renouveller,
comme tu veulx changer de viande.»
Le bon mignon, quand il entendit le mystère
et la subtille comparaison que monsieur a
faicte, fut tout confus et se rendit, et promect
à son maistre de faire tout ce qu'il voudra
affin qu'il soit quitte de ses pastez. Et pour ce
point monseigneur, pour changer voire et madame
espergnier, au pourchaz du mignon,
passa le temps comme il souloit avecques les
belles et bonnes; et nostre bon mignon fut delivré
de ses pastez et à son premier mestier
ratellé.
Ung lasche paillard et recreant, jaloux,
je ne dy pas coulx, vivent à l'ayse
ainsi comme Dieu scet et que les entachez
de ce mal pevent sentir et les
aultres pevent appercevoir et oyr dire, ne savoit
à qui recourre ne soy rendre pour trouver garison
de sa dolente, miserable et bien pou plaincte maladie.
Il faisoit huy ung pelerinage, demain ung
aultre, et aussi le plus souvent par ses gens ses
devocions et offrandes faisoit faire, tant estoit
62assoté de sa maison, voire au mains du regard
de sa femme, qui miserablement son temps
passoit avecques son trèsmaudit mary, le plus
suspessonneux hoignard que jamais femme accointast.
Ung jour, comme il pensoit qu'il fait
et fait faire pluseurs offrandes à divers sains
de paradis, et entre aultres à monseigneur
saint Michel, il s'advisa qu'il en feroit une
aultre à l'ymage qui est dessoubz ses piez,
qui est la representacion d'un deable. Et de
fait commenda à ung de ses gens qu'il luy allumast
et feist offre d'une grosse chandelle de
cyre, en luy priant pour son intencion. Son
commendement fut fait et accomply par le
varlet, qui luy fist son rapport. «Or ça, dist-il
en soy mesmes, je verray si Dieu ou deable
me pourroit garir.» En son accoustumé desplaisir,
après ceste nouvelle offrande, se va coucher
ce trèspaillard jaloux auprès de sa trèsbonne
femme; et, jasoit ce qu'il eust en sa teste
des fantasies et pensées largement, si le contraingnit
nature qu'elle eust ses droiz. Et de fait
bien fermement s'endormit; et, comme il estoit
au plus parfont de son somme, celuy à qui ce
jour la chandelle avoit fait offrir par vision à
luy s'apparut, qui le remercya de l'offrende
que naguères luy envoya, affermant que pieçà
telle offrande ne luy fut donnée. Dist au surplus
qu'il n'avoit pas perdue sa peine, et qu'il
obtendroit ce dont il l'avoit requis. Et, comme
à l'aultre sembla, en ung doy de sa main ung
anel y bouta, disant que, tant que cest anel y
fust, jaloux il ne seroit, ne cause aussi jamais
63venir ne luy pourroit qui de ce le tentast. Après
l'esvanuissement de ceste vision, nostre jaloux
se reveilla, et si trouva l'un des doiz de sa main
bien avant ou derrière de sa femme bouté,
dont il et elle furent bien esbahiz. Mais du
surplus de la vie au jaloux, de ses affères et
manières et maintiens, ceste histoire se taist.
Es metes du païs de Hollande, ung fol
naguères s'advisa de faire le pis qu'il
pourroit, c'est assavoir se marier; et,
tantost qu'il fut affublé du doulx manteau
de mariage, jasoit que alors il fust yver, il
fut si fort eschaufé que on ne le savoit tenir. Les
nuiz, qui pour ceste saison duroient et neuf et
dix heures, n'estoient point assez souffisantes ne
d'assez longue durée pour estaindre le trèsardent
desir qu'il avoit de faire lignée; et de fait, quelque
part qu'il encontrast sa femme, il l'abbatoit,
fust en sa chambre, fust en l'estable; en quelque
lieu que ce fust, tousjours avoit ung assault.
Et ne dura pas ceste manière ung moys
ou deux seullement, mais si trèslonguement
que pas ne le vouldroye escripre, pour l'inconvenient
qui sourdre en pourroit si la folie
de ce grant ouvrier venoit à la cognoissance
de pluseurs femmes. Que vous en diray-je
64plus? Il en fist tant que la memoire jamais estaincte
ne sera ou dit païs. Et à la verité, la
femme qui naguères au bailly d'Amiens se
complaignit de son mary pour le trèsgrand traveil
qu'il luy donnoit de semblable cas n'avoit
pas si bien matère de soy douloir que ceste cy.
Quoy que fust, jasoit que de ceste plaisante
peine aucunes foiz se fust trèsbien passée, pour
obéir comme elle devoit à son mary, jamais ne
fut rebourse à l'esperon. Advint ung jour après
disner que trèsbeau temps faisoit, et que le
soleil ses raiz envoyoit et departoit par la terre
paincte et brodée de belles fleurs, si leur print
volunté d'aller jouer au bois eulx deux tant
seullement, et si se misrent au chemin. Or ne
vous fault il pas celer ce qui sert à l'ystoire:
A la foiz que noz bonnes gens eurent ceste
devocion, ung laboureur avoit perdu son veau
qu'il avoit mis paistre dedans un pré marchissant
au dit bois; lequel il vint veoir et ne
le trouva pas, dont il ne fut pas moyennement
courroussé, et se mist à la queste, tant par le
bois comme ès prez, terres et places voisines
d'environ; mais il n'en scet trouver nouvelles.
Si s'advisa que à l'adventure il s'estoit bouté
dedans quelque busson pour paistre, ou dedans
aucun fossé herbu, dont il pourroit bien
saillir quand il auroit le ventre plain. Et, affin
qu'il puisse mieulx veoir et à son aise, sans
courre çà ne là son veau où il est, comme
il pensoit, il choisist le plus hault arbre
et mieulx houssé du bois, et monte dessus.
Et quand il se trouve au plus hault de
65cest arbre, qui toute la terre d'environ descouvroit,
il luy est bien advis que son veau est à
moitié trouvé. Tantdiz que ce bon laboureur
gectoit ses yeulx de tous costés après son
veau, véezcy nostre homme et sa femme qui
se boutent ou boys, chantans, jouans, et devisans,
et faisans feste, comme font les cueurs
gaiz quand ilz se trouvent ès plaisans lieux.
Et n'est pas merveille si le vouloir luy creut et
desir l'enorta d'accoler sa femme en ce lieu si
plaisant et propice. Pour executer ce vouloir
à sa plaisance et à son beau loisir, tant regarda
à dextre et à senestre qu'il apperceut le
trèsbel arbre dessus lequel estoit le laboureur,
dont il ne sçavoit rien; et soubz cest arbre il
disposa et conclut ses gracieuses armes accomplir.
Et quand il fut au lieu, il ne demoura
guères après la semonce de son desir, tenant
le lieu de mareschal, qu'il ne mist main à la
besoigne, et vous assault sa femme, et la porte
par terre, et car alors il estoit bien degois, et
sa femme aussi d'autre part, il la voult voir
devant et derrière, et de fait prend sa robe
et la luy osta, et en cotte simple la mect.
Après il la haussa bien hault malgré elle,
comme efforcée, et n'est pas content de ce,
mais, pour le bien veoir à son aise et sa beaulté
regarder, la tourne, et sus son gros derrière par
trois, par quatre foiz sa rude main il fait descendre;
il la revire d'aultre; et comme il
avoit son derrière regardé, aussi fait il le devant,
ce que la bonne simple femme ne veult
pour rien consentir; mesmes avec la grant résistence
66qu'elle fait, Dieu scet que sa langue
n'estoit pas oyseuse! Or l'appelle malgracieux,
fol, et enragé, aultre foiz deshoneste, et tant
luy dit que c'est merveille; mais riens n'y
vault, il est trop plus fort qu'elle, et si a conclu
de faire inventoire de tout ce qu'elle a;
si est force qu'elle obéisse, mieulx aymant,
comme sage, le bon plaisir de son mary que
par refus son desplaisir. Toute defense du
costé d'elle mise arrière, ce vaillant homme
va passer temps à ce devant regarder, et, si
sans honneur on le peut dire, il ne fut pas
content si ses mains ne descouvroient à ses
yeulx les secrez dont il se devoit bien passer
d'enquerre. Et comme il estoit en ce parfond
estude, il disoit maintenant: «Je voy cecy,
je voy cela, encores cecy, encores cela.» Et
qui l'oyoit, il voyoit tout le monde et beaucop
plus. Et, après une longue pause, estant
en ceste gracieuse contemplacion, dist de rechef:
«Saincte Marie, que je voy de choses!—Helas!
dist lors le laboureur sur l'arbre
juché, et ne véez-vous pas mon veau, beau
sire? il me semble que j'en voy la queue.»
L'aultre, jasoit qu'il fust bien esbahy, subitement
fist sa response et dist: «Ceste queue
n'est pas de ce veau.» Et à tant part et s'en
va, et sa femme le suyt. Et qui me demanderoit
qui le laboureur mouvoit à faire ceste sa
question, le secretaire de ceste histoire respond
que la barbe du devant de ladite femme
estoit assez et beaucop longue, comme il est
de coustume à celles de Hollande; si cuidoit
67bien que ce fust la queue de son veau; attendu
aussy que le mary d'elle disoit qu'il voyoit tant
de choses, voire à pou tout le monde, si pensoit
en soy mesmes que son veau ne pouvoit
guères estre esloigné, et que avec aultres choses
léans pourroit-il bien estre embusché.
A
Londres en Angleterre, tout dedans
avoit naguères ung procureur en
parlement qui entre aultres ses serviteurs
avoit ung clerc habile et diligent
et bien escripvant, qui trèsbeau filz
estoit, et, qu'on ne doit pas oblier, pour ung
homme de son eage il n'en estoit point de
plus subtil. Ce gentil clerc, frez et viveux,
fut tantost picqué de sa maistresse, que trèsbelle,
gente et gracieuse estoit; et si trèsbien
luy vint, que, ainçois qu'il luy osast oncques
dire son cas, le Dieu d'amours l'avoit
ad ce menée qu'il estoit le seul homme ou
monde qui plus luy plaisoit. Advint qu'il se
trouva en place ramonnée; et de fait, toute
crainte mise arrière, à sa dicte maistresse son
trèsgracieux et doulx mal racompta, laquelle,
pour la grand courtoisie que Dieu en elle n'avoit
pas obliée, desja aussi attaincte comme
68dessus est dit, ne le fist guères languir: car
après plusieurs excusacions et remonstrances
qu'elle en bref luy troussa, qu'elle eust à
aultre plus aigrement et plus longuement demené,
elle fut contente qu'il sceust qu'il luy
plaisoit bien. L'aultre, qui entendoit son latin,
plus joyeux que jamais il n'avoit esté, s'advisa
de batre le fer tantdiz qu'il estoit chault, et si
trèsroidde sa besoigne poursuyt qu'en pou de
temps joyt de ses amours. L'amour de la
maistresse au clerc et du clerc à elle estoit et
fut longtemps si trèsardente que jamais gens
ne furent plus esprins, et n'estoit en la puissance
de Malebouche, de Dangier, ne d'aultres
telles maudictes gens, de leurs bailler ne donner
destourbier. En ce trèsglorieux estat et
joyeux passetemps se passèrent pluseurs jours
qui guères aux amans ne durèrent, qui tant
donnez l'un à l'aultre estoient qu'à pou à Dieu
eussent quitté leur paradis pour vivre au
monde leur terme en ceste fasson. Et comme
ung jour ensemble estoient, après les trèshaulx
biens que amour leur souffrit prandre, et se
devisassent, en pourmenant par une sale, comment
ceste leur joye impareille continuer
se pourroient seurement, sans que l'embusche
de leur dangereuse entreprinse fust descouverte
au mary d'elle, qui du renc des jaloux
se tiroit trèsprès du hault bout, pensez que
plus d'un advis leur vint au devant, que je passe
sans plus au long escripre. La finale conclusion
et derrenière résolution que le bon
clerc emprint sur luy de la trèsbien conduire
69et à sa seure fin terminer, à quoy point ne faillit,
veezcy comment. Vous devez savoir que
l'accointance et alliance que le clerc eut à sa
maistresse, à laquelle diligemment servoit et
complaisoit, qu'il n'estoit pas mains diligent
de servir et complaire à son maistre, jasoit que
en toutes fassons aultres ce fust, et ce pour
mieulx couvrir son fait et aveugler les jaloux
yeulx de celuy qui pas tant ne se doubtoit
qu'on luy en forgeoit bien la matère. Ung
jour, nostre bon clerc, voyant son maistre assez
content de luy, emprint de parler et tout seul
trèshumblement, et doulcement et en grand
révérence luy dist qu'il avoit en son cueur
ung secret que voluntiers luy decelast s'il osoit.
Et ne vous fault pas celer que comme
pluseurs femmes ont larmes à commendement
qu'elles espandent toutesfoiz ou le plus souvent
qu'elles veulent, si eut à cest cop nostre
bon clerc, car grosses larmes, en parlant,
luy descendoient en très grand abundance;
et n'est homme qui ne cuidast qu'elles ne fussent
ou de contricion, de pitié ou de très
bonne intencion. Le pouvre maistre abusé,
oyant son clerc, ne fut pas ung peu esbahy
n'esmerveillé, mais cuidoit bien qu'il y eust
aultre chose que ce que après il sceut. Si luy
dist: «Que vous fault-il, mon filz, et qu'avez
vous à plorer maintenant?—Helas! sire, et
j'ay bien cause plus que nul aultre de douloir;
mais helas! mon cas est tant estrange, et
non pas mains piteux sur tous requis d'estre
celé, que jasoit que j'aye eu vouloir de le vous
70dire; si m'en reboute crainte quand j'ay au
long à mon maleur pensé.—Ne plorez plus,
mon filz, respond le maistre, et si me dictes
qu'il vous fault, et je vous asseure, s'en moy
est de vous aider, je m'y emploiray comme je
doy.—Ha! mon maistre, dit le renard clerc,
je vous mercie; mais j'ay bien tout regardé,
je ne pense pas que ma langue eust la puissance
de descouvrir la trèsgrand infortune que
j'ay si longuement portée.—Ostez-moy ces
propos et toutes ces doléances, ce dist le maistre;
je suis celuy à qui rien ne devez céler;
je veil savoir que vous avez; avancez vous
et le me dictes.» Le clerc, sachant le tour de
son baston, s'en fist beaucop prier, et a trèsgrand
crainte par semblant, et à grand abundance
de larmes et à volunté se laisse ferrer,
et dit qu'il dira, mais qu'il luy veille promettre
que par luy jamais ame n'en sçaura nouvelle,
car il aymeroit autant ou plus cher morir que
son maleureux cas fust cogneu. Ceste promesse
par le maistre vouée, le clerc mort et
descoloré comme ung homme jugié à pendre,
si va dire: «Mon trèsbon maistre, il est vray
que jasoit que pluseurs gens et vous aussi
pourriez penser que je fusse homme naturel
comme ung aultre, ayant puissance d'avoir
compaignie avecques femme, et de faire lignée,
je vous ose bien dire et monstrer que
point je ne suis tel, dont, hélas! trop je me
deulz.» Et, à ces paroles, asseurément tira son
membre à perche et luy fist monstre de la peau
où les coillons se logent, lesquelx il avoit par
71industrie fait monter en hault vers le petit
ventre, et si bien les avoit cachez qu'il sembloit
qu'il n'en eust nul. Or va il dire: «Mon
maistre, vous veez mon infortune, dont de
rechef vous prie qu'elle soit celée; et oultre
plus, trèshumblement vous requier, pour tous
les services que jamais vous féis, qui ne sont
pas telz que j'en eusse eu la volunté, si Dieu
m'eust donné le povoir, que me facez avoir
mon pain en quelque monastère dévot, où je
puisse le surplus de mes jours au service de
Dieu passer, car au monde ne puis-je de rien
servir.» L'abusé et deceu maistre remonstre à
son clerc l'aspreté de religion, le pou de mérite
qui luy en viendroit quand il se veult rendre
comme par desplaisir de son infortune, et
foison d'aultres raisons luy amena, trop longues
à racompter, tendans à fin de l'oster de
son propos. Savoir vous fault aussi que pour
rien ne l'eust voulu abandonner, tant pour son
bien escripre et diligence que pour la fiance
que doresenavant à luy adjoustera. Que vous
diray-je plus? Tant luy remonstra, que ce clerc
au fort pour une espace en son estat et en son
service demourer luy promet. Et comme ouvert
luy avoit son secret, le sien luy voult
deceler, et dist: «Mon filz, de vostre infortune
ne suis je pas joyeux, mais, au fort, Dieu, qui
fait tout pour le mieulx et scet ce qui nous
duyt et vault trop mieulx que nous mesmes,
en soit loé! vous me pourrez doresenavant
trèsbien servir, que à mon povoir vous meriteray.
J'ay jeune femme assés legière et volage,
72et je suis, ainsi que vous véez, desjà ancien
et sur eage, qui aucunement peut estre occasion
à pluseurs de la requerre de deshonneur;
et à elle aussi, s'elle estoit aultre que bonne,
me bailler matière de jalousie; et, pour eviter
ce danger et aultres pluseurs, je la vous
baille et donne en garde, et si vous prie que
ad ce tenez la main que je n'aye cause d'en
trouver aucune matère de jalousie.» Par grand
deliberacion fist le clerc sa response; et quand
il parla, Dieu scet s'il loa bien sa trèsloyalle et
bonne maistresse, disant que sur tous aultres
il l'avoit belle et bonne, et qu'il s'en devoit
tenir content. Neantmains, en service et autres
choses, il est celuy qui s'i veult du tout son
cueur employer, et ne laissera, pour rien que
luy puist advenir, qu'il ne l'advertisse de tout
ce que loyal serviteur doit faire à son maistre.
Le maistre, lye et joyeux de la nouvelle garde
de sa femme, laisse l'ostel et en la ville à ses
afaires va entendre. Et le bon clerc incontinent
fault à sa garde, et, le plus longuement
que il et sa dame osèrent, n'espergnèrent pas
les membres qui en terre pourriront; et ne firent
jamais grigneur feste, puisque la dame fut
advertie de la fasson subtile qui son mary abuseroit.
Assez et longue espace dura le joieux
passetemps de ceulx qui tant bien s'entramoyent.
Et si aucunes fois le bon mary alloit
dehors, il n'avoit garde d'emmener son clerc;
plustost eust emprunté ung serviteur à ses
voisins que l'aultre n'eust gardé l'ostel; et si
la dame avoit congié d'aller en aucun pelerinage,
73plustost allast sans chambrière que sans
le trèsgracieux clerc. Faictes vostre compte:
jamais clerc vanter ne se peut d'avoir eu meilleure
adventure, qui point ne vint à cognoissance,
voire au mains que je sache, à celuy
qui bien s'en fust desesperé s'il en eust sceu
le demene.
La grande et large marche de Bourgoigne
n'est pas si despourveue de
pluseurs adventures dignes de memoire
et d'escripre, que, à fournir
les histoires qui à present courent, je n'ose
bien avant mettre et en bruyt ce que naguères
y advint. Assez près d'un gros et bon village
assis sur la rivière d'Ouches avoit et encores
a une montaigne où ung hermite tel que
Dieu scet faisoit sa residence, lequel, soubz
umbre du doulx manteau d'ypocrisie, faisoit
des choses merveilleuses qui pas ne vindrent
à congnoissance ne en la voix publicque du
peuple, jusques ad ce que Dieu plus ne vouloit
son trèsdamnable abus permettre ne souffrir.
Ce saint hermite, qui de son coup à la mort se
tiroit, n'estoit pas mains luxurieux que ung
vieil cinge est malicieux; mais la manière du
74conduire estoit si trèssubtille qu'il fault dire
qu'elle passoit les termes des engins communs.
Veez cy qu'il fist: Il regarda qu'entre
aultres femmes et belles filles ses voisines, la
plus digne d'estre aimée et desirée estoit la
fille à une simple femme vefve, trèsdevote et
bien ausmosnière; si va conclure en soy, si
son sens ne lui fault, qu'il en chevira bien.
Ung soir, environ la mynuyt, qu'il faisoit
noir et rude temps, il descendit de sa montaigne
et vint à ce village, et tant passa de
voies et sentiers que soubz le toit de la mère
à la fille, sans estre oy, seul se trouva. L'ostel
n'estoit pas si grand, ne si pou de luy
hanté tout en devocion, qu'il ne sceust bien
les engins. Si va faire ung pertuys en une
paroy non guères espesse, à l'endroit de laquelle
estoit le lict de ceste simple vefve; et
prent ung long baston percé et creux dont il estoit
hourdé, et, sans la vefvette esveiller, auprès
de son oreille l'arresta, et dit en assez basse
voix par trois foiz: «Escoute moy, femme
de Dieu; je suis ung angel du Createur, qui
devers toy m'envoye toy annuncer et commender,
par les haulx biens qu'il a volu en
toy enter, qu'il veult par ung hoir de ta chair,
c'est à savoir ta fille, l'Eglise son espouse
reunir, reformer, et à son estat deu remettre.
Et veez cy la fasson: Tu t'en yras en la montaigne
devers le saint hermite, et ta fille luy
meneras, et bien au long luy compteras ce
que à present Dieu par moy te commende. Il
congnoistra ta fille, et d'eulx viendra ung filz
75eleu de Dieu et destiné au saint siege de
Romme, qui tant de bien fera que à saint Pierre
et à saint Pol le pourra l'on bien comparer. Atant
m'en vois, obéy à Dieu.» La simple femme,
trèsebahie, souprinse aussi et à demy ravye,
cuida vrayement et de fait que Dieu luy envoiast
ce message; si dit bien en soy mesmes
qu'elle ne desobeira pas; si se rendort une grand
pièce après, non pas trop fermement, attendant
et beaucop desirant le jour. Et entretant le bon
hermite prend le chemin devers son reclusage en
la montaigne. Ce trèsdesiré jour à chef de piece
fut annuncé par les raiz du soleil, qui, malgré
les voirrières des fenestres, vindrent descendre
enmy la chambre, firent mère et fille bien
à haste lever. Quand prestes furent et sur piez
mises, et leur pou de mesnage mis à point,
la bonne mère si demande à sa fille s'elle n'a
rien oy en ceste nuyct, et elle luy respond:
«Certes, mère, nenny.—Ce n'est pas à toy,
dit-elle aussi, que de prinssault ce doulx message
s'adresse, combien qu'il te touche beaucop.»
Lors luy va dire tout au long l'angelicque
nouvelle que en ceste nuyt Dieu luy
manda; demande aussi qu'elle en veut dire.
La bonne fille, comme sa mère simple et devote,
respond: «Dieu soit loé; ce qu'il vous
plaist, ma mère, soit fait.—C'est trèsbien
dit, respond la mère. Or en allons à la montagne
à la semonce du bon angel devers le
saint preudomme.» Le bon hermite, faisant le
guet quand la deceue veille sa simple fille
amenroit, la voit venir; si laisse son huys
76entreouvert, et en prière se va mettre enmy
sa chambre, affin qu'en devocion fust trouvé.
Et comme il desiroit il advint, car la bonne
femme et sa fille, voyans l'huys entreouvert,
sans demander quoy ne comment, dedans entrèrent.
Et, comme elles parceurent l'ermite en
contemplacion, comme s'il fust Dieu l'onnorèrent.
L'ermite, à voix humble et casse, les
yeulx vers la terre enclinez, de Dieu salue
la compaignie. Et la veillote, desirant qu'il
sceust l'occasion qui l'amenoit, le tire à part
et luy va dire de bout en bout tout le fait,
qu'il savoit trop mieulx qu'elle. Et, comme en
grand reverence faisoit son rapport, le bon
hermite gettoit ses yeulx en hault, joignoit les
mains au ciel; et la veille ploroit, tant avoit
et joye et pitié. Quand ce rapport fut au long
achevé, dont la veillotte attendoit la response,
celuy qui la doit faire ne se haste pas. Au fort,
à chef de pièce, quand il parla ce fut: «Dieu
soit loé! Mais, m'amye, dist-il, vous semble-il
à la vérité, et à vostre entendement, que
ce que droit cy vous me dictes ne soit point fantosme
ou illusion? Que vous en juge le cueur?
Sachez que la chose est grande.—Certainement,
beau père, j'entendiz la voix qui ceste joieuse
nouvelle apporta aussi plainement que je faiz
vous, et croiez que je ne dormoye pas.—Or
bien, dit-il, non pas que je veille contredire au
vouloir de mon createur, si me semble-il que vous
et moy dormions encores sur ce fait; et, s'il vous
appert de rechef, vous reviendrez icy vers moy,
et Dieu nous donnera bon conseil et advis.
77On ne doit pas trop legierement croire, ma
bonne mère; le dyable, aucunesfois envieux
d'aultruy, bien treuve tant de cautelles et se
transforme en angel de lumière. Creez, ma
mère, que ce n'est pas pou de chose de ce
fait cy; et, si je y mectz ung pou de refus, ce
n'est pas merveille: n'ay je pas à Dieu voué
chasteté? Et vous m'apportez la romptture de
par lui. Retournez en vostre maison, et priez
Dieu, et au surplus demain nous verrons que
ce sera; et à Dieu soiez.» Après ung grand
tas d'agyos, se part la compagnie de l'ermite,
et vindrent à l'ostel devisant. Pour abreger,
nostre hermite à l'heure accoustumée et deue,
fourny du baston creux en lieu de crochette,
revint à l'oreille de la simple femme, disant
les propres motz, ou en substance, de la nuyt
precedente; et, ce fait, vistement retourne en
son manoir. La veille, de joye emprise, cuidant
Dieu tenir par les piez, lève de haulte
heure, à sa fille racompte ses nouvelles sans
doubte, confermans la vision de l'autre nuyt
passée. Il n'est que d'abreger: «Or allons devers
le saint homme.» Elles s'en vont, et il
les voit approucher, si va prendre son breviaire,
et son service à recommander, et en cest
estat devant l'huys de sa maisonnette se fait
des bonnes femmes saluer. Si la veille hier
luy fist ung grand prologue de sa vision, celuy
de maintenant n'est de rien maindre, dont
le preudomme se signe et emerveille, disant:
«Et vray Dieu, qu'est cecy? Fay de moy tout
ce qu'il plaist, combien que, si n'estoit ta
78large grace, je ne suys pas digne d'executer
ung si grand euvre.—Or regardez, beau
père, dist lors la bonne femme, vous voiez
bien que c'est à certes quand de rechef à
moy s'est apparu l'angel.—En verité, m'amye,
ceste matère m'est si haulte et si trèsdifficile
et non accoustumée que je n'en sçay
bailler, dist l'ermite, que doubtive response.
Non mye affin que vous entendez sainement
qu'en attendant la tierce apparition je veille
que vous tentez Dieu; mais on dit de coustume:
A la tierce foiz va la luycte; si vous
prie et requier qu'encores se peust passer ceste
nuyt sans aultre chose faire, attendant sur ce
fait la grace de Dieu; et, si par misericorde il
nous demonstre ennuyt comme les aultres
precedentes, nous ferons tant qu'il en sera
loé.» Ce ne fut pas du bon gré de la bonne
veille qu'on tarda tant d'obeyr à Dieu, mais
au fort l'ermite fut creu comme le plus sage.
Comme elle fut couchée, ou parfond pensemens
des nouvelles qui en teste luy revient,
l'ypocrite pervers, de sa montaigne descendu,
luy mect son baston creux à l'oreille, en luy
commendant de par Dieu, comme son ange,
une foiz pour toutes, qu'elle meine sa fille à
l'ermite pour la cause que dicte est. Elle n'oblya
pas tantost qu'il fust jour ceste charge:
car, après les graces à Dieu de par elle et sa
fille rendues, se mettent à chemin par devers
l'ermitage, où l'ermite leur vient au devant,
qui de Dieu les salue et beneist. Et la bonne
mère, trop plus que nulle aultre joyeuse, ne
79luy cela guère sa nouvelle apparicion, dont
l'ermite, qui par la main la tient, en sa chapelle
les convoye, et la fille les suyt, et leans
font les trèsdevotes oroisons à Dieu le tout
puissant, qui ce trèshault mystère leur a daigné
monstrer. Après ung pou de sermon que fist
l'ermite touchant songes, visions, apparicions
et revelacions, qui souvent aux gens adviennent,
il cheut en propos de toucher leur matière
pour laquelle estoient assemblés. Et
pensez que l'ermite les prescha bien et en
bonne devocion, Dieu le scet: «Puis que
Dieu veult et commende que je face lignée
papale, voire et le daigne reveler non pas une
foiz ou deux seullement, mais bien la tierce
d'abundance, il fault croire, dire et conclure
que c'est ung hault bien qui de ce fait en ensuyvra.
Si m'est advis que mieulx on ne peut
faire que d'abreger l'execution en lieu de ce
que trop espoir j'ay differé de baillier foy à la
saincte aparicion.—Vous dictes bien, beau
père; comment vous plaist-il faire? respond la
veille?—Vous laisserez ceans vostre belle
fille, dit l'hermite, et elle et moi en oroisons
nous mettrons, et après au surplus ferons ce
que Dieu nous apprendra.» La bonne veille
fut contente, si fut sa fille pour obeir. Quand
damp hermite se treuve à part avec la belle
fille, comme s'il la voulsist rebaptiser toute
nue la fist despoiller; et creez qu'il ne demoura
pas vestu. Qu'en vauldroit le long
compte? Il la tint tant et si longuement avec
luy, en lieu d'aultre clerc, tant ala aussi et
80vint à l'ostel d'elle, pour la doubte des gens,
que le ventre luy commença à bourser, dont
elle fut si trèsjoyeuse qu'on ne vous le saroit
dire. Mais, si la fille s'esjoissoit de sa portée,
la mère d'elle en avoit à cent doubles; et le
mauldit bigot faignoit aussi s'en esjoir, mais
il en enrageoit tout vif. Ceste pouvre mère
abusée, cuidant de vray que sa belle fille
deust faire ung trèsbeau filz pour le temps advenir
de Dieu eleu pape de Romme, ne se
peut tenir que à sa plus privée voisine ne le
comptast, qui aussi esbahie en fut comme si
cornes luy venissent, non pas toutesfois qu'elle
ne se doubtast de tromperie. Elle ne cela pas
longuement aux aultres voisins et voisines
comment la fille d'une telle est grosse, par les
œuvres du saint ermite, d'un filz qui doit estre
pape de Romme. «Et ce que j'en sçay,
dit-elle, la mère d'elle le m'a dit, à qui Dieu
l'a voulu reveler.» Ceste nouvelle fut tantost
espandue par les villes voisines. Et en ce
temps pendant la fille acoucha, qui à la
bonne heure d'une belle fille se delivra, dont
elle fut trèsesmerveillée et courroucée, et sa
trèssimple mère et les voisines aussi, qui
attendoient vrayement le saint Père advenir
recevoir. La nouvelle de ce cas ne fut pas
mains tost sceue que celle precedente; et entre
aultres l'ermite en fut des premiers servy
et adverty, qui tantost s'en fuyt en aultre païs,
ne sçay quel, une aultre femme ou fille decevoir,
ou ès desers d'Egipte de cueur contrit
la penitence de son peché satisfaire. Quoy
81que soit ou fust, la pouvre fille fut deshonorée,
dont ce fut grand dommage, car belle,
gente et bonne estoit.
Au gentil pays de Brabant, lez ung
monastère de blancs moynes, est situé
ung aultre de nonnains, qui trèsdévotes
et charitables sont, dont l'ystoire
taist le nom et la marche particulière.
Ces deux maisons voisines estoient, comme
l'on dit de coustume, la grange et les bateurs:
car, Dieu mercy, la charité de la maison des
nonnains estoit si trèsgrande que pou de gens
estoient esconduis de l'amoureuse distribucion,
voire si dignes estoient d'icelle recevoir. Pour
venir au fait de ceste histoire, ou cloistre des
blancs moynes avoit ung jeune et bel religieux
qui devint amoureux si fort que c'estoit
rage d'une nonnain sa voisine; et de fait eut
bien le courage, après les prémisses dont ces
amoureux scevent les femmes abuser, luy demander
à faire pour l'amour de Dieu. Et la
nonnain, qui bien par renommée congnoissoit
ses oustilz, jasoit qu'elle fust bien courtoise,
luy bailla trèsdure et aspre response. Il ne fut
pas pourtant enchassé, mais tant continua sa
trèshumble requeste que force fut à la belle
82nonnain ou de perdre le bruit de sa trèslarge
courtoisie, ou d'accorder au moyne ce que
à pluseurs sans prier avoit accordé. Si luy
va dire: «En vérité, vous poursuyvez et
faictes grand diligence d'obtenir ce que à droit
ne sariés fournir; et pensez vous que je ne
sache bien par oyr dire quelz oustilz vous portez?
croiez que si faiz; il n'en y a pas pour
dire grans merciz.—Je ne sçay, moy, qu'on
vous a dit, respond le moyne; mais je ne
doubte point que vous ne soiez bien contente
de moy, et que je ne vous monstre que je suis
homme comme ung aultre.—Homme, dit-elle,
cela croy je assez bien; mais vostre chose
est tant petit, comme l'on dit, que, si vous l'apportez
en quelque lieu, à peu on se perçoit qu'il
y est.—Il va bien aultrement, dit le moyne;
et si j'estoye en place je feroye, par vostre jugement,
menteurs tous ceulx ou celles qui
bruyt me donnent.» Au fort, après ce gracieux
debat, la courtoise nonnain, affin d'estre quitte
de l'ennuyant poursuitte que le moyne faisoit,
aussi qu'elle sache qu'il vault et qu'il scet faire,
et aussi qu'elle n'oblye le mestier qui tant luy
plaist, elle luy baille jour, à douze heures de
nuyt, devers elle venir et heurter à sa treille;
dont mercyée elle fut haultement. «Toutesfoiz,
dit-elle, vous n'y entrerez pas que je ne
sache à la verité quelz oustilz vous portez, et
se je m'en saroie aider ou non.—Comme il
vous plaist», respond le moyne. A tant s'en
va et laisse sa maistresse, et vint tout droit
devers frère Courard, l'un de ses compaignons,
83qui estoit oustillé Dieu scet comment! et à
ceste cause avoit ung grand gouvernement ou
cloistre des nonnains. Il luy compta son cas
tout du long, comme il a prié une telle, la
response et le refus qu'elle fist, doubtant qu'il
ne soit pas bien solier à son pié, et en la
parfin comment elle est contente qu'il entre
vers elle, mais qu'elle sente et sache premier
de quelles lances il vouldra jouster encontre
son escu. «Or est-il ainsi, dit-il, que je suis
mal fourny de grosse lance telle que j'espere
et voy bien qu'elle desire d'estre rencontrée.
Si vous prie tant que je puis que anuyt vous
venez avecques moy, à l'heure que me doy
vers elle rendre, et vous me ferés le plus
grand plaisir que jamais homme fist à aultre.
Je sçay qu'elle vouldra, moy là venu, sentir
et taster la lance dont je entens à fournir mes
armes; et, à la coup qui me fauldra ce faire,
vous serez derrière moy sans dire mot, et
vous mettrez en ma place, et vostre gros
bourdon ou poing luy mettrez. Elle ouvrera
l'huys cela fait, je n'en doubte point, et vous
en irez, et dedans j'entreray; et du surplus
laissez moy faire.» Frère Courard, desirant à
complaire à son compaignon, accorde ce marché,
et à l'heure assignée se met avec luy
par devers la nonnain; et quand ilz sont à l'endroit
de la fenestre, maistre moyne, plus eschaufé
qu'un estalon, de son baston ung coup
heurta; et la nonnain n'attendit pas l'autre
hurt, mais ouvrit sa fenestre et dist en basse
voix: «Qui est là?—C'est moy, dit-il; ouvrez
84tost l'huys, qu'on ne nous oye.—Ma foy,
dit-elle, vous ne serez pas en mon livre enregistré,
n'escript, que premier ne serez pas
à monstre, et que je ne sache quel harnois
vous portez. Approuchez prè set me monstrez
que c'est.—Très voluntiers, dit-il.» Adonc
tire frère Courard, qui s'avançoit pour faire
son personnage, qui en la main de madame la
nonnain mist son bel et trèspuissant bourdon,
qui gros et long estoit. Et tantost comme elle
le sentit, comme si nature luy en baillast la
congnoissance, elle dist: «Nenny, dist-elle,
je congnois bien cest ycy; c'est le bourdon
de frère Courard. Il n'y a nonnain céans qui
bien ne le cognoisse; vous n'avez garde que
j'en soye deceue: je le cognois trop. Allez quérir
ailleurs vostre adventure.» Et à tant sa fenestre
referma bien courroussée et mal contente,
non pas sur frère Courard, mais sur
l'autre moine, lesquelz, après ceste adventure,
s'en retournèrent vers leur hostel, tout
devisant de ceste advenue.
En la conté d'Artoys naguères vivoit
ung gentil chevalier, riche et puissant,
lyé par mariage avecques une
trèsbelle dame et de hault lieu. Ces
deux ensemble par longue espace passèrent
85pluseurs jours paisiblement et doulcement. Et
car alors, la Dieu mercy, le trèspuissant duc de
Bourgoigne, conte d'Artois, et leur seigneur,
estoit en paix avec tous les bons princes chrestians,
le chevalier, qui trèsdevot et craignant
Dieu estoit, delibera à Dieu faire sacrifice du
corps qu'il luy avoit presté bel et puissant, assouvy
de taille desirée autant et plus que nul
de sa contrée, excepté que perdu avoit ung
œil en ung assault où avec son prince s'estoit
trèsvaillamment porté. Et pour faire son oblacion
en lieu eleu et de luy desiré, après les
congez à madame sa femme prins et de pluseurs
ses parens et amys, se mect à voye devers
les bons seigneurs de Perusse, vraiz champions
et defenseurs de la trèssaincte foy chrestiane.
Tant fist et diligenta qu'en Perusse, après pluseurs
adventures que je passe, sain et sauf se
trouva, où il fist assez et largement de grans
proesses en armes, dont le grand bruyt de sa
vaillance fut tantost espandu en pluseurs marches,
tant à la relacion de ceulx qui veu l'avoyent,
en leur pais retournez, que par lettres que les
demourez rescripvoient à pluseurs, qui grand
gré leur en sceurent. Or ne vous fault pas celer
que madame, qui demourée est, ne fut pas si
rigoreuse que à la pryère d'un gentil escuier,
qui d'amours la requist, elle ne fust tantost
contente qu'il fust lieutenant de monseigneur,
qui aux Sarrazins se combat. Tandiz que monseigneur
jeune et fait penitence, madame fait
gogettes avecques l'escuier; le plus des foiz
monseigneur se disne et souppe de biscuit et de
86la belle fontaine, et madame a de tous les biens
de Dieu si largement que trop; monseigneur
au mieulx se couche en la paillace, et madame
en ung trèsbeau lit avec l'escuyer se repose.
Pour abreger, tantdiz que monseigneur aux
Sarrazins fait guerre, l'escuier à madame combat,
et si trèsbien s'i porte, que, si monseigneur
jamais ne retournoit, elle s'en passeroit
trèsbien, et à pou de regret, voire tant qu'il ne
fasse aultrement qu'il a commencé. Monseigneur
voyant, la Dieu mercy, que l'effort des
Sarrazins n'estoit point si aspre que par cy devant
a esté, sentant aussi que assez longue espace
a laissié son hostel et sa femme, que moult le
regrette et desire, comme par pluseurs ses lettres
elle luy a fait savoir, dispose son partement,
et avec le pou de gens qu'il avoit se mect
en chemin; et si bien exploicta à l'ayde du
grand desir qu'il a de se trouver en sa maison
et es braz de madame, que en pou de jours en
Artois se trouva. Il, à qui ceste haste plus touche
que à nul de ses gens, est tousjours le premier
descouchez, trestout le premier prest et
le devant au chemin. Et de fait sa trop grande
diligence le fait bien souvent chevaucher seul
devant ses gens, aucunesfoiz ung quart de
lieue ou plus. Advint ung jour que monseigneur,
estant au giste, environ à six lieues de sa maison
où il doit trouver madame, se descoucha
si matin et monta à cheval que bien luy semble
que son cheval à sa maison le rendra ains que
madame soit descouchée, qui rien de ceste sa
venue ne scet. Ainsi comme il le proposa il
87advint, et comme il estoit en ce plaisant chemin
dist à ses gens: «Venez tout à vostre aise, et
ne vous chaille jà de moy suyvir; je m'en iray
tout mon train pour trouver ma femme au lict.»
Ses gens hodez et traveillez, et leurs chevaulx
aussi, ne contredirent pas à monseigneur, qui
picque son courtaut et fait tant en peu d'heure
qu'il est en la basse court de son hostel descendu,
où il trouva ung varlet qui le deffist de
son cheval. Ainsi housé et tout ainsi que descendu
estoit, s'en va tout sans ame rencontrer, car encores
matin estoit, devers sa chambre, où madame
encores dormoit, ou espoir faisoit ce qui tant
a fait monseigneur traveiller. Creez que l'huys
n'estoit pas ouvert, à cause du lieutenant, qui
tout fut ebahy, et madame aussi, quand monseigneur
heurta de son baston ung trèslourd
coup: «Qui est-ce? dist madame.—C'est moy,
c'est moy, ce dit monseigneur; ouvrez, ouvrez.»
Madame, qui tantost a congneu monseigneur
à son parler, ne fut pas des plus asseurées;
neantmains fait habiller incontinent son escuier,
qui mect peine de soy advancer le plus qu'il
peut, pensant comment il pourra eschaper sans
dangier. Madame, qui fainct d'estre encore
toute endormie et non recognoistre monseigneur,
après le second hurt qu'il fait à l'huys
demande encores: «Qui est ce là?—C'est vostre
mary, dame; ouvrez bien tost, ouvrez.—Mon
mary! dit-elle; helas! il est bien loing d'icy;
Dieu le ramaine à joye et bref!—Par ma foy,
dame, je suis vostre mary, et ne me cognoissez
vous au parler? Si tost que je vous oy respondre,
88je cogneu bien que c'estiez vous.—Quand
il viendra, je le sçaray beaucop devant,
pour le recevoir ainsi que je doy, et aussi pour
mander messeigneurs ses parens et amys pour
le festoier et convier à sa bien venue. Allez,
allez, et me laissez dormir.—Saint Jehan! je
vous en garderay! ce dit monseigneur; il fault
que vous ouvrez l'huys; et ne voulez-vous
cognoistre vostre mary?» Alors l'appelle par son
nom; et elle, qui voit que son amy est jà tout
prest, le fait mettre derrière l'huys, et puis va
dire: «Ha! monseigneur, est-ce vous? Pour
Dieu, pardonnez moy, et estes vous en bon
point?—Oy, la Dieu mercy, ce dist monseigneur.—Or
loé en soit Dieu! ce dit madame;
je vien incontinent vers vous et vous mettray
dedans, mais que je soye un peu habillée et
que j'aye de la chandelle.—Tout à vostre
aise, dit monseigneur.—En verité, ce dit
madame, tout à cest coup que vous avez hurté,
monseigneur, j'estoye bien empeschée d'un
songe qui est de vous.—Et quel est-il, m'amye?—Par
ma foy, monseigneur, il me sembloit à
bon escient que vous estiez revenu, que vous
parliez à moy, et si voiez tout aussi cler d'un
oeil comme de l'autre.—Pleust ores à Dieu!
dit monseigneur.—Nostre Dame, ce dit madame,
je croy que aussi faictes-vous.—Par
ma foy, dit monseigneur, vous estes bien beste;
et comment ce seroit-il?—Je tien, moy, dit elle,
qu'il est ainsi.—Il n'en est riens, non, dit monseigneur,
et estes-vous bien si fole que de le
penser?—Dya, monseigneur, dit-elle, ne me
89créez jamais s'il n'est ainsi, et, pour la paix de
mon cueur, je vous requier que nous l'esprouvons.»
Et à cest coup elle tenoit l'huys, tenant
la chandelle ardant en sa main. Et monseigneur,
qui est content de ceste epreuve, souffrit
bien que madame luy bouchast son bon oeil
d'une main, et de l'autre elle tenoit la chandelle
devant l'oeil de monseigneur qui crevé estoit;
et puis luy demanda: «Monseigneur, ne voiez
vous pas bien, par vostre foy?—Par mon serment,
nenny, m'amye, ce dit-il.» Et entretant
que ces devises se faisoient, le lieutenant de
monseigneur sault de la chambre sans qu'il fust
apperceu de luy. «Or attendez, monseigneur,
ce dit-elle, et maintenant vous me voiez bien,
faictes pas?—Par Dieu! m'amye, nenny, dit
monseigneur, comment vous verroie je? vous
avez bouchié mon dextre oeil, et l'autre est crevé
passé a dix ans.—Alors, dist-elle, or voy-je
bien que c'estoit songe voirement qui ce rapport
me fist; mais, toutesfoiz, Dieu soit loé et
gracié que vous estes cy!—Ainsi soit-il», ce
dit monseigneur. Et à tant s'entreacolèrent et
baisèrent moult de foiz, et feirent grand feste,
et n'oblya pas à compter comment il avoit laissé
ses gens derrière, et que pour la trouver ou lit
il avoit fait telle diligence. «Et vrayement, dit
madame, encores estes vous bon mary.» Et à
tant vindrent femmes et serviteurs qui bien beneirent
monseigneur et le deshousèrent, et de
tous poins le deshabillèrent. Et ce fait se bouta
ou lit avecques madame, qui le repeut du demourant
de l'escuier, qui s'en va son chemin,
90lye et joieux d'estre ainsi eschappé. Comme
vous avez oy fut le chevalier trompé, et n'ay
point sceu, combien que pluseurs gens depuis
le sceurent, qu'il en fust jamais adverty.
N'aguères que à Paris presidoit en la
chambre des comptes ung grand
clerc chevalier assez sur eage, mais
très joyeux et plaisant homme estoit,
tant en sa manière d'estre comme en
ses devises, où qu'il les adressast, ou aux hommes
ou aux femmes. Ce bon seigneur avoit
femme espousée desja ancienne et maladive,
dont il avoit belle lignée. Et entre aultres damoiselles,
chambrières et servantes de son
hostel, celle où nature avoit mis son entente
de la faire trèsbelle, meschine estoit, faisant
le mesnage commun, comme les litz, le pain
et aultres telz affaires. Monseigneur, qui ne
jeunoit jour de l'amoureux mestier tant qu'il
trouvast rencontre, ne cela guères à la belle
meschine le grant bien qu'il luy veult, et lui
va faire ung grand prologue d'amoureux assaulx
que incessamment amour pour elle luy
envoye, continue aussi ce propos, promettant
tous les biens du monde, monstrant comme il
est bien en luy de luy faire tant en telle manière,
91en telle et en telle. Et qui oyoit le chevalier,
jamais tant d'eur n'advint à la meschine
que de luy accorder son amour. La belle meschine,
bonne et sage, ne fut pas si beste que
aux gracieux motz de son maistre baillast response
en rien à son advantage, mais s'excusa
si gracieusement que monseigneur en son courage
trèsbien l'en prise, combien qu'il amast
mieulx qu'elle tenist aultre chemin. Motz rigoreux
vindrent en jeu par la bouche de monseigneur,
quand il perceust que par doulceur
il ne fasoit rien; mais la trèsbonne fille et entière,
amant plus cher morir que perdre son
honneur, ne s'en effraya guères, ains asseurement
respondit, dye et face ce qu'il luy plaist,
mais jour qu'elle vive de plus près ne luy sera.
Monseigneur, qui la voit ahurtée en ceste opinion,
après ung gracieux à Dieu, laisse ne sçay
quans jours ce gracieux pourchaz de la bouche
tant seulement; mais regards et aultres petiz
signes ne luy coustoyent guères, qui trop estoient
à la fille ennuyeux. Et si elle ne doubtast
mettre male paix entre monseigneur et
madame, il ne luy chauldroit guère de la desloyaulté
de monseigneur; mais au fort elle
conclud se deceler au plus tard qu'elle pourra.
La devocion que monseigneur avoit aux
sains de sa meschine de jour en jour croissoit,
et ne luy suffisoit pas de l'amer et servir en
cueur seullement, mais d'oroison, comme il
a fait cy devant, la veult arrière resservir.
Si vient à elle, et de plus belle recommença sa
harengue en la fasson comme dessus, laquelle
92il confermoit par cent mille sermens et autant
de promesses. Pour abreger, rien ne luy vault:
il ne peut obtenir ung tout seul mot, et encores
mains de semblant qui luy baille quelque pou
d'espoir de jamais non pervenir à ses attainctes.
Et en ce point se partit, mais il n'oblya pas
à dire que, s'il la rencontre en quelque lieu
marchant, ou elle obeyra, ou elle fera pis. La
meschine guères ne s'en effraya, et sans plus
y gueres penser va besoigner à sa cuisine ou
aultre part. Ne sçay quans jours après, par
ung lundi matin, la belle meschine, pour faire
des pastez, thamisoit de la fleur. Or devez
vous savoir que la chambrette où se faisoit ce
mestier n'estoit guère loing de la chambre de
monseigneur, et qu'il oyoit trèsbien le bruyt
et la noise qui se faisoit. A ce coup savoit
aussi trèsbien que c'estoit sa chambriere qui
de thamis jouoit; si s'avisa qu'elle n'aroit pas
seule ceste peine, mais luy vouldroit aider,
voire et fera au surplus ce qu'il luy a bien
promis, car jamais mieulx à point ne la pourroit
trouver. Dit aussy en soy mesmes: «Quelque
refus que de la bouche elle m'ayt fait, si
en cheviray je bien si je la puis a graux tenir.»
Il regarda que bien matin encores estoit, et
que madame n'estoit pas encores eveillée; il
sault tout doulcement hors de son lit, à tout
son couvrechef de nuyt, et prent sa robe longue
et ses botines, et descend de sa chambre
si celeement qu'il fut dedans la chambrette où
la meschine tamisoit qu'elle oncques n'en sceut
rien tant qu'elle le vit tout dedans. Qui fut
93bien esbahie, ce fut la pouvre chambrière, qui
à pou trembloit, tant estoit afferrée, doubtant
que monseigneur ne luy ostast ce que jamais
rendre ne luy saroit. Monseigneur, qui la voit
effraiée, sans plus parler luy baille ung fier assault,
et tant fist en pou d'heure qu'il avoit la
place emportée s'il n'eust esté content de parlamenter.
Si luy va dire la fille: «Helas!
monseigneur, je vous cry mercy, je me rends
à vous; ma vie et mon honneur sont en vostre
main, aiés pitié de moy.—Je ne scay quel
honneur, dit monseigneur, qui trèseschaufé
et esprins estoit; vous passerez par là.» Et à
ce coup recommence l'assault plus fier que
devant. La fille, voyant qu'eschapper ne pouvoit,
s'advisa d'ung bon tour, et dist: «Monseigneur,
j'ayme mieulx vous rendre ma place
par amours que par force; donnez fin, s'il
vous plaist, aux durs assaulx que me livrez,
et je feray tout ce qu'il vous plaira.—J'en
suis content, dist monseigneur; mais créez que
aultrement vous n'eschapperez.—D'une chose
vous requier, dist lors la fille. Monseigneur, je
doubte beaucop que madame ne vous oye et ait
oy, et s'elle venoit d'adventure, et droit cy
vous trouvast, je seroie femme perdue, car
du mains elle me feroit batre ou tuer.—Elle
n'a garde de venir, non, dit monseigneur;
elle dort au plus fort.—Helas! monseigneur;
je la doubte tant que je n'en scay estre asseurée;
si vous prie et requier, pour la paix de
mon cueur et plus grande seureté de nostre besoigne,
que vous me laissés aller veoir s'elle
94dort ou qu'elle fait.—Nostre Dame, tu ne
retournerois pas, dit monseigneur.—Si feray,
par mon serment, dit-elle, trestout tantost.—Or
je le veil! dit-il, avance toy.—Ha! monseigneur,
se vous voulez bien faire, dit-elle,
vous prendrez ce thamis et besoignerez comme
je faisoie, affin d'adventure, se madame est
esveillée, qu'elle oye la noise que j'ay devant
le jour encommancée.—Or monstre ça, je
feray bon devoir, et ne demoure guère.—Nenny,
monseigneur; tenez aussi ce buleteau,
dit-elle, sur vostre teste, vous semblerez
tout à bon escient estre une femme.—Or
ça, dit-il, pardieu ça.» Il fut affublé de
ce buleteau, et si commence à thamiser, que
c'estoit belle chose tant bien lui siet. Et entretant
la chambrière monta en la chambre et
esveilla madame, et luy compta comment
monseigneur par cy devant d'amours l'avoit
priée et qu'il l'avoit assaillie à ceste heure où
elle tamisoit. «Et s'il vous plaist veoir comment
j'en suis eschappée et en quel point il
est, venez en bas, vous le verrez.» Madame
tout à coup se lève, et prend sa robe de nuyt,
et fut tantost devant l'huys de la chambre où
monseigneur tamisoit diligemment. Et quand
elle le voit en cest estat, et affublé du buleteau,
elle luy va dire: «Ha! monseigneur,
et qu'est cecy? et où sont vos lettres, vos
grands honeurs, vos sciences et discretions?»
Et monseigneur, qui deceu se voit, respondit
tout subitement: «Au bout de mon vit,
dame, là ay je tout amassé aujourd'uy.»
95Lors très-marry et courroucé sur la meschine
se desarma du thamis et du buleteau, et en
sa chambre remonte; et madame le suyt, qui
son preschement recommence, dont monseigneur
ne tient guères de compte. Quand il
fut prest, il manda sa mule, et au palais s'en
va, où il compta son adventure à pluseurs
gens de bien qui en risirent bien fort. Et me
dist l'on depuis, quelque courroux que le
seigneur eust de prinsault à sa belle meschine,
si l'ayda il depuis de sa parolle et de sa chevance
à marier.
Ung gentil homme de Bourgoigne nagueres
pour aucuns de ses affaires
s'en alla à Paris, et se logea en ung
trèsbon hostel; car telle estoit sa
coustume de querir tousjours les meilleurs logiz.
Il n'eut guères esté en son logis, luy qui
cognoissoit mousche en laict, qu'il ne perceust
tantost que la chambrière de leans estoit
femme qui devoit faire pour les gens. Si ne
luy cela guères ce qu'il avoit sur le cueur,
et, sans aller de deux en trois, luy demanda
l'aumosne amoureuse. Il fut de prinsault bien
rechassé des meures: «Voire, dist-elle, est-ce
à moy que vous devez adrecer telles parolles?
96Je veil bien que vous sachez que je
ne suis pas celle qui fera tel blasme à l'ostel
où je demeure.» Et qui l'oyoit, elle ne le
feroit pour aussi gros d'or. Le gentil homme
tantost congneut que toutes ses excusacions
estoient erres pour besoigner, si luy va dire:
«M'amye, si j'eusse temps et lieu, je vous
diroye telle chose que vous seriez bien contente,
et ne doubte point que ce ne fust
grandement vostre bien; mais pource que
devant les gens ne vous veil guères araisonner,
affin que ne soiez de moy souspeçonnée,
croiez mon homme de ce que par
moy vous dira; et s'ainsi le faictes, vous
en vauldrez mieulx.—Je n'ay, dit-elle, ne
à vous ne à luy que deviser.» Et sur ce
point s'en va, et nostre gentil homme appella
son varlet, qui estoit ung galant tout veillé,
puis luy compta son cas et le charge de poursuir
roidement sa besoigne sans espergner
bourdes ne promesse. Le varlet, duyt et fait
à cela, dit qu'il fera bien son personnage. Il
ne mist pas la chose en obly, car au plus tost
qu'il sceut trouver la meschine, Dieu scet s'il
joa bien du bec! Et s'elle n'eust esté de Paris,
et plus subtile que foison d'aultres, son gracieux
langage et les promesses qu'il fait pour
son maistre l'eussent tout à haste abatue.
Mais aultrement alla, car, après pluseurs parolles
et devises d'entre elle et luy, elle luy
dist ung mot tranché: «Je scay bien que vostre
maistre veult, mais il n'y touchera jà si je
n'ay dix escuz.» Le varlet fist son rapport à
97son maistre, qui n'estoit pas si large, au mains
en tel cas, de donner dix escuz pour joyr
d'une telle damoiselle. «Quoy que soit, elle
n'en fera aultre chose, dit le varlet; et encores
y a il bien manière de venir en sa chambre,
car il fault passer par celle à l'oste. Regardez
que vous vouldrez faire.—Par la mort
bieu! dit-il, mes dix escuz me font bien mal
d'en ce point les laisser aler; mais j'ay si
grant dévocion au saint, et si en ay fait tant
de poursuite, qu'il fault que je besoigne. Au
deable voit chicheté! elle les ara.—Pourtant
le vous dy-je, dit le varlet, voulez vous
que je luy dye qu'elle les aura?—Oy, de par
le dyable! oy, dit-il.» Le vallet trouva la
bonne fille et luy dit qu'elle aura ces dix escuz,
voire et encores mieulx cy après. «Trop
bien, dit-elle.» Pour abréger, l'eure fut prinse
que l'escuier doit venir coucher avec elle;
mais avant que oncques elle le voulsist guider
par la chambre de son maistre en la sienne,
il bailla tous les dix escuz content. Qui fut
bien mal content, ce fut nostre homme, qui se
pensa, en passant par la chambre et cheminant
aux nopces qui trop à son gré luy coustoient,
qu'il jouera d'un tour. Ilz sont venuz
si doulcement en la chambre que maistre ne
dame ne scevent rien; si se vont despoiller,
et dit nostre escuier qu'il emploira son argent
s'il peut. Il se mect à l'ouvrage et fait merveille
d'armes, et espoir plus que bon ne luy
fut. Tant en devises que aultrement se passèrent
tant d'heures que le jour estoit voisin
98et prouchain à celuy qui plus voluntiers dormist
que nulle aultre chose feist; mais la trèsbonne
chambrière luy va dire: «Or ça, sire,
pour le trèsgrant bien, honneur et courtoisie
que j'ay oy et veu de vous, j'ay esté contente
mettre en vostre obeissance et joissance la
rien que plus en ce monde doy cher tenir. Si
vous prie et requier que vistement vous veillez
apprester et habiller et de cy partir, car il est
desja haulte heure; et, si d'advanture mon
maistre ou ma maistresse venoient icy, comme
assez est leur coustume au matin, et vous
trouvassent, je seroie perdue et gastée, et vous
ne seriez pas le mieulx party du jeu.—Je ne
sçay quoy, dit le bon escuier, quel bien et
quel mal en adviendra; mais je me reposeray
et dormiray tout à mon aise et à mon beau
loisir avant que j'en parte; et, affin que n'aye
paour et que point je ne m'espante, vous me
ferez compaignie, s'il vous plaist.—Ha!
monseigneur, dist-elle, il ne se peut faire
ainsi; par mon serment, il vous convient partir.
Il sera jour trestout en haste, et si on vous
trouvoit icy, que seroit ce de moy? J'aymeroie
mieulx estre morte qu'ainsi en advenist, et, si
vous ne vous avancez, ce que trop je doubte
en adviendra.—Il ne me chault, moy, qu'en
advienne, dit l'escuier; mais je vous dy bien
que se ne me rendez mes dix escuz, jà ne
m'en partiray, advienne ce qu'en advenir
peut.—Voz dix escus? dit-elle; et estes-vous
tel, se vous m'avez donné aucune courtoisie
ou gracieuseté, que vous me le vouldrez
99après retollir par ceste façon? Sur ma
foy, vous monstrez mal que vous soiez gentil
homme.—Tel que je suis, dit-il, je suis celuy
qui de cy ne partiray, ne vous aussi, tant
que ne m'aiez rendu mes dix escuz; vous les
aviez gaignez trop aise.—Ha! dit-elle, se
m'aist Dieu, quoy que vous diez, je ne pense
pas que soiés si mal gracieux, attendu le bien
qui est en vous et le plaisir que vous ay fait,
que fussez si pou courtois que vous n'aidissiez
à garder mon honneur. Et pour ce de rechef
vous supplie que ceste ma requeste passez
et accordez et que d'icy vous partez.»
L'escuier dit qu'il n'en fera rien, et, pour trousser
le compte, force fut à la bonne gentil femme,
à tel regret que Dieu scet, de desbourser les
dix escuz, affin que l'escuier s'en aille. Quand
les dix escuz furent en la main dont ilz estoient,
celle qui les rendoit cuidoit bien enrager
tant estoit mal contente, et celuy qui les
a leur fait grant chière. «Or avant, dit la
courroucée et desplaisante, qui se voit ainsi
gouverner, quand vous estes bien joué et farsé
de moy, au mains advancez vous, et vous
suffise que vous seul cognoissez ma folie, et
que par vostre tarder elle ne soit congneue
de ceulx qui me deshonoreront s'ilz en voient
l'apparence.—A vostre honneur, dit l'escuier,
point je ne touche; gardez le autant que vous
l'aimez. Vous m'avez fait venir icy, et si vous
somme que vous me rendez et mettez au
lieu dont party, car ce n'est pas mon intencion
comme de venir et de retourner.» La
100chambrière, où rien n'avoit à le courroucer,
non pas mains doubtant l'esclandre de son fait
que la mort, voyant aussi que le jour commence
à aparoir, avec tout le desplaisir et
crainte que son ennuyeux cueur charge et empire,
se hourde de l'escuier et à son col le
charge. Et comme à tout ce fardeau passoit
par la chambre de son maistre marchant le
plus soef qu'oncques peust, le courtois gentil
homme, tenant lieu de bahu sur le doz de celle
qui sur son ventre l'avoit soustenu, laissa
couler ung gros sonnet, dont le ton et le bruyt
firent l'oste eveiller, et demanda assez effrayement:
«Qui est celà?—C'est vostre chambrière,
dist l'escuier, qui me porte rendre où
elle m'avoit emprunté.» A ces motz, la pouvre
gentil femme n'eut plus cueur, puissance ne
vouloir de soustenir son fardeau desplaisant,
si s'en va d'ung costé et l'escuier de l'aultre.
Et l'oste, qui congnoist bien que c'est, parla
trèsbien à l'espousée, qui, toute deceute et esclandrie,
tost après se partit de leans. Et l'escuier
en Bourgoigne se retourna, qui aux galans
et compaignons de sorte joyeusement racompta
ceste son adventure dessus dicte.
Ardent desir de veoir pays, savoir
et cognoistre pluseurs experiences
qui par le monde universel journellement
adviennent, nagueres si fort
eschaufa l'atrempé cueur et vertueux courage
d'un bon et riche marchant de Londres en
Angleterre, qu'il abandonna sa belle et bonne
femme et sa belle maignye d'enfans, parens,
amis, héritages, et la pluspart de sa chevance,
et se partit de son royaulme assez et
bien fourny d'argent content et de très grande
abundance de marchandises dont le païs d'Angleterre
peut les autres servir, comme d'estains,
de riz, et foison d'aultres choses que
pour bref je passe. En ce son premier voyage
vaqua le bon marchant l'espace de cinq ans,
pendant lequel temps sa bonne femme garda
trèsbien son corps, fist le prouffit de pluseurs
marchandises, et tant et si trèsbien le fist que
son mary, au bout des diz cinq ans retourné,
beaucop la loa et plus que par avant l'ama.
Le cueur au dit marchant, non encores content,
tant d'avoir veu et congneu pluseurs choses estranges
et merveilleuses, comme d'avoir gaigné
largement, le feist arrière sur la mer bouter
102cinq ou six mois puis son retour, et s'en reva
à l'adventure en estrange terre tant de chrestians
que de Sarrazins, et ne demoura pas si
pou que les dix ans ne furent passez ains
que sa femme le revist. Trop bien luy rescripvoit
et assez souvent, à celle fin qu'elle sceust
qu'il estoit encores en vie. Elle, qui jeune estoit
et en bon point et qui point n'avoit de
faulte des biens de Dieu, fors seulement de la
presence de son mary, fut contrainte par son
trop demourer de prendre ung lieutenant, qui
en peu d'heure luy fist ung trèsbeau filz. Ce filz
fut elevé, nourry et conduit avec les aultres
ses frères d'un cousté, et au retour du marchant
mary de sa mère avoit environ sept ans.
La feste fut grande, à ce retour, d'entre le
mary et la femme; et, comme ils fussent en
joyeuses devises et plaisans propos, la bonne
femme, à la semonce de son mary, fait venir
devant eulx tous leurs enfans, sans oblier celuy
qui fut gaigné en l'absence de celuy qui
en avoit le nom. Le bon marchant, voyant la
belle compaignie de ses enfans, recordant
trèsbien du nombre d'eulx à son partement,
le voit creu d'un, dont il est trèsfort esbahy et
moult esmerveillé; si va demander à sa femme
qui estoit ce beau filz, le derrenier en reng de
leurs enfans. «Qui c'est? dit-elle, par ma foy,
sire, c'est nostre filz; à qui seroit-il?—Je ne
sçay, dist-il; mais pource que plus ne l'avoie veu,
avez vous merveille si je le demande?—Saint
Jehan! nenny, dist-elle, mais il est mon filz.—Et
comment se peut il faire? dist le mary;
103vous n'estiez pas grosse à mon partement.—Non
vrayement, dit-elle, que je sceusse; mais
je vous ose bien dire à la vérité que l'enfant
est vostre, et que aultre que vous à moy n'a
touché.—Je ne dy pas aussi, dit-il; mais
toutesfoiz il a dix ans que je party, et cest
enfant se monstre de sept: comment doncques
pourroit-il estre mien? L'auriez-vous plus
porté que ung aultre?—Par mon serment,
dit-elle, je ne sçay; mais tout ce que je vous
dy est vray. Si je l'ay plus porté qu'un aultre,
il n'est rien que j'en sache, et si vous ne le
me feistes au partir, je ne sçay moy penser
dont il peut estre venu, sinon que, assez tost
après vostre partement, ung jour j'estoie par
ung matin en nostre grand jardin, où tout à
coup vint ung soudain appetit de menger une
fueille d'oseille qui pour l'heure de adonc estoit
couverte et soubz la neige tappie. J'en
choisy une entre les aultres, belle et large,
que je cuiday avaler; mais ce n'estoit que ung
peu de nege blanche et dure; et ne l'eu pas
si tost avalée que ne me sentisse en trestout
tel estat que je me suis trouvée quand mes
aultres enfans ay porté. De fait, à chef de terme,
je vous ay fait ce trèsbeau filz.» Le marchand
cogneut tantost qu'il en estoit noz amis,
mais il n'en voult faire semblant, ainçois se
vint adjoindre par parolles à confermer la belle
bourde que sa femme lui bailloit, et dit: «M'amye,
vous ne dictes chose qui ne soit possible,
et que à aultres que à vous ne soit advenue.
Loé soit Dieu de ce qu'il nous a envoyé!
104S'il nous a donné ung enfant par miracle, ou
par aucune secrete fasson dont nous ignorons
la manière, il ne nous a pas oblié d'envoier
chevance pour l'entretenir.» Quand la bonne
femme voit que son mary veult condescendre
à croire ce qu'el luy dit, elle n'est moyennement
joyeuse. Le marchant, sage et prudent,
en dix ans qu'il fut puis à l'ostel sans faire ses
loingtains voyages, ne tint oncques manière
envers sa femme en parolles ne aultrement
par quoy elle peust penser qu'il entendist rien
de son fait, tant estoit vertueux et pacient.
Il n'estoit pas encores saoul de voyagier, si le
vouloit recommencer, et le dist à sa femme,
qui fist semblant d'en estre trèsmarrie et mal
contente. «Appaisez-vous, dit-il; s'il plaist
à Dieu et à monseigneur saint George, je reviendray
bref. Et pource que nostre filz que
feistes à mon aultre voyage est desja grand
et habile et en point de veoir et d'aprendre,
si bon vous semble, je l'emmeneray avecques
moy.—Et par ma foy, dit-elle, vous ferez
bien et je vous en prie.—Il sera fait», dit-il.
A tant se part, et emmaine le filz dont il n'estoit
pas père, à qui il a pieça gardé une bonne
pensée. Ilz eurent si bon vent qu'ilz sont venus
au port d'Alixandrie, où le bon marchant
trèsbien se deffist de la pluspart de ses marchandises,
et ne fut pas si beste, affin qu'il
n'eust plus de charge de l'enfant de sa femme
et d'ung aultre, et que après sa mort ne succedast
à ses biens, comme ung de ses aultres
enfans, qu'il ne le vendist à bons deniers
105contens pour en faire ung esclave. Et pource
qu'il estoit jeune et puissant, il en eust près
de cent ducatz. A chef de pièce, il s'en revint
en Angleterre sain et sauf, Dieu mercy. Et
n'est pas à dire la joye que sa femme luy fist
quand elle le vit en bon point. Elle ne voit
point son filz, si ne scet que penser. Elle ne
se peut guères tenir qu'elle ne demandast à
son mary qu'il avoit fait de leur filz. «Ha!
m'amye, dist-il, il ne le vous fault jà celer: il
luy est trèsmal prins.—Helas! comment? dit-elle;
est-il noyé?—Nenny vraiement, dist-il;
mais il est vray que fortune de mer par
force nous mena en ung pais où il faisoit si
chault que nous cuidions tous mourir par la
grant ardeur du soleil qui sur nous ses raidz
espandoit; et comme ung jour nous estions
sailliz de nostre nave, pour faire en terre
chascun une fosse pour nous tappir pour le
soleil; nostre bon filz, qui de neige, comme
sçavez, estoit, en nostre presence, sur le gravier,
par la grand force du soleil, il fut tout
à coup fondu et en eaue resolu. Et n'eussiez
pas dict une sept seaumes que nous ne trouvasmes
plus rien de luy. Tout aussi à haste
qu'il vint au monde, aussi soudainement en
est party. Et pensez que j'en fuz et suis bien
desplaisant, et ne vy jamais chose entre les
merveilles que j'ay veues dont je fusse plus
esbahy.—Or avant, dit-elle, puis qu'il a
pleu à Dieu le nous oster comme il le nous
avoit donné, loé en soit-il!» Si elle se doubta
que la chose allast aultrement, l'ystoire s'en
106taist et ne fait pas mencion, fors que son
mary lui rendit telle qu'elle luy bailla, combien
qu'il en demoura toujours le cousin.
Il n'est pas chose nouvelle que en
la conté de Champaigne a tousjours
eu bon à recouvrer de foison
de gens lourds en la taille, combien
qu'il sembleroit assez estrange à pluseurs,
pourtant qu'ilz sont si près voisins à ceulx du
mal engin. Assez et largement d'ystoires à ce
propos pourroit on mettre avant confermant la
bestise des Champenois; mais, quant au présent,
celle qui s'ensuyt pourra souffire. En la
dicte conté naguères avoit ung jeune filz orphenin
qui bien riche et puissant demoura puis
le trespas de son père et sa mère, et jasoit
qu'il fust lourd, très pou sachant, et encores
aussi mal plaisant, si avoit-il une industrie de
bien garder le sien et conduire sa marchandise.
Et à ceste cause beaucop de gens, voire
de gens de bien, luy eussent voluntiers donné
leur fille à mariage. Une entre les aultres pleut
aux parens et amys de nostre Champenois,
tant pour sa bonté, beaulté, chevance, etc.;
et luy dirent qu'il estoit temps qu'il se mariast,
et que bonnement il ne povoit conduire son
107fait. «Vous avez aussi, dirent-ilz, desja xxiiij
ans, si ne pourriez en meilleur eage prendre
cest estat; et, si vous y voulez entendre, nous
avons regardé et choisy pour vous une belle
fille et bonne qui nous semble bien vostre
fait. C'est une telle, vous la cognoissez bien.»
Lors la luy nommèrent. Et nostre homme, à
qui ne chaloit qu'il feist, fust maryé ou aultre
chose, mais qu'il ne tirast point d'argent, respondit
qu'il feroit ce qu'ilz vouldroient. «Et
puis que ce vous semble mon bien, conduisez
la chose au mieulx que savez, car je veil faire
par vostre conseil et ordonnance.—Vous
dictes bien, dirent ces bonnes gens; nous
regarderons et penserons pour vous comme
pour nous mesmes ou ung de noz enfans.»
Pour abreger, à chef de pièce, nostre Champenois
fut maryé de par Dieu; mais si tost la
première nuyt qu'il fut près de sa femme couché,
luy, qui oncques sur beste crestiane n'avoit
monté, tantost luy tourna le doz, après
je ne sçay quants simples baisiers qu'elle eut de
luy, mais du surplus nichil au doz. Qui
estoit mal contente, c'estoit nostre espousée,
jasoit qu'elle n'en feist nul semblant. Ceste
maudicte manière dura plus de dix jours, et
encores eust si la bonne mère à l'espousée
n'y eust pourveu de remède. Il ne vous fault
pas celer que nostre homme, et neuf en fasson
et en mariage, du temps de feu son père et sa
mère, avoit esté bien court tenu; et sur toute
rien luy estoit et fut defendu le mestier de la
beste à deux doz, doubtant, s'il s'i esbatoit,
108qu'il y despendroit sa chevance. Et bien leur
sembloit et à bonne cause qu'il n'estoit pas
homme qu'on deust aimer pour ses beaulx
yeulx. Luy, qui pour rien ne courroussast père
et mère, et qui n'estoit pas trop chault sur potaige,
avoit tousjours gardé son pucellage,
que sa femme eust voluntiers desrobé par
bonne fasson s'elle eust sceu. Ung jour se
trouva la mère à nostre espousée devers sa
fille, et luy demanda de son mary, de son
estat, de ses condicions, de son mariage, et
cent mille choses que femmes scevent dire.
A toutes choses bailla et rendit nostre espousée
à sa mère trèsbonne response, et dist que
son mary estoit trèsbon homme et qu'elle ne
doubtoit point qu'elle ne se conduisist bien
avecques luy. De ce fut nostre mère bien
joyeuse, et, pource qu'elle sçavoit bien par
elle mesme qu'il fault en mariage aultre chose
que boire et menger, elle dist à sa fille: «Or,
vien ça et me dy par ta foy, et de ces choses
de nuyt, comment t'en est-il?» Quant la pouvre
fille oyt parler de ces choses de nuyt, à pou
que le cueur ne luy faillit, tant fut marrye et
desplaisante; et ce que sa langue n'osoit respondre,
monstrèrent ses yeulx, dont sailloient
larmes à trèsgrand abundance. Si entendist
tantost sa mère que ces larmes vouloient dire,
et dist: «Ma fille, ne plorez plus; mais dictes
moy hardiement, je suis vostre mère, à qui ne
devez rien celer, et de qui ne devez estre
honteuse. Vous a-il encores rien fait?» La pouvre
fille, revenue de paumoison et ung peu
109rasseurée et de sa mère confortée, cessa la
grand flotte de ses larmes; mais elle n'avoit
encores force ne sens de respondre. Si l'interroge
encores sa mère, et luy dit: «Dy moy
hardiement et oste ces larmes. T'a il rien fait?»
A voix basse et de plours entremeslée respondit
la fille et dist: «Par ma foy, ma mère, il ne
me toucha oncques; mais du surplus qu'il ne
soit bon homme et doulx, par ma foy, si est.—Or,
dy moy, dit la mère, scez tu point s'il est
fourny de tous ses membres? Dy hardiement
si tu le sces.—Saint Jehan! si est trèsbien,
dist-elle. J'ay pluseurs foiz senty ses denrées
d'aventure, ainsi que je me tourne et retourne
en nostre lit, quant je ne puis dormir.—Il
souffist, dist la mère; laisse moy faire du surplus.
Veez cy que tu feras: Demain au matin il
te convient faindre d'estre malade trèsfort, et
monstrer semblant d'estre tant oppressée qu'il
semble que l'ame s'en parte. Ton mary me
viendra ou mandera querir, je n'en doubte
point, et je feray si bien mon personnage que
tu sçaras tantost comment tu fuz gaignée, car
je porteray ton urine à ung tel médicin qui
donnera tel conseil que je vouldray.» Comme
il fut dit il fut fait, car landemain, si tost
qu'on vit du jour, nostre gouge, auprès de
son mary couschée, se commença à plaindre
et faire si trèsbien la malade qu'il sembloit
que une fièvre continue luy rongeast corps et
ame. Noz amis son mary estoit bien esbahy et
desplaisant; si ne savoit que faire ne que dire.
Si manda tantost sa belle mère, qui ne se fist
110guères attendre. Tantost qu'il la vit: «Helas!
belle mère, vostre fille se meurt.—Ma fille!
dit-elle; et que luy fault-il?» Lors, tout en
parlant, marchèrent jusques en la chambre de
la paciente. Si tost que la mère voit sa fille,
elle luy demande comment elle fait; et elle, bien
aprinse, ne respondit pas à la première foiz,
mais à chef de pièce dit «Mère, je me meurs.—Non
faictes, si Dieu plaist, fille; prenez
courage; mais dont vous vient ce mal si à
haste?—Je ne sçay, je ne sçay, dit la fille;
vous me paraffolez à me faire parler.» Sa mère
la prent par la main, et luy taste son poux, et
son corps, et son chef, et puis dit à son beau
filz: «Par ma foy, creez qu'elle est malade; elle
est plaine de feu. Si fault pourveoir de remède.
Y a-il point ycy de son urine?—Celle de la
mynuyt y est, dit une des meschines.—Baillez
la moy, dit-elle.» Quand elle eut ceste urine,
fist tant qu'elle eut ung urinal et dedans la bouta,
et dit à son beau filz qu'il la portast monstrer
à ung médicin pour savoir qu'on pourra faire
à sa fille, et si on y peut aider. «Pour Dieu!
n'y espergnons rien, dit-elle; j'ay encores de
l'argent que je n'ayme pas tant que ma fille.—Espergner!
dist noz amis; creez, si on luy
peut aider pour argent je ne luy fauldray pas.—Or
vous avancez, dit-elle, et tandiz qu'el
se reposera ung peu je m'en iray jusques au
mesnage; tousjours reviendray je bien, s'on a
mestier de moy.» Or devez vous savoir que nostre
bonne mère avoit, le jour devant, au partir
de sa fille, forgé le medicin qui estoit bien
111adverty de la response qu'il devoit faire. Veezcy
nostre gueux qui arrive devers nostre medicin
à tout l'orine de sa femme; et, quand il luy
eut fait la reverence, il luy va compter comment
sa femme estoit deshaitée et merveilleusement
malade; «et veezcy son urine que à vous j'apporte,
affin que mieulx vous informez de son
cas, et que plus seurement me puissez conseiller.»
Le medicin prend l'orinal et contremont
le lève, et tourne et retourne l'urine, et
puis va dire: «Vostre femme est fort aggravée
de chaulde maladie et en dangier de mort s'elle
n'est prestement secourue. Veezcy son urine
qui le monstre.—Ha! maistre, pour Dieu
mercy, veillez moy dire, et je vous paieray
bien, qu'on luy peut faire pour recouvrer santé,
et s'il vous semble qu'elle n'ayt garde de mort.—Elle
n'a garde, si vous luy faictes ce que je
vous diray, dit le medecin; mais, se vous tardez
guères, tout l'or du monde ne la garantira
pas de la mort.—Dictes, pour Dieu, dit l'aultre,
et on luy fera.—Il faut, dit le medicin,
qu'elle ayt compaignie d'homme, ou elle est
morte.—Compaignie d'homme! dit l'aultre,
et qu'est ce à dire cela?—C'est à dire, dit le
medecin, qu'il fault que vous montez sur elle
et que vous la roucynez trèsbien trois ou quatre
foiz tout à haste, et le plus que vous pourrez
à ce premier faire sera le meilleur; aultrement
ne sera point estaincte la grand ardeur qui la
seche et tire à fin.—Voire, dit il, et seroit ce
bon?—Elle est morte, et n'y a pas de rechap,
dit le medicin, s'ainsi ne le faictes, voire et
112bien tost encores.—Saint Jehan? dit l'aultre,
j'essaieray comment je pourray faire.» Il se
part de là, et vient à l'ostel, et trouve sa femme
qui se plaignoit et dolosoit trèsfort. «Comment
va, dit il, m'amye?—Je me meurs, mon amy,
dit elle.—Vous n'avez garde, si Dieu plaist,
dist il; j'ay parlé au medecin, qui m'a enseigné
une medicine dont vous serez garie.» Et durant
ces devises, il se despoille et au près de
sa femme se boute; et, comme il approuchoit
pour executer le conseil du medicin tout en
lourdoys: «Que faictes vous, dit elle; me voulez
vous partuer?—Mais je vous gariray, dit
il, le medicin l'a dit.» Et ce dit, ainsi que nature
luy monstra, et à l'aide de la paciente, il
besoigna trèsbien deux ou trois fois; et, comme
il se reposoit tout esbahy de ce que advenu luy
estoit, il demande à sa femme comment elle
se porte. «Je suys ung pou mieulx, dit-elle,
que par cy devant n'ay esté.—Loé soit Dieu!
dit il; j'espere que vous n'avez garde et que
le medicin ara dit vray.» Alors recommence
de plus belles. Pour abreger, tant et si bien le
fist que sa femme revint en santé dedans pou
de jours, dont il fut trèsjoyeux, si fut la mère
quant el le sceut. Nostre Champenois, après
ces armes dessus dictes, devint ung pou plus
gentil compagnon qu'il n'estoit par avant; et
luy vint en courage, puis que sa femme restoit
en santé, qu'il semondroit à disner ung jour
ses parens et amys et le père et la mère d'elle,
ce qu'il fit; et les servit grandement en son
patoys, à ce disner, faisoit trèsbonne et joyeuse
113chère. On buvoit à luy, il buvoit aux aultres:
c'estoit merveille qu'il estoit gentil compaignon.
Mais escoutez qu'il lui advint: à la
coup de la meilleure chère de ce disner; il commença
trèsfort et soudainement à plorer, et
sembloit que tous ses amys, voire tout le monde,
fussent mors, dont n'y eut celuy de la table qui
ne s'en donnast grant merveille dont ces soudaines
larmes procedoient; les ungs et les aultres
luy demandent qu'il a, mais à pou s'il povoit
ou savoit respondre, tant le contraignoient
ses folles larmes. Il parla au fort, en la fin, et
dist: «J'ay bien cause de plorer.—Et par ma
foy, non avez, ce dist sa belle mère: que vous
fault-il? Vous estes riche et puissant et bien
logié, et si avez de bons amys; et qui ne fait
pas à oublier, vous avez belle et bonne femme,
que Dieu vous a remise en santé, qui naguères
fut sur le bord de sa fosse; si m'est advis que
vous devez estre lye et joyeux.—Helas! non
fays, dit-il; c'est par moy que mon père et ma
mère, qui tant m'aymoient, et m'ont assemblé
et laissé tant de biens, ne sont encores en vie,
car ilz ne sont mors tous deux que de chaulde
maladie; et si je les eusse aussi bien rouchynez
quand ilz furent malades que j'ay fait ma
femme, ilz fussent maintenant sur piez.» Il
n'y eut celuy de la table après ces motz à pou
qui se tenist de rire, mais non pourtant il s'en
garda qui peut. Les tables furent ostées, et chacun
s'en alla, et le bon Champenoys demoura
avec sa femme, laquelle, affin qu'elle demourast
en santé, fut souvent de luy racolée.
Sur les mètes de Normandie siet une
bonne et grosse abbaye de dames,
dont l'abbesse, qui belle et jeune
et en bon point estoit, naguères se
acoucha malade. Ses bonnes sœurs devotes et
charitables tantost la vindrent visiter, en la
confortant et administrant à leur povoir de tout
ce qu'elles sentoient que bon luy fut. Et quand
elles parceurent qu'elle ne se disposoit à garison,
elles ordonnèrent que l'une d'elles yroit à
Rouen porter son urine, et compteroit son cas à
ung medicin de grand renommée. Pour faire
ceste ambaxade, à lendemain l'une d'elles se
mist au chemin; et fit tant qu'el se trouva devers
le dit medicin, auquel, après qu'il eut visité
l'urine de madame l'abbaesse, elle compta tout
au long la fasson et manière de sa maladie,
comme de son dormir, d'aller à chambre, de
boire et de menger. Le sage medicin, vrayement
du cas de madame informé tant par son
urine comme par la relacion de la religieuse,
voulut ordonner le regime. Et, jasoit qu'il eust
de coustume à plusieurs de leur bailler par escript,
il se fya bien de tant à la religieuse
que de bouche luy dirait: «Belle seur, dit-il,
115pour recouvrer la santé de madame l'abbesse,
il est mestier et de necessité qu'el ait compagnie
d'homme; et bref aultrement elle se trouvera
en pou d'espace si adicte et de mal souprinse
que la mort luy sera derrain remède.» Qui
fut bien esbahye d'oyr si trèsdures nouvelles,
ce fut nostre religieuse, qui alla dire: «Helas!
maistre Jehan, ne voiez vous aultre fasson pour
la recouvrance de la santé de madame?—Certes
nenny, dit-il, il n'en y a point d'aultre,
et si veil bien que vous sachez qu'il se fault
avancer de faire ce que j'ay dit: car si la maladie,
par faulte d'ayde, peut prendre son
temps n'y viendra.» La bonne religieuse à pou
s'elle osa disner à son aise, tant avoit haste de
nuncier à madame ces nouvelles. Et à l'ayde
de sa bonne hacquenée, et du grant desir
qu'el a d'estre à l'ostel, s'avança si bien que
madame l'abbesse fut trèstoute esbahie de si
tost la reveoir. «Que dit le medicin, belle seur?
ce dist-elle; ay je garde de mort?—Vous
serez tantost en bon point, si Dieu plaist,
Madame, dist la religieuse messagière; faictes
bonne chère et prenez cueur.—Et ne m'a
le medicin point ordonné de regime, dit madame?—Si
a, dit-elle.» Lors luy va dire
tout au long comment le medicin avoit veu
son urine, et les demandes qu'il fist de son
eage, de son mengier, de son dormir, etc. «Et
puis pour conclusion il dit et ordonne qu'il
fault que vous aiez compaignie charnelle avecque
homme, ou bref aultrement vous estes
116morte: car à vostre maladie n'a point d'aultre
remède.—Compaignie d'homme! dit madame;
j'ayme plus cher morir mille foiz, s'il
m'estoit possible.» Et lors va dire: «Puis que
mon mal est incurable et mortel si je n'y pourvoy
de tel remède, loé soit Dieu, je prens la
mort en gré. Appellez moy bien tost tout mon
couvent.» Le tymbre fut sonné, si vindrent tantost
devers madame trestoutes ses bonnes religieuses.
Et quand elles furent en la chambre,
madame, qui avoit encore toute la langue
à commandement, quelque mal qu'elle eust,
commença une grande et longue harengue devant
ses seurs, remonstrant le fait et estat
de son eglise, en quel point elle la trouva et
en quel estat elle est aujourduy; et vint descendre
ses parolles à parler de sa maladie, qui
estoit mortelle et incurable, comme elle bien
sentoit et congnoissoit, et au jugement aussi
d'ung tel medicin elle s'arrestoit, qui morte
l'avoit jugée. «Et pour tant, mes bonnes
sœurs, je vous recommende nostre eglise,
et en voz plus devotes prières ma pouvre
ame...» Et, à ces parolles, larmes en grand
abundance saillirent de ses yeux, qui furent
accompaignées d'aultres sans nombre, sourdans
de la fontaine du cueur de son bon couvent.
Ceste plorerie dura assés longuement, et
fut là longtemps le mesnaige sans parler. A chef
de pièce, madame la prieure, qui bonne et sage
estoit, print la parole pour tout le couvent et
dist: «Madame, de vostre maladie, ce scet
Dieu, à qui nul ne peut riens celer, il nous desplaist
117beaucop, et n'y a celle de nous qui ne se
vouldroit emploier autant que possible est et
seroit à personne vivant à la recouvrance de
vostre santé. Si vous prions toutes ensemble
que vous ne nous espergnez en rien qui soit
des biens de vostre eglise, car mieulx nous
vauldroit, et plus cher l'aymerions, de perdre
la plus part de noz biens temporelz que le
prouffit espirituel que vostre presence nous
donne.—Ma bonne seur, dist madame, je n'ay
pas tant deservy que vous m'offrez, mais je
vous en mercie tant que je puis, en vous
advisant et priant derechef que vous pensez
comme je vous ay dit aux afferes de nostre
eglise, qui me touchent près du cueur, Dieu le
scet, en acompaignant aux prières que ferez
ma pouvre ame, qui grant mestier en a.—Helas!
Madame, dist la prieure, et n'est-il possible
par bon gouvernement et soigneuse medicine
que vous puissez repasser?—Nenny,
certes, ma bonne seur, dit-elle. Il me fault
mettre ou reng des trespassés, car je ne vaulx
guères mieulx, quelque langage qu'encores je
pronunce.» Adonc saillit avant la religieuse qui
porta son urine à Rouen, et dist: «Madame,
il y a bon remède, s'il vous plaisoit.—Créez
qu'il ne me plaist pas, dit-elle; véez cy seur
Jehanne qui revient de Roen, et a monstré
mon urine et compté mon cas à ung tel medicin,
qui m'a jugée morte, voire si je ne me
vouloye abandonner à aucun homme et estre
en sa compagnie. Et par ce point esperoit-il,
comme il trouvoit par ses livres, que je n'aroye
118garde de mort; mais, s'ainsi ne le faysoie,
il n'y a point de ressource en moy. Et quant à
moy j'en loe Dieu, qui me daigne appeller
ainçois que j'aye fait plus de pechez; à luy me
rens, et à la mort je presente mon corps,
vienne quand elle veult.—Comment, Madame,
dist l'enfermière, vous estes de vous
mesmes homicide! Il est en vous de vous garir
et sauver, et ne vous fault que tendre la
main et requerre ayde, vous la trouverez preste;
ce n'est pas bien fait, et vous ose bien dire
que vostre ame ne partiroit point seurement
si en cet estat vous moriez.—Ha! belle seur,
dist madame, quantesfoiz avez-vous oy prescher
que mieulx vauldroit à une personne s'abandonner
à la mort que commettre ung seul
peché mortel! Et vous savez que je ne puis
ma mort fuyr n'esloignier sans faire et commettre
peché mortel! Et qui bien autant au
cueur me touche, s'en ce faisant ma vie esloigneroie,
ne viveroys-je pas deshonorée et à
tousjours mès reprochée, et diroit-on: Veez
la dame, etc...? Mesmes vous toutes, quelque
conseil que me donnez, m'en ariez en irreverence
et en mains d'amour. Et vous sembleroit,
et à bonne cause, que indigne seroie
d'entre vous presider et gouverner.—Ne dictes
et ne pensez jamais cela, dit madame la
tresorière; il n'est chose qu'on ne doye entreprandre
pour eschever la mort. Et ne dit pas
nostre bon père saint Augustin qu'il ne loist à
personne de soy oster la vie ne tollir ung
sien membre? Et ne yrez directement encontre
119sa sentence si vous laissez à escient ce qui
vous peut de mort garder?—Elle dit bien,
dit le couvent en general. Madame, pour
Dieu, obeissez au medicin, et ne soiez en
vostre opinion si ahurtée qu'en la soustenant
vous perdrez corps et ame, et laissez vostre
pouvre couvent, qui tant vous ayme, desolé et
despourveu de pastoure.—Mes bonnes seurs,
dit madame, j'ayme mieulx à la mort voluntairement
tendre les mains, soubmettre mon
col et honorablement l'embrasser, que par la
fuyr je vive deshonorée. Et ne diroit on pas:
Veez la dame qui fist ainsi et ainsi?—Ne
vous chaille, Madame, qu'on dye; vous ne
serez jà reprouchée de gens de bien.—Si seroie,
si seroie, dit madame.» Le couvent se
alla esmouvoir, et firent les bonnes religieuses
entre elles ung consistoire dont la conclusion
s'ensuyt; et porta les parolles d'icelle la prieure:
«Madame, veez cy vostre desolé couvent si
trèsdesplaisant que jamais maison ne fut si desolée
ni troublée qu'el est, dont vous estes
cause; et créez, si vous estes si mal conseillée
de vous abandonner à la mort que fuyr vous
povez, vous occirez, j'en suis bien seure. Et,
affin que vous l'entendez que nous vous aimons
de bonne et loyale amour, nous sommes
contentes et avons conclu et meurement deliberé,
toutes ensemble generalement, que, s'il
vous plaist, en sauvant vostre vie et nous,
avoir compaignie secretement d'aucun homme
de bien, nous pareillement le ferons comme
vous, affin que vous n'ayez pensée ne ymaginacion
120qu'en temps advenir vous en sourdist
reprouche de nulle de nous. N'est ce pas ainsi,
mes seurs? dit-elle.—Oy, oy», dirent-elles
trestoutes de bon cueur. Madame l'abbesse,
oyant ce que dit est, et portant au cueur ung
grand fardeau d'ennuy, pour l'amour de ses
seurs se laissa ferrer et s'accorda, combien
que ce fut à grand regret, que le conseil du
medicin fut mis en euvre, pourveu que ses
seurs luy tiendront compaignie. Adonc furent
mandez moynes, prestres et clercs, qui trouvèrent
bien à besoigner; et le feirent si trèsbien
que madame l'abbesse fut en pou d'heure
rappaisée, dont son couvent fut trèsjoyeux,
qui par honeur faisoit ce que par honte oncques
puis ne laissa.
N'a guères que ung gentilhomme demourant
à Bruges tant et si longuement
se trouva en la compaignie
d'une belle fille qu'il luy fist le ventre
lever. Et droit à la coup qu'elle s'en perceust
et donna garde, monseigneur fist une
assemblée de gens d'armes; si fut force à nostre
gentilhomme d'abandonner sa dame et
avecques les aultres aller au service de mon
121dit seigneur, ce que de bon cueur et bien il fist.
Mais avant son partement il fist garnison et
pourveance de parrains et marraines et de
nourrice pour son enfant advenir, logea la
mère avecques de bonnes gens, luy laissa de
l'argent, et leur recommanda. Et quand au
mieulx qu'il sceut et le plus bref qu'il peut
ses choses furent bien disposées, il ordonna
son partement et print congé de sa dame, et
au plaisir de Dieu promect de tantost retourner.
Pensez que s'elle n'eust jamais plouré, ne
s'en tenist à ceste heure, puis qu'elle voit
d'elle eloigner la rien en ce monde dont la
presence plus luy plaist. Pour abreger, tant
luy despleut ce dolent departir qu'oncques
mot ne sceut dire, tant empeschèrent sa doulce
langue les larmes sourdantes du parfond de
son cueur. Au fort el s'appaisa, puis que aultre
chose estre n'en peut. Et quand vint environ
ung mois après le partement de son amy,
desir luy eschaufa le cueur et si luy vint ramantevoir
les plaisans passetemps qu'elle souloit
avoir, dont la trèsdure et trèsmaudicte absence
de son amy, helas! l'avoit privée. Le
dieu d'amours, qui n'est jamais oiseux, luy
mist en bouche et en termes les haulx biens,
les nobles vertuz et la trèsgrand loyaulté
d'un marchant son voisin, qui pluseurs foiz,
avant et puis le partement de son amy, luy
avoit presenté la bataille, et conclure luy fist
que, s'il retourne plus à sa queste, qu'il ne s'en
retournera pas esconduyt; mesme, si la laissoit
arrière, elle tiendra bien telles et si bonnes
122manières qu'il entendra bien qu'elle en veult à
luy. Or vint-il si bien que au lendemain de
ceste conclusion, à la première euvre, Amour
envoya nostre marchant devers sa paciente,
et luy presenta comme aultresfoiz, chiens et
oyseaulx, son corps et ses biens, et cent mille
choses que ces abateurs de femmes scevent
tout courant et par cueur. Il ne fut pas escondit:
car, s'il avoit bonne volunté de combatre
et faire armes, elle n'avoit pas mains de
desir de luy delyer son emprinse et le fournir
de tout ce qu'il vouldra requerre. Sans faire
long procès, au prejudice de nostre gentil homme,
qui maintenant est en la guerre, nostre
gentil femme fournit et accomplit au bon marchant
tout ce dont la requist; et si plus eust
osé demander elle estoit preste d'accomplir; et
tant trouva en luy de bonne chevalerie, de
proesse et de vertuz, qu'elle oublya de tous
poins son amy par amours, qui à ceste heure
guères ne s'en doubtoit. Beaucop aussi au bon
marchant pleut la courtoisie de sa nouvelle
dame; et tant furent conjoinctes les voluntés,
desirs et pensées de luy et d'elle, qu'ilz n'avoient
pour eulx deux que ung seul cueur. Si
s'appensèrent que, pour le bien loger et à leur
aise, il souffiroit bien d'un hostel; si troussa
ung soir nostre gouge ses bagues et habillemens,
et avec elles à l'hostel du marchant se
vint rendre, en abandonnant le premier amy,
son hoste, son hostesse et foison d'aultres
gens de bien auxquelx il l'avoit recommandée.
Elle ne fut pas si folle, quand elle se vit bien
123logée, qu'el ne dist incontinent à son marchant
qu'elle se sentoit grosse, qui en fut trèsjoyeux,
cuidant bien que ce fust de ses euvres.
Au chef de sept moys, ou environ, nostre
gouge fit ung beau filz dont le père adoptif
s'acquitta trèsgrandement et de la mère aussi.
Advint certain espace après que le bon gentilhomme
retourna de la guerre et vint à Bruges,
et au plustost qu'il peut honestement print
son chemin vers le logis où il laissa sa dame.
Et luy venu leans, il la demanda à ceulx qui
en prindrent la charge de la penser, garder et
aider en sa gesine. «Comment! dirent-ilz, est
ce ce que vous en savez? Et n'avez vous pas eu
les lettres que vous avons rescriptes?—Nenny,
par ma foy, dit-il, et quelle chose y a-il?—Quelle
chose! saincte Marie! dirent-ilz; nostre
Dame! c'est bien raison que on le vous dye.
Vous ne fustes en allé d'un mois qu'elle ne
troussa pignes et miroirs et s'en alla bouter
cy devant en l'ostel d'un tel marchant, qui la
tient à fer et à clou. Et de fait elle a fait ung
beau filz et a jeu leans, et l'a fait le marchant
chrestienner, et si le tient à sien.—Saint
Jehan! véez cy aultres nouvelles, dit le bon
gentilhomme; mais au fort, puis qu'el est telle,
au dyable voit elle! Je suis content que le
marchant l'ayt et la tienne; mais quant est de
l'enfant, il est mien, et si le veil ravoir.» Et sur
ce mot, part et s'en va, et vint heurter bien rudement
à l'huys du marchant. De bonne adventure,
sa dame qui fut vint à ce huit, qui ouvre
l'huys, comme toute de léans qu'elle estoit.
124Quant elle vit son amy oblié et qu'il la
congneut aussi, chacun fut esbahy. Non pourtant
luy demanda dont elle venoit en ce lieu.
Et elle respondit que fortune ly avoit amenée.
«Fortune! dist-il; or fortune vous y tienne;
mais je veil ravoir mon enfant; vostre maistre
ara la vache, et j'aray le veau, moy. Or le me
rendez bien tost, car je le veil ravoir, quoy
qu'en advienne.—Helas! dit la gouge, que
diroit mon homme? Je seroye deffaicte, car il
cuide certainement qu'il soit sien.—Ne m'en
chault, dit l'autre, dye de ce qu'il vouldra,
mais il n'ara pas ce qui est mien.—Ha! mon
amy, je vous requier que vous laissiez cest enfant
à mon marchant, et vous me ferez grand
plaisir et à luy aussi. Et pour Dieu, si vous l'aviez
veu, vous ne feriés jà presse de l'avoir:
c'est ung let et ort garson, trestout roigneux et
contrefait.—Dya, dit l'aultre, tel qu'il est il
est mien, et si le vueil ravoir.—Et parlez bas,
pour Dieu, ce dit la gouge, et vous appaisez
de vostre demande, je vous en supplie; et s'il
vous plaist ceans laisser cest enfant, je vous
promectz, par ma foi, s'il vous plaist ainsi
faire, je vous donneray le premier que j'aray
jamais.» Le gentil homme, à ces motz, jasoit
qu'il fust esmeu et courroucé, ne se peut
tenir de soubrire, et sans plus dire de sa
bonne dame se partit, et tien, comme l'on me
compta, qu'il n'a plus demandé le dit enfant,
et qu'encores le nourrist celluy qui la mère engranga
en l'absence de nostre gentil homme.
N'a guères qu'en la ville de Mons, en
Haynau, ung procureur de la cour
du dit Mons, assez sur eage et jà
ancien, entre aultres ses clercs avoit
ung très beau filz et gentil compaignon, du
quel sa femme à chef de pièce s'enamoura
très fort; et très bien luy sembloit qu'il estoit
mieulx taillié de faire la besoigne que son
mary. Et affin qu'el esprouvast si son cuider
estoit vray, elle conclut en soy mesmes qu'el
tiendra telz termes que, s'il n'est plus beste
qu'un asne, il se donnera tantost garde qu'el
en veult à luy. Pour executer ce desir, ceste
vaillant femme, jeune, fresche et en bon point,
venoit menu et souvent couldre et filer auprès
de ce clerc, et devisoit à luy de cent mille
besoignes dont la pluspart en fin sur amours
retournoient. Et devant ces devises elle n'oblya
pas de le servir de landes, Dieu scet, largement:
une foiz le boutoit du coste en escripvant,
une aultre foiz luy ruoit des pierrettes
qui brouilloient ce qu'il faisoit, et luy
failloit recommancer. Ung aultre jour retournoit
ceste feste et luy ostoit papier et parchemin,
tant qu'il failloit qu'il cessast l'euvre,
126dont il estoit trèsmal content, doubtant le
courroux de son maistre. Quelque semblant
que la maistresse long temps à son clerc eust
monstré, qui tiroit fort au train de derrière,
si luy avoit jeunesse et crainte les yeulx si
bandez que en rien il ne s'aparcevoit du bien
qu'on luy vouloit; neantmains enfin, par estre
beaucop hutiné, il s'apparceut aucunement
qu'il estoit bien en grace, et se pensa qu'il l'esprouveroit.
Ne demeura guères après ceste
deliberacion que, nostre procureur estant hors
de l'ostel, sa femme vint à nostre clerc bailler
l'arrière ban et assault en escripvant qu'elle
avoit de coustume, voire trop plus aigre et
plus fort que nulle foiz de devant. Tant de
ruer, tant de bouter, tant de parler; mesme
pour le plus empescher et bailler destourbier,
elle respandit sur buffet, sur papier, sur robe,
son cornet à l'encre. Et nostre clerc, plus cognoissant
et mieulx voyant que cy dessus,
saillit en piez, assault sa maistresse et la reboute
en sus de luy, priant qu'elle le laisse
escripre. Et elle, qui demandoit estre assaillie
et combatue, ne laissa pas pourtant l'emprinse
encommancée, mais de plus belle rend estire.
«Savez-vous qu'il y a, ce dit le clerc, Madamoiselle?
c'est force que j'escheve en haste
l'escript que j'ai encommancé; si vous requier
que vous me laissez paisible, ou, par la mort
bieu, je vous livreray castille.—Et que me
ferez-vous, beau sire, ce dit-elle; la moue?—Nenny,
par Dieu.—Et quoy donc?—Quoy?—Voire
quoy?—Pour ce, dit-il, que
127vous avez respandu mon cornet à l'encre et
avez brouillé et mon escripture et ma robe,
je vous pourray bien brouiller vostre parchemin;
et affin que faulte d'encre ne m'empesche
d'escripre, je pourray bien pescher en
vostre escriptoire.—Par ma foy, dit-elle,
vous en estes bien l'omme; et creez que j'en
ay grand paour.—Je ne sçay quel homme,
dist le clerc, mais tel que je suis, si vous y
rembatez plus, vous passerés par là. Et de fait
véez cy une raye que je vous faiz, et par Dieu,
si vous la passez, tant pou soit-il, si je vous
faulx je veil qu'on me tue.—Et par ma foy,
dit-elle, je ne vous en craings, et si passeray
la raye, et puis verray que vous ferez.» Et
disant ces parolles, marcha la dureau, faisant
le petit sault oultre la raye bien avant. Et le
bon clerc la prend aux grifz, sans plus enquerre,
et sur son banc la rue, et créez qu'il
la punit bien: car, s'elle l'avoit brouillié, il ne
luy en fist pas mains, mais ce fut en aultre
fasson, car elle le brouilla par dehors et à descouvert,
et il à couvert et par dedans. Et de ce
cas fut le notaire ung jeune enfant environ de
deux ans, filz de léans. Il ne fault pas demander
si après ces premières armes de la maistresse
et du clerc s'il y eut plusieurs secrètes
rencontres à mains de parolles que les premières.
Il ne vous fault pas celer aussi que peu de
jours après ceste adventure, le dit petit enfant
ou comptouer estant où le clerc escripvoit, le
procureur et maistre de leans survint, et marche
avant pour tirer vers son clerc, pour regarder
128qu'il escripvoit, ou espoir pour aultre
chose; et comme il approucha de la raye que
son clerc fist pour sa femme, qui encores n'estoit
effacée, son filz luy dist et crya: «Mon
père, gardés bien que vous ne passez ceste
raye, car nostre clerc vous abateroit et huppilleroit
ainsi qu'il fist naguères ma mère.» Le
procureur, oyant son filz, et regardant la
raye, si ne scet que penser, car il luy alla
souvenir que folz, yvres et enfans ont de
coustume de vray dire; mais non pourtant il
n'en fist pour ceste heure nul semblant; et
n'est encores venu à ma cognoissance se il
differa la chose ou par ignorance ou par doubte
d'esclandre.
Jasoit que ès nouvelles dessus dictes
les noms de ceulx et celles à qui elles
ont touché et touchent ne soient
mis n'escripz, si me donne mon appetit
grand vouloir de nommer, en ma petite
ratelée, le conte Walerant, en son temps conte
de saint Pol, et appellé le beau conte. Entre
aultres ses seigneuries, il estoit seigneur d'un
village en la chastellenie de Lisle nommé Vrelenchem,
près du dit Lisle environ d'une lieue.
129Ce gentil conte, de sa bonne et doulce nature,
estoit et fut tout son temps amoureux oultre
l'enseigne. Il sceut, au rapport d'aucuns ses
serviteurs qui en ce cas le servoient, que au
dit Vrelenchem avoit une très belle fille, gente
de corps et en bon point. Il ne fut pas si paresseux
que, assez tost après ceste nouvelle
oye, il ne se trouvast en ce village. Et feirent
tant ses serviteurs, que les yeulx de leur maistre
confermèrent de tout point leur rapport
touchant la dicte fille: «Or ça, qu'est-il de faire?
dist lors le gentil conte; c'est force que je
parle à elle entre nous deux seullement, et ne
me chault qu'il me couste.» L'un de ses serviteurs,
docteur en son mestier, dit: «Monseigneur,
pour vostre honneur et celuy de la fille
aussi, il me semble qu'il vault mieux que je
luy descouvre l'embusche de vostre vouloir;
et selon la response j'auray advis de parler et
poursuyre.» Comme l'aultre dist, il fut fait,
car il vint devers la belle fille et très courtoisement
la salua. Et elle, qui n'estoit pas mains
sage ne bonne que belle, courtoisement luy
rendit son salut. Pour abreger, après pluseurs
parolles d'accointances, le bon macquereau va
faire un grant premisse touchant les biens et
les honneurs que son maistre luy vouloit; et
de fait, se à elle ne tenoit, elle seroit cause
d'enrichir et honorer tout son lignage. La
bonne fille entendit tantost quelle heure il
estoit, si feist sa response telle qu'elle estoit,
c'est assavoir belle et bonne: car, au regard
de monseigneur le conte, elle estoit celle, son
130honneur saulve, qui luy vouldroit obéir, craindre
et servir en toutes choses. Mais qui la vouldroit
requerre contre son honneur, qu'elle tenoit
aussi cher que sa vie, elle estoit celle
qui ne le cognoissoit et pour qui elle ne feroit
neant plus que le singe pour les mauvais. Qui
fut esbahy et courroucé, ceste response oye,
ce fut nostre va luy-dire, qui s'en revint devers
son maistre à tout ce qu'il avoit de poisson,
car à char avoit-il failly. Il ne fault pas demander
si le conte fut mal content quand il
sceut la trèsfière et dure response de celle dont
il desiroit l'accointance et joissance, et autant
et plus que de nulle du monde. A chef de
pièce va dire: «Or avant, laissons la là pour
ceste foiz; il m'en souviendra quant el cuidera
qu'il soit oblié.» Il se partit de là tantost après,
et n'y retourna que les six sepmaines ne furent
passées; et quand il revint, ce fut si trèssecrètement
que nouvelle nulle n'en fut en la ville,
tant simplement et en tapinage s'i trouva. Il
fist tant par ses espies qu'il sceust que nostre
belle fille sayoit de l'erbe au coing d'un bois,
asseulée de toutes gens; il fut bien joyeux, et,
tout housé encores qu'il estoit, se mist au
chemin devers elle, en la compaignie de ses
espies. Et quand il fut près de ce qu'il queroit,
il leur donna congé, et fist tant qu'il se trouva
auprès de sa dame sans ce qu'elle en sceust
nouvelle sinon quand el le vit. S'elle fut soupprinse
et esbahie de se veoir tenue et saisie de
monseigneur le conte, ce ne fut pas merveilles;
mesme el en changea coleur, mua semblant,
131et pour ung peu en perdit la parolle,
car elle savoit par renommée qu'il estoit perilleux
et noiseux entre femmes. «Ha dya! Madamoiselle,
dit lors le gentil conte, qui se trouva
saisy, vous estes à merveilles fière. On ne
vous peut avoir sans siége. Or pensez bien de
vous defendre, car vous estes venue à la bataille;
et avant que de moy partez vous amenderez
à mon vouloir et tout à ma devise des
peines et travaulx que j'ay souffers et enduré
tout pour l'amour de vous.—Helas! Monseigneur,
ce dist la jeune fille, toute esbahye
et soupprinse qu'elle estoit, je vous cry mercy!
Si j'ay dit ou fait chose qui vous desplaise,
veillez le moy pardonner, et combien que je
ne pense avoir dit ne fait chose dont me devez
savoir mal gré. Je ne sçay, moy, qu'on
vous a rapporté. On m'a requis en vostre nom
de deshonneur; je n'y ay point adjousté de
foy, car je vous tiens si vertueux que pour
rien ne vouldriez deshonorer une vostre simple
subgecte, que je suys, mesmes la vouldriez
bien garder.—Ostez ce procès, dit monseigneur,
et soyez seure que vous ne m'eschapperez
si que vous auray monstré le bien que
je vous veil et ce pourquoy j'envoyai par devers
vous.» Et, sans plus dire, la trousse et
prend entre ses braz, et dessus ung pou d'herbe
mise en tas qu'elle avoit assemblé, souvyne
la coucha et fort et roidde, et vistement faisoit
ses preparatives d'accomplir le desir qu'il
avoit de pieça. La jeune fille, qui se veoit en
ce dangier et sur le point de perdre ce qu'en ce
132monde trèschier tenoit, s'advisa d'un bon tour,
et dist à monseigneur: «Je me rends à vous:
je feray ce qu'il vous plaira sans nulz refus ne
contredictz. Soiez plus content de prendre de
moy ce qu'en vouldrez par mon accord et volunté,
qui tant y puis et en doy bien requerre,
que malgré moy vous paroultrez vostre vouloir
desordonné.—A dya! dit monseigneur,
que vous m'eschappez, non; que voulez vous
dire?—Je vous requier, dit elle, puis qu'il
fault que vous obéisse, que vous me facez
cest honneur que je ne soye pas souillée de
voz houseaux, qui sont et gras et ors, et vous
suffise du surplus.—Et comment en pourray-je
faire? ce dit monseigneur.—Je les
vous osteray, ce dit elle, très bien, s'il vous
plaist; car, par ma foy, je n'aroye cueur ne
courage de vous faire bonne chière avec ces
paillards houseaulx.—C'est peu de chose des
houseaulx, dit monseigneur; mais non pourtant,
puis qu'il vous plaist, il seront ostez.» Et alors
il abandonna sa prinse et se siet dessus l'erbe,
et tend sa jambe; et la belle fille luy oste l'esperon
et puis luy tire l'un de ses houseaulx,
qui bien estroiz estoient. Et quand il fut environ
à moitié, à quoy faire elle eut moult de
peine, pour ce que tout au propos le tira de
mauvais bihès, elle part et s'en va tant que
piez la peuvent porter, aider et soustenir de
bon vouloir, et là laissa le gentil conte, et ne
fina de courre tant qu'elle fut à l'ostel de son
père. Le bon seigneur, qui se trouva ainsi deceu,
s'il enragoit, plus n'en pouvoit; et qui à
133ceste heure l'eust veu rire, jamais n'eust eu les
fievres. A quelque meschef que ce fut, se mist
sur piez, cuidant parmarcher sur son houseau
et par ce l'oster de sa jambe; mais c'est pour
neant: il estoit trop estroict; si n'y trouva
aultre remède que de retourner vers ses gens.
De sa bonne adventure, il n'eut pas loing allé
quand il trouva ses bons disciples sur le bord
d'un fossé qui l'attendoient, qui ne seurent
que penser quand ilz le voyent ainsi atourné.
Il leur compta tout son cas et se fist rehouser.
Et qui l'oyoit, celle qui l'a trompé ne seroit
pas seurement en ce monde, tant luy cuide et
bien luy veult faire desplaisir. Quelque vouloir
qu'il eust pour lors, quelque mal content
qu'il fust pour ung temps, tant qu'il fut ung
peu refroidi, tout son courroux fut converty
en cordiale amour. Et qu'il soit vray, depuis
à son pourchaz et à ses chers coustz et despens
il la fist marier trèsrichement et bien, à
la contemplacion seullement de la franchise et
loyaulté qu'en elle avoit trouvé, dont il eut la
vraye congnoissance par le refus icy dessus
compté.
La chose est si fresche et si nouvellement
advenue dont je veil fournir
ma nouvelle, que je n'y puis ne
tallier, ne roigner, ne mettre, ne
oster. Il est vray que au Quesnoy vint une
belle fille naguères au prevost se complaindre
de force et violance en elle perpetrée et commise
par le vouloir desordonné d'un jeune
compaignon. Ceste complaincte au prevost
faicte, le compaignon encusé de ce crime fut
en l'heure prins et saisi; et, au dict du commun
peuple, ne valoit guères mieulx que
pendu au gibet, ou sans sa teste au vent sur
une roe enmy les champs faire les monstres.
La fille, voyant et sentant celuy dont elle se
doutoit emprisonné, poursuyvoit roiddement
le prevost qu'il luy en feist justice, et de ce
que, oultre son gré et vouloir, violantement et
par force on l'a deshonorée. Et le prevost,
homme discret et sage et en justice trèsexpert,
fist assembler les hommes et puis manda
le prisonnier. Etainçois qu'il le feist venir
devant les hommes desjà tout prest pour le
juger, s'il confessoit par geheyne ou aultrement
l'orrible cas dont il estoit chargé, parla
135à luy à part, et si le conjura de dire la vérité.
«Véez cy telle femme, dist-il, qui de vous se
complaint de force. Est-il ainsi? L'avez vous
efforcée? Gardez que vous diez vérité, car, si
vous faillez, vous estes mort; mais si vous dictes
vray, on vous fera grace.—Par ma foy,
monseigneur le prevost, dist le prisonnier, je
ne veil pas nyer ne celer que je ne l'aye pieça
requise de son amour. Et de fait, avant hier,
après pluseurs parolles, je la ruay sur ung lict
pour faire ce que vous savez, et luy levay
robe et chemise, et mon furon, qui jamais
n'avoit hanté larrier, ne savoit trouver la
douyère de son conin, si ne faisoit qu'aller
çà et la; mais elle, par sa courtoisie, luy dressa
le chemin, et à ses propres mains le bouta
tout dedans. Je croy trop bien qu'il ne partit
pas sans proye, mais qu'il y eust entré à force,
par mon serement, non eust.—Est-il ainsi?
dit le prevost.—Oy, par mon serement, dit
le bon compaignon.—Or bien, dist-il, nous
en ferons trèsbien.» Après ces parolles, le
prevost se vient mettre en siège pontifical à
dextre et environné de ses hommes, et le bon
compaignon fut mis et assis sur le petit banc
ou parquet, ce voyant tout le peuple et celle
qui l'accusoit. «Or ça, m'amye, dit le prevost,
que demandez vous à ce prisonnier?—Monseigneur
le prevost, dit-elle, je me plains à
vous de la force que il m'a violée oultre mon
gré et ma volunté, et malgré moy, dont je
vous demande justice.—Que respondez vous,
mon amy? dit le prevost au prisonnier.—Monseigneur,
136dist-il, je vous ay jà dit comment
il en va, et je ne pense pas qu'elle dye
au contraire.—M'amie, dit le prevost, regardez
bien que vous dictes et que vous faictes
de vous plaindre de force. C'est grant chose.
Véez cy qu'il dit qu'il ne vous fist oncques
force, mesmes avez esté consentant et pou près
requerant de ce qu'il a fait; et qu'il soit vray,
vous mesmes adressastes et mistes son furon,
qui s'esbatoit à l'entour de vostre duyere,
à voz deux mains ou à tout l'une, tout dedens
la duyere de vostre connin, laquelle chose il
n'eust peu faire sans ceste vostre ayde; et si
vous y eussez tant pou soit resisté, jamais
n'en fust venu à bout. Si son furon a fourragé
l'ostel, il n'en peut mais, car, dès adonc qu'il
est par eries ou duyere, il est hors de son chastoy.—Ha!
monseigneur le prevost, dist la
fille plainctive, comment l'entendez vous? Il
est vray, je ne le veille pas nyer, que voirement
je prins son furon et le boutay en ma
duyere, mais pour quoy fut ce? Par mon serement,
monseigneur, il avoit la teste tant
roidde et le museau tant dur, que je sçay
tout de vray qu'il m'eust fait ung grant pertus,
ou deux ou trois, ou ventre, si je ne l'eusse
bien à haste bouté en celuy qui y estoit
davantage; et véez là pourquoy je le feiz.»
Pensez qu'il y eust grand risée, après la conclusion
de ce procès, de ceulx de la justice
et de tous les assistens. Et fut le compaignon
delivré, promettant de retourner à ses journées
quand sommé en seroit. Et la fille s'en
137alla bien courroussée qu'on ne pendoit bien
en haste et bien hault celuy qui avoit pendu
à ses basses fourches. Mais ce courroux, ne
sa roidde poursuite, ne dura guères, car, à ce
qu'on me dist, tantost après par bons moyens
la paix entre eulx si fut trouvée; et fut abandonnée
au bon compaignon garenne, connin
et duyere, toutesfoiz et quantes que chasser
y vouldroit.
En la duché de Brabant, n'a pas long
temps que la memoire n'en soit fresche
et presente à ceste heure, advint
ung cas digne de reciter; et
pour fournir une nouvelle ne doit pas estre
rebouté. Et, affin qu'il soit enregistré et en
apert congneu et declaré, il fut tel: A l'ostel
d'un grant baron du païs demouroit et residoit
ung jeune, gent et gracieux gentilhomme,
nommé Gerard, qui s'enamoura trèsfort d'une
damoiselle de leans nommée Katherine. Et,
quand il vit son cop, il luy osa bien dire son
gracieux et piteux cas. La response qu'il eut
de prinsault, chacun la peut penser et savoir,
que pour abreger je trespasse, et vien ad ce
138que Gerard et Katherine par succession de
temps s'entr'amèrent tant fort et si loyalement
qu'ilz n'avoient qu'un seul cueur et ung mesme
vouloir. Ceste entière, leale et parfaicte amour
ne dura pas si peu que les deux ans ne furent
accompliz et passez; à chef de ceste pièce de
temps, amour, qui bande les yeulx de ses serviteurs,
les bouscha si trèsbien que là où ilz cuidoient
le plus secretement de leurs amoureux
affaires conclure et deviser, chacun s'en parcevoit;
et n'y avoit homme ne femme à l'ostel qui
trèsbien ne s'en donnast garde; mesmement fut
tant la chose escriée qu'on ne parloit par leans
que des amours Gerard et Katherine. Mais,
helas! les pouvres aveugles cuidoient bien
seulz estre empeschez de leur besoigne, et ne
se doubtoient guères qu'on en tenist conseil
ailleurs qu'en leur presence, ou le troiziesme
de leur gré n'eust pas esté receu sans leur
propos changer et transmuer. Tant au pourchaz
d'aucuns maudictz et detestables envieux
que pour la continuelle noise de pluseurs qui
ne scevent taire ce qui rien ou pou ne leur touche,
vint ceste matière à la congnoissance du
maistre et de la maistresse des deux amans,
et d'iceulx s'espandit et saillit en audience du
père et de la mère de Katherine. Si luy escheut
si trèsbien que par une damoiselle de
leans, sa trèsbonne compaigne et amye, elle
fut advertie et informée du long et du large
de la descouverture des amours de Gerard et
d'elle, tant à monseigneur son père et à madame
sa mère comme à monseigneur et à madame
139de leans. «Helas! qu'est-il de faire,
ma bonne seur et m'amye? dit Katherine. Je
suis femme deffaicte, puis que mon cas est si
manifeste que tant de gens le scevent et en
devisent. Conseillez moy, pour Dieu, ou je
suis femme perdue et plus que aultre desolée
et mal fortunée.» Et, à ces motz, larmes à
tant saillirent de ses yeulx et descendirent au
long de sa belle et clère face jusques bien bas
sur sa robe. Sa bonne compaigne, ce voyant,
fut très marrie et desplaisante de son ennuy,
et pour la conforter luy dist: «Ma seur,
c'est folie de mener tel dueil et si grand; car
on ne vous peut, la Dieu mercy, reproucher
de chose qui touche vostre honneur, ne celuy
de voz amys. Si vous avez entretenu ung gentilhomme
en cas d'amours, ce n'est pas chose
defendue en la court d'honneur, mesme est la
sente et la vraye adresse de y parvenir; et
pour ce vous n'avez cause de douloir, et n'est
ame vivant qui à la verité vous en puisse ou
doyve charger. Mais toutesfoiz il me sembleroit
bon, pour estaindre la noise de pluseurs
parolles qui courent aujourduy à l'occasion
de vos dictes amours, que Gerard, vostre serviteur,
sans faire semblant de rien, prensist
ung gracieux congié de monseigneur et de
madame, colorant son cas ou d'aller en ung
loingtain voyage ou en quelque guerre apparente;
et soubz cest umbre s'en allast quelque
part soy rendre en ung bon hostel, attendant
que Dieu et amours aront disposé sur voz besoignes;
et luy arresté, vous face savoir de
140son estat, et par son mesme message lui ferez
savoir de voz nouvelles. Et par ce point s'appaisera
le bruit qui court à present, et vous
entreamerez et entretiendrez l'un l'aultre par
lettres, attendans que mieulx vous vienne. Et
ne pense point pourtant que vostre amour
doive cesser, ançois de bien en mieulx se
maintiendra, car par longue espace vous n'avez
eu rapport ne nouvelle, chacun de sa
partie, que par la relacion de vos yeulx, qui
ne sont pas les plus eureux de faire les plus
seurs jugemens, mesmes à ceulx qui sont tenuz
en l'amoureux servage.» Le gracieux et
bon conseil de ceste gentilfemme fut mis en
œuvre et à effect, car au plus tost que Katherine
sceut trouver la fasson de parler à
Gerard son serviteur, elle en bref luy compta
comment l'embusche de leurs amours estoit
descouverte et venue desjà à la cognoissance
de monseigneur son père et de madame sa
mère, et de monseigneur et de madame de
leans. «Et créez, dit-elle, avant qu'il soit
venu si avant, ce n'a pas esté sans passer
l'abbayt au pourchaz des rapporteurs devant
tous ceux de ceans et de pluseurs voisins. Et
pour ce que fortune ne nous est pas si amye
de nous avoir permis longuement vivre si glorieusement
que en notre estat encommancé,
et si nous menace, advise, et forge et prepare
encores plus grans destourbiers, si ne pourveons
à l'encontre, il nous est mestier, et
utile et necessité d'avoir advis bon et hastif.
Et car le cas beaucop me touche et plus que
141à vous, quant au dangier qui sourdre s'en
pourroit, sans vous desdire je vous diray mon
opinion.» Lors luy va compter de chef en
bout le conseil et advertissement de sa bonne
compaigne. Gerard, desjà une peu adverty
de ceste maudicte adventure, plus desplaisant
que si tout le monde fust mort, mis hors de
sa dame, respondit en telle manière: «Ma
leale et bonne maistresse, véez cy vostre
humble et obeissant serviteur, qui après Dieu
n'ayme rien en ce monde si lealement que
vous; et suis celuy à qui vous povez ordonner
et commender tout ce que bon vous semble,
et qui vous vient à plaisir, pour estre lyement
et de bon cueur sans contredit obéye.
Mais pensez qu'en ce monde ne me pourra
pis advenir quant il fauldra que j'esloigne vostre
trèsdesirée presence. Helas! s'il fault que
je vous laisse, il ne m'est pas advis que les
premières nouvelles que vous arez de moy, ce
sera ma doulente et piteuse mort adjugée et
executée à cause de vostre esloignier; mais,
quoy que soit, vous estes celle et la seulle
vivante que je veil obéyr, et ayme trop plus
cher la mort en vous obéissant qu'en ce
monde vivre, voire estre perpetuel, non acomplissant
vostre noble commendement. Véez cy
le corps de celuy qui est tout vostre; taillez,
roignez, prenez, ostez, faictes tout ce qu'il
vous plaist.» Si Katherine estoit marrye et
desplaisante d'oyr son serviteur qu'elle amoit
plus que aultre loyalement, le voiant aussi
plus troublé que dire on ne vous pourroit, il
142ne le fault que penser et non enquerre; et, si
ne fust pour la grant vertu que Dieu en elle
n'avoit pas oblyé de mettre largement et à
comble, elle se fust offerte de luy faire compaignie
en son voyage; mais, esperant de quelque
jour recouvrer ad ce que trèseureusement
faillit, le retira de ce propos, et à chef de
pièce si dist: «Mon amy, c'est force que vous
eloignez; si vous prie que vous n'obliez pas
celle qui vous a fait le don de son cueur, et
affin que vous aiez courage de mieulx soustenir
la trèscrueuse et horrible bataille que raison
vous livre et amaine à vostre doloreux
departement, encontre vostre vouloir et desir,
je vous promectz et asseure, sur ma foy, que
tant que je vive aultre homme n'aray espousé
de ma volunté et bon gré que vous, voire tant
que me serez loyal et entier, que j'espere que
vous serez. Et en approbacion de ce, je vous
donne ceste verge, qui est d'or esmaillée de
larmes noires. Et, si d'adventure on me vouloit
ailleurs marier, je me defendray tellement et
tiendray telz termes que vous devrez de moy
estre content, et vous monstreray que je vous
veil tenir sans faulser ma promesse. Or je vous
prie que tantost que vous serez arresté, où
que ce soit, que m'escrivez de voz nouvelles,
et je vous rescriray des miennes.—Ha! ma
bonne maistresse, ce dit Gerard, or voy-je
bien qu'il fault que je vous abandonne pour
ung espace. Je prie à Dieu qu'il vous doint
plus de bien et plus de joye qu'il ne m'appartient
d'en avoir. Vous m'avez fait de vostre
143grace, non pas que j'en soye digne, une si
haulte et honorable promesse, qu'il n'est pas
en moy de vous en savoir seullement et suffisamment
mercier. Et encores ay-je mains le
povoir de le deservir; mais pourtant ne demeure
pas que je n'en aye bien la parfecte
cognoissance, et si vous ose bien faire la pareille
promesse, vous suppliant trèshumblement
et de tout mon cueur que mon bon et loyal vouloir
me soit reputé de tel et aussi grand merite
que s'il partist de plus homme de bien que
moy. Et adieu, ma dame; mes yeulx demandent
leur tour d'audience, qui couppent à ma
langue son parler.» Et à ces motz la baisa, et
elle luy trèsserrément, et puis en allèrent chacun
en leur chambre plaindre ses douleurs, Dieu
scet! plorant des yeux, du cueur et de la teste.
Au fort, à l'heure qu'il se faillit monstrer,
chacun s'efforça de faire aultre chère de semblant
et de bouche que le desolé cueur ne faisoit.
Et pour abreger, Gerard fist tant en peu
de jours qu'il obtint congé de son maistre, qui
ne fut pas trop difficile à impetrer, non pas
pour faulte qu'il eust faicte, mais à l'occasion
des amours de luy et de Katherine, dont les
amys d'elle estoient mal contens, pour tant que
Gerard n'estoit pas de si grand lieu ne de si
grande richesse comme elle estoit; et pour ce
doubtoient qu'il ne la fiançast. Ainsi n'en advint
pas, et si se partit Gerard, et fist tant par
ses journées qu'il vint ou pays de Barrois, et
trouva retenance en l'ostel d'un grand baron
du païs. Et luy arresté, tantost manda et fist
144savoir à sa dame de ses nouvelles, qui en fut
très joyeuse, et par son message mesmes luy
rescripsit de son estat et du bon vouloir qu'elle
avoit et aroit vers luy tant qu'il veille estre
loyal. Or vous fault-il savoir que, tantost que
Gerard fut parti de Brabant, pluseurs gentilzhommes,
escuyers et chevaliers, se vindrent
accointer de Katherine, desirans sur toutes aultres
sa bienveillance et sa grace, qui, durant le
temps que Gerard servoit et estoit present,
ne se monstroient n'apparoient, sachant de
vray qu'il alloit devant eulx à l'offerende. Et
de fait pluseurs la requisrent à monseigneur
son père de l'avoir en mariage; et entre aultres
y en vint ung qui luy fut agréable. Si
manda pluseurs ses amis et sa fille aussi, et
leur remonstra comment il estoit desja ancien,
et que ung des grans plaisirs qu'il pourroit en
ce monde avoir, ce seroit de veoir sa fille en
son vivant bien allyée. Leur dist au surplus:
«Ung tel gentilhomme m'a fait demander ma
fille. Ce me semble trèsbien son fait, et si
vous le me conseillez et ma fille me veille obéir,
il ne sera pas escondit en sa trèshonorable et
raisonable requeste.» Tous ses amis et parens
loèrent et accordèrent beaucop ceste aliance,
tant pour les vertuz, richesses et aultres biens
du dit gentilhomme. Et, quant vint à savoir la
volunté de la bonne Katherine, elle se cuidoit
excuser de non soy vouloir marier, remonstrant
et allegant pluseurs choses dont elle se cuidoit
desarmer et eslonger ce mariage; mais en la
parfin elle fut ad ce menée que s'elle ne vouloit
145estre en la male grace de père, de mère, de
parens, de amis, de maistre et de maistresse,
qu'elle ne tiendroit point la promesse qu'elle
avoit faite à Gerard son serviteur. Si s'advisa
d'un trèsbon tour pour contenter tous ses
parens, sans enfraindre la loyauté qu'elle veult
tenir à son serviteur, et dit: «Mon trèsredoubté
seigneur et père, je ne suis pas celle qui vous
vouldroye en manière du monde desobéir,
voire sans la promesse que j'aroie faicte à
Dieu mon createur, de qui je tiens plus que de
vous. Or est-il ainsi que je m'estoye en luy
resolue, et proposé et promis luy avoie en
mon cueur, non pas de jamais moy marier,
mais de le non faire encore, ne encore, attendant
que par sa grace enseigner me voulsist
cest estat, ou aultre plus seur, pour saulver
ma pouvre ame. Neantmains, pource que je
suis celle qui pas ne veil troubler, où je puisse
bonnement à l'encontre, je suis contente d'emprandre
l'estat de mariage, ou aultre tel qu'il
vous plaira, moyennant qu'il vous plaise me
donner congié ainçois faire ung pelerinage à
saint Nicolas de Warengeville, lequel j'ay
voué et promis avant que jamais je change
l'estat où je suis.» Et ce dit-elle affin qu'elle
puisse veoir son serviteur en chemin et luy dire
comment elle estoit forcée et menée contre
son veil. Le père ne fut pas moyennement
joyeux d'oyr le bon vouloir et la sage response
de sa fille, et luy accorda sa requeste,
et prestement voult disposer de son partement,
et desjà disoit à madame sa femme, sa fille
146presente: «Nous luy baillerons ung tel gentilhomme,
ung tel et ung tel; Ysabeau, et
Margarite, et Jehanneton; c'est assez pour
son estat.—Ha! Monseigneur, dit Katherine,
nous ferons aultrement, s'il vous plaist. Vous
savez que le chemin de cy à saint Nicolas
n'est pas bien seur, mesmement pour gens
qui mainent estat et conduisent femmes; et à
quoy on doit bien prendre garde, je n'y saroie
ainsi aller sans grosse despence; et aussi c'est
une grande bée, et s'il nous advenoit meschef
ou d'estre prins ou destroussez de biens ou
de nostre honneur, que jà Dieu ne veille! ce
seroit un merveilleux desplaisir. Si me semble
bon, sauve toutesfoiz vostre bon plaisir, que
me feissez faire ung habillement d'homme et me
baillassez en la conduicte de mon oncle le
bastard, chacun monté sur ung petit cheval.
Nous irons plus tost, plus seurement et à
mains de despense; et, si ainsi le vous plaist
faire, je l'entreprendray plus hardiement que
d'y aller en estat.» Ce bon seigneur pensa
ung peu sur l'advis de sa fille et en parla à
madame sa femme; si leur sembla que l'ouverture
qu'elle faisoit luy partoit d'ung grand
sens et de bon vouloir. Si furent ses choses
prestes tantost pour partir, et ainsi se
misrent au chemin, la belle Katherine et son
oncle le bastard, sans aultre compaignie, habillez
à la fasson d'Allemagne, bien et gentement,
et estoit Katherine le maistre, et l'oncle
le varlet. Ilz firent tant par leurs journées que
leur pelerinage, voire de saint Nicolas, fut
147acomply. Et comme ilz se mettoient au chemin
de retour, loans Dieu qu'ilz n'avoient encores
eu que tout bien, et devisans de pluseurs
aultres choses, Katherine va dire à son
oncle: «Mon oncle, mon amy, vous savez
qu'il est à moy, la mercy Dieu, qui suys
seulle heritière de monseigneur mon père, de
vous faire beaucop de biens, laquelle chose
je feray voluntiers, quand en moy sera, si vous
me voulez servir en une menue queste que j'ay
entreprinse: c'est d'aller en l'ostel d'ung seigneur
de Barrois, qu'elle luy nomma, veoir
Gerard, que vous savez. Et affin que, quant
nous reviendrons, puisse compter quelque
chose de nouveau, nous demanderons leans
retenance; et, si nous la povons obtenir, nous
y serons par aucuns jours et verrons le pays;
et ne doubtez que je n'y garde mon honneur,
comme une bonne fille doit faire.» L'oncle,
esperant que mieulx luy en seroit cy après, et
qu'el est si bonne qu'il n'y fault jà guet sur
elle, fut content de la servir et de l'accompagner
en tout ce qu'elle vouldra. Il fut beaucop
mercyé, ne doubtez; et dès lors conclurent
qu'il appellera sa niepce Conrard. Ilz
vindrent assez tost, comme on leur enseigna,
ou lieu desiré, et s'adrecèrent au maistre d'ostel
du seigneur, qui estoit ung ancien escuyer,
qui les receut, comme estrangiers, trèslyement
et honorablement. Conrard luy demanda si
monseigneur son maistre ne vouldroit pas le
service d'un jeune gentilhomme qui queroit
adventure et demandoit à veoir païs. Le maistre
148d'ostel demanda dont il estoit, et il luy
dist qu'il estoit de Brabant. «Or bien, dist-il,
vous viendrez disner ceans, et après disner
j'en parleray à monseigneur.» Il les fist tantost
conduire en une trèsbelle chambre, et envoya
couvrir la table et faire beau feu et apporter
la souppe, et la pièce de mouton, et
le vin blanc, attendant le disner. Et s'en ala
devers son maistre, et luy compta la venue d'un
jeune gentilhomme de Brabant, qui le vouldroit
bien servir. Le seigneur estoit content, si
luy semble bien son fait. Pour abreger, quand
il eut servy son maistre, il s'en vint devers
Conrard pour luy tenir compaignie au disner,
et avecques luy amena, pour ce qu'il estoit de
Brabant, le bon Gerard dessus nommé, et dist
à Conrard: «Véez cy ung gentilhomme de
vostre pays.—Il soit le trèsbien trouvé, dist
Conrard.—Et vous le trèsbien venu», ce
dit Gerard. Mais créez qu'il ne recognut pas
sa dame, mais elle luy trèsbien. Durant que
ces accointances se faisoient, la viande fut
apportée, et s'assiet après le maistre d'ostel
chacun en sa place. Ce disner dura beaucop
à Conrard, esperant après d'avoir de bonnes
devises avec son serviteur, mais pensant aussi
qu'il la recognoistra tantost, tant à la parolle
comme aux responses qu'elle luy fera de son
pais de Brabant; mais il ala tout aultrement,
car oncques durant le disner le bon Gerard ne
demanda après homme ne femme de Brabant,
dont Conrard ne savoit que penser. Ce disner
fut passé, et après disner monseigneur retint
149Conrard en son service. Et le maistre d'ostel,
trèssachant homme, ordonna que Gerard et
Conrard, pour ce qu'ilz sont d'un pays, auroient
chambre ensemble. Après ceste retenue,
Gerard et Conrard se prennent à braz et s'en
vont veoir leurs chevaulx; mais à deable Gerard
s'il parla oncques ne demanda rien de
Brabant. Si se print à doubter le pouvre Conrard,
c'est assavoir la belle Katherine, qu'elle
estoit mise avec les pechez obliez, et que,
s'il en estoit rien à Gerard, il ne se pourroit
tenir qu'il n'en demandast, ou au mains du
seigneur et de la dame où elle demouroit. La
pouvrette estoit, sans guères le monstrer, en
grant destresse de cueur, et ne savoit lequel
faire, ou de soy encores celer et l'esprouver par
subtilles paroles, ou de soy prestement faire cognoistre.
Au fort, elle s'arresta que encores demourra
Conrard et ne deviendra pas Katherine,
si Gerard ne tient aultre manière. Ce soir se
passa comme le disner, et vindrent en leur chambre
Gerard et Conrard, parlans de beaucop de
choses, mais il n'y venoit nulz propos en termes
que pleussent à Conrard. Quand elle vit qu'il
ne dira rien si on ne luy mect en bouche, elle
luy demanda de quelz gens il estoit de Brabant,
et il en respondit ce que bon luy sembla.
«Et congnoissez-vous pas, dit-elle, ung
tel seigneur, et une telle dame, et ung tel?—Saint
Jehan! oy, dit-il.» Et au derrenier elle
luy nomma le seigneur où ilz demouroient. Et
il dist qu'il le cognoissoit bien, sans dire qu'il
y eust demouré. «On dit, ce dit-elle, qu'il y
150a de belles filles leans; en cognoissez-vous
nulles?—Bien peu, dit-il, et aussi il ne
m'en chault; laissez-moy dormir, je meurs de
somme.—Comment, dit-elle, povez-vous
dormir quand on parle de belles filles? Ce n'est
pas signe que vous soiez amoureux.» Il ne
respondit mot, mais s'endormit comme ung
pourceau; et la pouvre Katherine se doubta
tantost de ce qui estoit, mais elle conclud
qu'elle l'esprouvera plus avant. Quant vint à
l'endemain, chascun s'abilla, parlant et devisant
de ce que plus luy estoit, Gerard de
chiens et d'oiseaulx, Conrard des belles filles
de leans et de Brabant. Quand vint après disner,
Conrard fist tant qu'il destourna Gerard
des aultres, et luy va dire que le païs de Barrois
desjà luy desplaisoit, et que vraiement
Brabant est toute aultre marche, et en son langage
luy donna assez à cognoistre que le cueur
luy tiroit fort devers Brabant. «A quel propos?
ce dit Gerard; que voiez-vous en Brabant
qui n'est icy? et n'avez vous pas icy les belles
forestz pour la chasse, les belles rivières, les
belles plaines tant plaisantes que à souhaiter,
pour le deduyt des oyseaulx en temps de gibier
et aultre?—Encores n'est ce rien, ce
dit Conrard; les femmes de Brabant sont bien
aultres, qui me plaisent bien autant et plus que
voz chasses et voleries.—Saint Jehan! c'est
aultre chose, ce dit Gerard; vous y seriez hardyement
amoureux en vostre Brabant, je l'oz
bien.—Par ma foy, ce dit Conrard, il n'est
jà mestier qu'il vous soit celé, je y suis amoureux
151voirement. Et à ceste cause m'y tire le
cueur tant roiddement et si fort que je faiz
doubte que force me sera d'abandonner vostre
Barrois, car il ne me sera pas possible à la
longue de longuement vivre sans veoir ma
dame.—C'est folie donc, ce dit Gerard, de
l'avoir laissé, si vous vous sentez si inconstant.—Inconstant!
mon amy; et où est celuy
qui puist mestrier loyaux amoureux? Il n'est
si advisé ne si sage qui s'i sache souvent conduire.
Amours bannist souvent de ses servans
et sens et raison.» Ce propos sans plus avant le
deduire se passa, et fut heure de souper; et ne
se reatelèrent à deviser tant qu'ilz furent au
lict couchez. Et créez que de par Gerard jamais
n'estoit nouvelle que de dormir, se Conrard
ne l'eust assailly de procès, qui commença
une piteuse, longue et doloreuse plaincte
après sa dame, que je passe, pour abreger.
Et si dit en la fin: «Helas! Gerard, et comment
povez-vous avoir envye de dormir emprès
de moy qui suis tant eveillé, qui n'ay esperit
qui ne soit plain de regretz, d'ennuy et
de soucis? C'est merveille que vous n'en estes
ung peu touché; et creez, si c'estoit maladie
contagieuse, vous ne seriez pas seurement si
près sans avoir des esclabotures. Helas! je
vous prie, si vous n'en sentez nulles, aiez au
mains compassion de moy qui meurs sur bout
si je ne voy bien bref ma dame.—Je ne vy jamais
si fol amoureux, ce dit Gerard; et pensez
vous que je n'aye point esté amoureux?
Certes je sçay bien que c'est, car j'ay passé
152par là comme vous, certes si ay; mais je ne
fuz oncques si enragé que d'en perdre le dormir
ne la contenance, comme vous faictes à
present: vous estes beste, et ne prise point
votre amour ung blanc. Et pensez-vous qu'il
en soit autant à vostre dame? Nenny, nenny.—Je
suis tout seur, ce dit Conrard, que si;
elle est trop loyalle pour m'oblier.—A dya,
vous direz ce que vous vouldrez, ce dit Gerard,
mais je ne croiray jà que femmes soient
si loyalles que pour tenir telz termes; et ceulx
qui le cuident sont parfaiz coquars. J'ay amé
comme ung aultre, et encore en ayme je bien
une. Et pour vous dire mon fait, je party de
Brabant à l'occasion d'amours, et à l'heure de
mon partement j'estoie bien avant en la grace
d'une trèsbelle, bonne et noble fille, que
je laissay à trèsgrant regret; et me despleut
beaucop par aucuns pou de jours d'avoir perdu
sa presence, non pas que j'en laissasse le dormir,
ne boire, ne menger, comme vous. Quand
je me vy ainsi d'elle éloigné, je vouluz user
pour remède du conseil d'Ovide, car je n'eu
pas si tost accointance ne entrée ceans que je
ne priasse une des belles filles qui y soit; et ay
tant fait, la Dieu mercy! qu'elle me veult
beaucop de bien, et je l'ayme beaucop aussi.
Et par ce point me suys-je deschargé de celle
que par avant amoye, et ne m'en est à present
non plus que celle qu'oncques ne viz, tant
m'en a rebouté ma dame de present.—Et
comment, ce dit Conrard, est-il possible, si
vous amiez bien l'aultre, que vous la puissez
153si tost oublier et abandonner? Je ne le sçay entendre,
moy, ne concepvoir comment il se
peut faire.—Il s'est fait toutefoiz, ce dit Gerard;
entendez le si vous voulez.—Ce n'est
pas bien gardé loyauté, ce dit Conrard; quant
à moy, j'aymeroie plus cher morir mille foiz, si
possible m'estoit, que d'avoir fait à ma dame
si grande faulseté. Et jà Dieu ne me laisse tant
vivre que j'aye non pas tant seulement le vouloir
ne une seule pensée de jamais amer ne
prier aultre qu'elle.—Tant estes vous plus
beste, ce dit Gerard, et si vous maintenez ceste
folie, jamais vous n'arez bien et ne ferez que
songer et muser, et secherez sur terre comme
la belle herbe dedans le four chault, et serez
homicide de vous mesmes; et si n'en arés jà
gré; mesme, que plus est, vostre dame n'en
fera que rire, si vous estes si eureux qu'il
vienne à sa cognoissance.—Comment! ce dit
Conrard, vous savez d'amours bien avant; je
vous requier doncques que veillez estre mon
moien ceans ou aultre part que je face dame
par amours, asavoir mon si je pourroie garir
comme vous.—Je vous diray, ce dit Gerard,
je vous feray demain deviser à ma dame, et
aussi je luy diray que nous sommes compaignons
et qu'elle face vostre besoigne à sa compaigne;
et je ne doubte point que, si vous voulez,
qu'encores n'ayons du bon temps, et que
bien bref se passera la resverie qui vous affole,
voire si à vous ne tient.—Si ce n'estoit faulser
mon serment à ma dame, je le desireroye
beaucop, ce dit Conrard; mais au fort j'essaieray
154comment il m'en prendra.» Et à ces motz
se retourna Gerard et tantost s'endormit. Et la
trèsbelle Katherine estoit de mal tant oppressée,
voyant et oyant la desloyauté de celuy
qu'elle aymoit plus que tout le monde, qu'elle
se souhaitoit morte. Non pourtant elle adossa
la tendreur feminine, et s'adouba de virile
vertu. Car elle eut bien la constance de longuement
et largement lendemain deviser avecques
celle qui luy faisoit tort de la rien au
monde que plus cher tenoit; mesmes forsa son
cueur, et ses yeulx fist estre notaires de pluseurs
entretenances à son trèsgrand et mortel
prejudice. Comme elle estoit en parolles avecques
sa compaigne, elle apperceut la verge
que au partir donna à son desloyal serviteur,
qui luy parcreut ses doleurs; mais elle ne fut
pas si fole, non pas par convoitise de la verge,
qu'elle ne trouva bonne gracieuse fasson de la
regarder et bouter en son doy. Et sur ce point,
comme non y pensant, se part et s'en va. Et
tantost que le souper fut passé, elle vint à son
oncle et lui dit: «Nous avons assez esté Barroisiens,
il est temps de partir; soiez demain
prest au point du jour, et aussi seray-je. Et regardez
que tout nostre bagage soit bien attinté.
Venez si matin qu'il vous plaist.—Il ne vous
fauldra que monter», repondit l'oncle. Or devez
vous savoir que tantdis, puis souper, que
Gerard devisoit avec sa dame, celle qui fut
s'en vint en sa chambre et se mect à escripre
unes lettres qui narroient tout du long et du
lé les amours d'elle et Gerard, comme les promesses
155qu'ilz s'entrefirent au departir, comment
on l'avoit voulue marier, le refus qu'elle
en fist, et le pelerinage qu'elle emprinst pour
sauver son serment et se rendre à luy; la desloyaulté
dont elle l'a trouvé saisy, tant de
bouche comme d'œuvre et de fait. Et pour les
causes dessus dictes, elle se tient pour acquittée
et desobligée de son serment et promesse
qu'elle jadiz luy fist. Et s'en va vers son pais,
et ne le quiert jamais ne veoir, ne rencontrer,
comme le plus desloyal qu'il est qui jamais
priast femme. Et si emporte la verge qu'elle
luy donna, qu'il avoit desjà mise en main sequestre.
Et si se peut bien vanter qu'il a couché
par trois nuiz au plus près d'elle; s'il y a
que bien, si le dye, car elle ne le craint. Escript
de la main de celle dont il peut bien cognoistre
la lettre, et au dessoubz: «Katherine,
etc., surnommée Conrard»; et sur le
dos: «Au desloyal Gerard, etc.». Elle ne dormit
pas guères la nuyt, et aussitost qu'on vit
du jour, elle se leva tout doulcement, et s'abilla
sans ce qu'oncques Gerard s'en eveillast, et
prend sa lettre qu'elle avoit bien close et fermée,
et la bouta en la manche du pourpoint de
Gerard; et à Dieu le commenda tout en basset,
en plorant tendrement, pour le grand deuil
qu'elle avoit du trèsfaulx tour qu'il luy avoit
joué. Gerard, qui dormoit, mot ne luy respondit.
Elle s'en vint devers son oncle, qui luy bailla
son cheval, et elle monte et puis tire païs tant
qu'ilz vindrent en Brabant, où ilz furent receuz
joyeusement, Dieu le scet. Et fut bien qui leur
156demanda des adventures de leur voyage; mais
quoy qu'ilz respondissent, ilz ne se vantèrent
pas de la principale. Pour parler comment il
advint à Gerard, quant vint le jour du partement
de la bonne Katherine, environ dix heures,
il s'esveilla, et regarde que son compaignon
estoit levé; si pensa qu'il estoit tard, si
sault sus tout en haste et saisit son pourpoint;
et comme il boutoit son bras dedans l'une des
manches, il en saillit une lettre, dont il fut
assez esbahy, car il ne luy souvenoit pas que
nulles y en eust bouté. Il les releva toutesfoiz,
et voit qu'elles sont fermées; et avoit au dos
escript: «Au desloyal Gerard, etc.» Si par
avant fut esbahy, encores le fut-il beaucop
plus. A chef de pièce, il les ouvrit et voit la
soubscription qui disoit Katherine surnommée
Conrard. Si ne scet que penser; il les leut
neantmains; en lysant, le sang luy monte et
le cueur luy fremist, et devint tout alteré de
manière et de coleur. A quelque meschef que
ce fut, il escheva de lyre sa lettre, par laquelle
il cognent que sa desloyaulté estoit venue à la
cognoissance de celle qui luy vouloit tant de
bien: non qu'elle sceust estre tel au rapport
d'aultruy, mais elles mesmes en personne en
a la vraye informacion; et, qui plus près du
cueur luy touche, il a couché trois nuiz avec
elle sans l'avoir guerdonnée de la peine qu'elle
avoit prinse que de si loing le venir esprouver.
Il ronge son frain aux dens et tout vif enrage
quand il se voit en celle peleterie. Et après
beaucop d'advis, il ne scet aultre remède que
157de la suyvir; et bien lui semble qu'il la rataindra.
Si prent congié de son maistre, et se
met à la voie, suyvant le froissie des chevaulx
de ceulx qu'oncques ne rataindit jusques ad ce
qu'ilz fussent en Brabant, où il vint si à point
que c'estoit le jour des nopces de celle qui l'a
esprouvé. Laquelle il cuida bien aller baiser et
saluer, et faire une orde excusance de ses faultes;
mais il ne luy fut pas souffert, car elle
luy tourna l'espaule, et ne sceut tout ce jour
ne oncques puis trouver manière ne fasson
d'avoir devises avec elle. Mesmes il s'avanca
une foiz pour la mener dancer, mais elle le refusa
plainement devant tout le monde, dont
pluseurs se prindrent garde. Ne demoura guères
après que ung aultre gentilhomme entra
dedans, qui fist corner les menestrielz, et s'avança
par devant elle et elle descendit, voyant
Gerard, et s'en ala dancer. Ainsi qu'avez oy
perdit le desloyal sa femme. S'il en est encores
de telz, ils se doivent mirer à cest exemple,
qui est notoire et advenu depuis naguères.
Ce n'est pas chose pou accoustumée,
especialement en ce royaume, que
les belles dames et damoiselles se
treuvent volontiers et souvent en la
compaignie des gentilz compaignons. Et à
158l'occasion des bons et joyeux passetemps qu'elles
ont avec eulx, les gracieuses et doulces
requestes qu'ilz leurs font ne sont pas si difficiles
à impetrer. A ce propos, n'a pas long
temps que ung trèsgentil homme qu'on peut
mettre ou renc et du compte des princes, dont
je laisse le nom en ma plume, se trouva tant
en la grace d'une trèsbelle damoiselle qui
mariée estoit, dont le bruit n'est pas si pou
cogneu que le plus grand maistre de ce royaume
ne se tenist trèseureux d'en estre retenu
serviteur, laquelle luy voult de fait monstrer
le bien qu'elle luy vouloit. Mais ce ne fut pas
à sa première volunté, tant l'empeschoient les
anciens adversaires et ennemis d'amours. Et
par espécial plus luy nuysoit son bon mary,
tenant le lieu en ce cas du trèsmaudit Dangier:
car, si ne fust-il, son gentil serviteur
n'eust pas encores à luy tollir ce que bonnement
et par honneur donner ne luy povoit. Et
pensez que ce serviteur n'estoit pas moyennement
mal content de ceste longue attente, car
l'achevement de sa gente chasse luy estoit
plus grand eur et trop plus desiré que nul
aultre quelconque bien qui luy povoit jamais
advenir. Et à ceste cause, tant continua son
pourchaz que sa dame luy dist: «Je ne suis pas
mains desplaisante que vous, par ma foy, que
je ne vous puiz faire aultre chère; mais vous
savez, tant que mon mary soit ceans, force
est qu'il soit entretenu.—Helas! dist-il, et
n'est-il moien qui se puisse trouver d'abreger
mon dur et cruel martire?» Elle qui, comme
159dessus est dit, n'estoit pas en maindre desir
de se trouver à part avec son serviteur que
luy mesme, luy dit: «Venez ennuyt, à certaine
heure, qu'elle luy baillast, hourter à ma
chambre; je vous feray mettre dedans, et trouveray
fasson d'estre delivrée de mon mary,
si fortune ne destourne mon emprinse.» Le
serviteur n'oyt jamais chose qui mieulx luy
pleust; et, après les mercimens gracieux et
deuz en ce cas, dont il estoit bon maistre et
ouvrier, se part d'elle, et s'en va attendant et
desirant l'heure assignée. Or devez vous savoir
que environ une bonne heure, ou plus ou
mains, devant l'heure assignée dessus dicte,
nostre gentille damoiselle, avec ses femmes
et son mary, qui va derrière, pour ceste heure
estoit en sa chambre retraicte puis le souper;
et n'estoit pas, creez, son engin oiseux, mais
labouroit à toute force pour fournir la promesse
à son serviteur; maintenant pensoit d'un, puis
maintenant d'un aultre, mais rien ne luy venoit
à son entendement qui peust eloigner ce maudit
mary; et toutesfoiz approuchoit fort l'heure
trèsdésirée. Comme elle estoit en ce profond
penser, fortune luy fut si trèsamye que mesme
son mary donna le trèsdoulx advertissement de
sa dure cheance et male adventure, convertie
en la personne de son adversaire, c'est assavoir
du serviteur dessus dit, en joye non pareille,
déduit, solaz et lyesse très accomplie.
Et veez cy la fasson. Le pouvre mary, voyant
sa femme ung peu muser et ententivement
penser, et ne savoit à qui ne à quoy, la regardoit
160trèsfort, puis l'une puis l'autre des femmes
de leans, et aucunes foiz par la chambre.
Tant regarda sans mos dire qu'il perceut
d'adventure au pié de la couchette ung bahu
qui estoit à sa femme. Et affin de la faire parler
et l'oster hors de son penser, demanda de
quoy servoit ce bahu en la chambre, et à
quel propos on ne le portoit point en la garderobe
ou en quelque aultre lieu, sans en
faire leans parement. «Il n'y a point de peril,
Monseigneur, ce dit madamoiselle; ame ne
vient icy que nous; aussi je l'y ay fait laissier
tout à propos pour ce qu'encores sont aucunes
de mes robes dedans; mais n'en soiez jà
mal content, mon amy; ces femmes l'osteront
tantost.—Mal content! dit-il; nenny, par ma
foy; je l'ayme autant icy que ailleurs, puis
qu'il vous plaist; mais il me semble bien petit
pour y mettre voz robes bien à l'aise, sans les
froisser, attendu les grandes et longues queues
qu'on fait aujourd'huy.—Par ma foy, Monseigneur,
dit-elle, il est assez grand.—Il ne
le me peut sembler vraiement, dit-il, et le
regardez bien.—Or ça, Monseigneur, voulez
faire un gage à moy?—Oy vraiement,
dit-il, quel sera-il?—Je gageray à vous, s'il
vous plaist, pour une demye douzaine de bien
fines chemises encontre le satin d'une cotte
simple, que nous vous bouterons bien dedans
tout ainsy que vous estes.—Par ma foy, dit-il,
je gage que non.—Et je gage que si.—Or
avant, ce dirent les femmes, nous verrons
qui le gaignera.—A l'esprouver le scera l'on,
161dit monseigneur.» Et lors s'avance et fist tirer
du bahu les robes qui dedans estoient; et
quand il fut vuide, madamoiselle et ses femmes
à quelque peine firent tant que monseigneur
fut dedans tout à son aise. Et à cest
cop fut grande la noise, et autant joyeuse,
et madamoiselle alla dire: «Or, monseigneur,
vous avez perdu la gaigeure, vous le congnoissez
bien, faictes pas?—Ma foy, oy, dit-il,
c'est raison.» Et, en disant ces parolles, le
bahu fut fermé, et tout jouant, riant et esbatant,
prindrent toutes ensemble et homme et
bahu, et l'emportèrent en une petite garderobe
assez loing de la chambre, et là le laissèrent.
Et il crye et se demaine, faisant grand
noise; mais c'est pour néant, car il fut là laissé
toute la belle nuyt, pense, dorme, face du
mieulx qu'il peut: car il est ordonné par madamoiselle
et son estroit conseil qu'il n'en partira
meshuy, pource qu'il a tant empesché le
lieu de celuy qu'elle ayme beaucop mieulx que
luy. Pour retourner à la matière de nostre
propos encommencé, nous lairrons nostre
nomme ou bahu, et dirons de madamoiselle,
qui attendoit son serviteur avec ses femmes,
qui estoient telles, si bonnes et si
secretes, que rien ne leur estoit celé de ses
affaires. Lesquelles savoient bien que le bien
amé serviteur, si à luy ne tenoit, tiendra la
nuyt le lieu de celuy qui ou bahu fait maintenant
sa penitence. Ne demoura guères que
le bon serviteur, sans faire effroy ne bruyt,
vint hurter à la chambre; et au hurt qu'il fist
162on le cogneut tantost, et là fut bien qui le
bouta dedans. Il fut receu joyeusement et lyement,
et entretenu doulcement de madamoiselle
et sa compaignie, et ne se donna garde
qu'il se trouva tout seul avec sa dame, qui luy
compta bien au long la bonne fortune que
Dieu leur a donnée, c'est asavoir comment
elle fist la gageure à son mary d'entrer ou
bahu, comment il y entra, et comment elle
et ses femmes l'ont porté en une garderobe.
«Comment! ce dit le serviteur, je ne cuidoye
point qu'il fust céans; par ma foy, je pensoie,
moi, que vous eussiés trouvé aucune fasson
de l'envoier ou faire aller dehors, et que j'eusse
icy meshuy tenu son lieu.—Vous n'en yrez pas
pourtant dehors, dit-elle, il n'a garde de yssir
dont il est, et si a beau crier, il n'est ame de
nulz sens qui le puist oyr; et croiez qu'il y
demourra meshuy par moy; si vous le voulez
desprisonner, je m'en rapporte à vous.—Nostre
Dame, dist-il, s'il ne sailloit tant que je
l'en feisse oster, il aroit bel attendre.—Or
faisons donc bonne chère, et n'y pensons plus.»
Pour abréger, chacun se despoilla, et se couchèrent
les deux amans dedans le trèsbeau lit,
bras à bras, et firent ce pourquoy ilz estoient
assemblez, qui mieulx vault estre pensé des
lysans qu'estre noté de l'escripvant. Quant vint
au point du jour, le gentil serviteur se partit
de sa dame au plus secretement qu'il peut, et
vint à son logis dormir, j'espoire, ou desjeuner:
car de tous deux avoient besoin. Madamoiselle,
qui n'estoit pas mains subtille que sage
163et bonne, quand il fut heure, se leva et dist a
ses femmes: «Il sera desormais heure de oster
nostre prisonnier; je vois oyr qu'il dira et s'il
se vouldra mettre à finance.—Mettez tout sur
nous, ce dirent-elles, nous l'appaiserons bien.—Creez
que si feray-je», dit-elle. Et à ces motz
se seigne et s'en va; et comme non pensant
ad ce qu'elle faisoit, tout d'aguet et à propos
entra dedans la garderobe où son mary encores
estoit dedans le bahu clos. Et quant il l'oyt,
il commença à faire grand noise et crier à la
volée: «Qu'est cecy! me lairra l'on cy dedans?»
Et sa bonne femme, qui l'oyt ainsi demener,
respondit effrayement et comme craintivement,
faisant l'ignorante: «Emy! qu'est-ce là
que j'oy crier?—C'est moy, de par Dieu,
c'est moy, dit le mary.—C'est vous, dit-elle,
et dont venés vous à ceste heure?—Dont je
viens? dit-il; et vous le savez bien, madamoiselle,
il ne fault jà qu'on le vous die; mais
vous faictes de moy, au fort je feray quelque
jour de vous.» Et s'il eust enduré, ou osé, il se
fust très voluntiers courroucié et eust dit villannie
à sa femme. Et elle, qui le cognoissoit,
luy couppa la parolle et dist: «Monseigneur,
pour Dieu, je vous crye mercy; par mon serment,
je vous asseure que je ne vous cuidoie
pas icy à ceste heure; et creez que je ne vous
y eusse pas quis, et ne me sçay assez esbahir
dont vous venez à y estre encores: car je
chargé hier soir à ces femmes qu'elles vous
missent dehors, tandiz que je diroye mes heures,
et elles me dirent que si feroient elles. Et
164de fait l'une me vint dire que vous estiez dehors
et desjà allé en la ville, et que ne reviendriez
meshuy. Et à ceste cause, je me couchay
assez tost après sans vous attendre.—Saint
Jehan! dit-il, vous veez qu'est ce; or vous
avancez de moy tirer d'icy, car je suis tant las
que je n'en puis plus.—Cela feray-je bien,
monseigneur, dit-elle, mais ce ne sera pas
devant que vous n'ayez promis de moy paier
de la gaigeure qu'avez perdue; et pardonnez
moy toutesfoiz, car autrement ne le puis faire.—Et
avancez, de par Dieu, dit-il; je le paieray
voirement.—Et ainsi vous le promettez?—Oy,
par ma foy.» Et ce procès finy, madamoiselle
defferma le bahu et monseigneur yssit
dehors, lassé, froissé et traveillé. Et elle le
prend à braz et baise et accole tant doulcement
qu'on ne pourroit plus, en luy priant
pour Dieu qu'il ne soit point mal content. Et
le pouvre cocquard dit que non est-il, puisqu'elle
n'en savoit rien; mais il punyra trop
bien ses femmes, s'il y peut advenir. «Par ma
foy, monseigneur, dit-elle, elles se sont bien
vengées de vous; je ne doubte point que vous
ne leur ayez aucune chose meffait.—Non ay,
certes, que je sache, mais creez que le tour
qu'elles m'ont joé leur sera cher vendu.» Il n'eut
pas finé ce propos quand toutes ces femmes
entrèrent dedans, qui si très fort rioyent et de
si grand cueur qu'elles ne sceurent mot dire
grand pièce après. Et monseigneur, qui devoit
faire merveilles, quand il les vit rire en ce
point, ne se peut tenir de les contrefaire. Et
165madamoiselle, pour luy faire compaignie, ne
s'i faignoit point. Là veissez une merveilleuse
risée et d'un costé et d'aultre, mais celuy qui
en avoit le mains cause ne s'en pouvoit ravoir.
A chef de pièce ce passetemps cessa, et dist
monseigneur: «Mesdamoiselles, je vous mercye
beaucop de la courtoisie que m'avez ennuyt
faicte.—A vostre commendement, respondit
l'une, encores n'estes vous pas quitte: vous
nous avez fait et faictes tousjours tant de peine
et de meschef que nous vous avons gardé
ceste pensée; et n'avons aultre regret que plus
n'y avez esté. Et si n'eussions sceu de vray
qu'il n'eust pas bien pleu à madamoiselle, encore
y fussez vous; et prenez en gré.—Est-ce
cela? dit-il. Or bien, bien: vous verrez comment
il vous en prendra; et par ma foy je suis
bien gouverné, quand avec tout le mal que j'ay
eu l'on ne me fait que farser; et encores, qui
pis est, il me fault paier la cotte simple de satin.
Et vrayement je ne puis à mains que d'avoir
les chemises de la gaigeure, en recompensacion
de la peine qu'on m'a fait.—Il n'y a,
par Dieu, que raison, dirent les damoiselles;
nous voulons en ce estre pour vous, monseigneur,
et vous les arez; n'ara pas, madamoiselle?—Et
à quel propos, dit-elle? il a perdu
la gaigeure.—Dya, nous savons bien cela,
il ne les peut avoir de droit; aussi ne les demande-il
pas à ceste intencion, mais il les a
bien deservies en aultre manière.—A cela ne
tiendra-il pas, dit-elle, je feray voluntiers
finance de la toille; et vous, mesdamoiselles,
166qui tant bien procurez pour luy, vous prendrez
bien la peine de les coudre.—Oy vrayement,
oy, madamoiselle.» Comme ung chien qui ne
fault que escourre la teste au matin quand il
se lève qu'il ne soit prest, estoit monseigneur;
car il ne luy faillit que une secousse de verges
à nettoier sa robe et ses chausses qu'il ne fut
prest. Et ainsi à la messe s'en va, et madamoiselle
et ses femmes le suyvent, qui faisoient
de luy, je vous asseure, grans risées; et creez
que la messe ne se passa pas sans foison de
ris soudains, quand il leur souvenoit du giste
que monseigneur a fait ou bahu, lequel ne le
scet, encores qui fut celle nuyt enregistré ou
livre qui n'a point de nom. Et si n'est que
vienne d'aventure ceste histoire entre ses
mains, jamais n'en ara, si Dieu plaist, la
cognoissance, ce que pour rien je ne vouldroye.
Si prye aux lisans qui le cognoissent
qu'ilz se gardent bien de luy monstrer.
Se au temps du trèsrenommé et éloquent
Boccace l'adventure dont je
veil fournir ma nouvele fust advenue
et à son audience ou cognoissance
parvenue, je ne doubte point qu'il ne
167l'eust adjoustée et mise ou reng du compte
des nobles hommes mal fortunez. Car je ne
pense pas que noble homme eust jamais pour
ung coup guères fortune plus dure à porter
que le bon seigneur, que Dieu pardoint, dont
je vous compteray l'adventure. Et se sa male
fortune n'est digne d'estre ou dit livre de Boccace,
j'en fais juges tous ceux qui l'orront
racompter. Le bon seigneur dont je vous parle
fut en son temps ung des beaulx princes de
son royaulme, garny et adressié de tout ce
qu'on saroit loer et priser en ung noble homme.
Et entre aultres ses proprietez, il estoit tel
destiné que entre les dames jamais homme ne
le passa de gracieuseté. Or luy advint que,
au temps que ceste sa renommée et destinée
florissoit, et qu'il n'estoit bruyt que de luy,
Amours, qui sème ses vertuz où mieux luy
plaist et bon luy semble, fist allyance à une
belle fille, jeune, gente, gracieuse et en bon
point en sa fasson, ayant bruyt autant et plus
que nulle de son temps, tant par sa grande
et non pareille beaulté comme par ses trèsloables
meurs et vertus; et qui pas ne nuysoit
au jeu, tant estoit en la grace de la
royne du pays qu'elle estoit son demy lit,
les nuyz que point ne couchoit avec le roy.
Ces amours que je vous dy furent si avant
conduictes qu'il ne restoit que temps et lieu
pour dire et faire, chascun à sa partie, la
chose au monde que plus luy pourroit plaire.
Ilz ne furent pas pou de jours pour adviser et
elire lieu et place convenables ad ce faire;
168mais en la fin celle qui ne desiroit pas mains
le bien de son serviteur que la salvacion de
son ame, s'advisa d'un bon tour, dont tantost
l'avertit, disant ce qui s'ensuit: «Mon trèsloyal
amy, vous savés comment je couche
avec la royne, et que nullement m'est possible,
si je ne vouloie tout gaster, d'abandonner
cest honneur et avancement, dont la plus femme
de bien de ce royaume se tiendroit pour bien
eureuse et honorée; combien que par ma foy
je vous vouldroye complaire, et faire autant
de plaisir et d'aussi bon cueur que à elle. Et
qu'il soit vray, je le vous monstreray de fait,
toutesfoiz sans abandonner celle qui me fait
et peut faire tout le bien et l'onneur du monde.
Je ne pense pas aussi que vous voulsissez que
autrement je feisse.—Non, par ma foy,
m'amye, respondit le bon seigneur; mais toutesfoiz,
je vous prie qu'en servant vostre maistresse,
vostre loyal serviteur ne soit point arrière
du bien que faire lui povez, qui ne luy
est pas maindre que mieux y vouldroit et desire
parvenir que gaigner le surplus du monde.—Veezcy
que je vous feray, dit-elle, monseigneur;
la royne a une levrière, comme vous
savez, dont elle est beaucop assotée, et la
fait coucher en sa chambre; je trouveray fasson
ennuyt de l'enclorre hors de la chambre
sans qu'elle en sache rien; et quand chacun
sera retrait, je feray ung sault jusques en la
chambre de parement, et deffermeray l'huys,
et le lairray ouvert. Et quand vous penserez
que la royne sera couchée, vous viendrez
169tout secrètement, et entrerez en la dicte chambre
et fermerez l'huys; vous y trouverez la
levrière, qui vous cognoist assez, si se lairra
bien approucher de vous; vous la prendrez
par les oreilles et la ferez bien hault crier; et
quand la royne l'orra, elle la cognoistra tantost;
si ne me doubte point qu'elle ne me face
lever incontinent pour la mettre dedans. Et
en ce point viendray-je vers vous; si n'y faillez
point si jamais vous voulez parler à moy.—Ha!
ma trèschère et loyale amye, dit monseigneur,
je vous mercye tant que je puis,
pensez que je n'y fauldray pas.» Et à tant se
part et s'en va, et sa dame aussi, chacun
pensant et désirant d'achever ce qui est proposé.
Qu'en vauldroit le long compte? La levrière
se cuida rendre, quand il fut heure, en
la chambre de sa maistresse, comme elle avoit
accoustumé, mais celle qui l'avoit condemnée
dehors la fist retraire, en la chambre au plus
près. Et la royne se coucha sans ce qu'elle
s'en donnast garde; et assez tost après luy vint
faire compaignie la bonne damoyselle, qui n'attendoit
que l'heure d'oyr crier la levrière et la
semonce de bataille. Ne demoura guères que
le gentil seigneur se mist sur les rengs, et tant
fist qu'il se trouva en la chambre où la levrière
se dormoit. Il la quist tant au pié et à la main
qu'il la trouva, et puis la print par les oreilles,
et la fist hault crier deux ou trois foiz. Et la
royne, qui l'oyt, congneut tantost que c'estoit
sa levrière, et pensa qu'elle vouloit estre dedans;
si appela sa damoiselle et dist: «M'amye,
170veezla ma levrière qui se plaint là hors;
levez vous, si la mettez dedans.—Voluntiers,
madame», ce dist la damoiselle, et jasoit qu'elle
attendist la bataille dont elle mesme avoit
l'heure et le jour assigné, si ne s'arma elle
que de sa chemise; et en ce point s'en vint à
l'huys et l'ouvrit, où tantost luy vint à l'encontre
celuy qui l'attendoit. Il fut tant joyeux
et tant surprins, quant il vit sa dame si belle
et en si bon point, qu'il perdit force, sens et
advis; et ne fut oncques en sa puissance de
tirer sa dague pour esprouver et savoir s'elle
pourroit prendre sur ses cuirasses. Trop bien
de baiser, d'accoler, de manier le tetin, et le
surplus, faisoit-il assez diligence, mais du
parfait, nichil! Si fut force à la gente damoiselle
qu'elle retournast sans luy laisser ce que
avoir ne povoit se par force d'armes ne le
conquéroit. Et ainsi qu'elle se vouloit partir,
il la cuidoit retenir par force et par belles
parolles, mais elle n'osoit demourer, si luy
ferma l'huys au visage et s'en revint par devers
la royne, qui luy demanda s'elle avoit mise
sa levrière dedans. Et elle dit que non, car
oncques ne l'avoit sceu trouver, et si avoit
beaucop regardé. «Or bien, dit la roine, toujours
l'ara-on; couchez vous.» Le pouvre
amoureux estoit à celle heure, Dieu scet! bien
mal content, qui se voit ainsy deshonoré et
adnéanty; et si cuidoit auparavant bien tant
en sa force qu'en mains d'heure qu'il n'avoit
esté avecques sa dame il en eust bien combatu
telles troys, et venu au dessus d'elles à
171son honneur. Au fort il reprint courage et dit
bien à soy mesmes, s'il est jamais si eureux
que de trouver sa dame en si belle place, elle
ne partiroit pas comme elle a fait l'aultre fois.
Et ainsi animé et aguillonné de honte et de
désir, il reprend la levrière par les oreilles, et
la tira si rudement, tout courroucé qu'il estoit,
qu'il la fist crier beaucop plus hault qu'elle
n'avoit fait devant. Si hucha arrière à ce cry
la royne sa damoiselle, qui revint ouvrir l'huys
comme devant, mais elle s'en retourna devers
sa maistresse sans conquester ne plus ne
mains qu'elle fit à l'autre foiz. Or revint à la
tierce foiz que ce pouvre gentilhomme faisoit
tout son pouvoir de besoigner comme il avoit
le desir, mais au deable de l'omme s'il peut
oncques trouver manière de fournir une pouvre
lance à celle qui ne demandoit aultre chose,
et qui l'attendoit de pié coy. Et quand elle
vit qu'elle n'aroit point son panier percé, et
qu'il n'estoit pas à l'aultre de seulement mettre
sa lance en son arrest, quelque avantage
qu'elle luy feist, tantost cogneut qu'elle aroit
à la jouste failly, dont elle tint beaucop mains
de bien du jousteur. Elle ne voulut n'osa là
plus demourer, pour acquest qu'elle y feist;
si voulut entrer en la chambre, et son amy la
retiroit à force et disoit: «Helas! m'amye,
demourez encores ung peu, je vous en prie.—Je
ne puis, dit-elle, je ne puis, laissez moy
aler; je n'ay que trop demouré pour chose
que j'aye prouffité.» Et à tant se retourne
vers la chambre, et l'autre la suyvoit, qui la
172cuidoit retenir. Et quand elle vit ce, pour le
bien payer, et la royne contenter, elle alla
dire tout en haut: «Passez, passez, orde
caigne que vous estes; par Dieu, vous n'y entrerez
meshuy, meschante beste que vous estes.»
Et en ce disant, ferma l'huys. Et la
royne, qui l'oyt, demanda: «A qui parlez vous,
m'amye?—C'est à ce paillard chien, madame,
qui m'a fait tant de peine de le querir;
il s'estoit bouté soubz ung banc là dedans et
caiché tout de plat le museau sur la terre, si
ne le savoye trouver. Et quand je l'ay eu
trouvé, il ne s'est oncques daingné lever,
quelque chose que luy aye fait. Je l'eusse
trèsvoluntiers bouté dedans, mais il n'a oncques
daigné lever la teste; si l'ay laissé là
dehors tout par despit et fermé l'huys à son
visage.—C'est trèsbien fait, m'amye, dit la
royne, couchez vous, couchez vous, si dormirons.»
Ainsi que vous avez oy, fut trèsmal
fortuné ce gentil seigneur; et pour ce qu'il
ne peut, quand sa dame voulut, je tien, moy,
quand il eust depuis bien la puissance à commendement,
le vouloir de sa dame fut hors de
ville.
N'a pas cent ans d'huy que ung gentilhomme
de ce royaume voulut savoir
et esprouver l'aise qu'on a en
mariage; et, pour abreger, fist tant
que le très desiré jour de ses nopces fut venu.
Après les bonnes chères et aultres passetemps
accoustumez, l'espousée fut couchée,
et il a chef de pièce la suyvit et se coucha au
plus près d'elle, et sans delay bailla l'assault
incontinent à sa forteresse, et tellement qu'en
peu d'heure, quelque meschef que ce fust, il
entra ens et la gaigna; mais vous devez entendre
qu'il ne fist pas ceste conqueste sans faire
foison d'armes qui longues seroient à racompter,
car ainçois qu'il venist au donjon du chastel,
et force luy fut de gaigner et emporter
boulevars, baillés, et aultres plusieurs fors
dont la place estoit bien garnye, comme celle
qui jamais n'avoit esté prinse, dont fust encores
nouvelle, et que nature avoit mis en defense.
Quand il fut maistre de la place, il rompit
seulement une lance, et lors cessa l'assault
et ploya l'œuvre. Or ne fait pas à oublier que
la bonne damoiselle, qui se vit en la mercy
de ce gentilhomme son mary, qui desjà avoit
fourragié la pluspart de son manoir, luy voulut
174monstrer ung prisonnier qu'elle tenoit en
ung trèssecret lieu encloz et enserré; et pour
parler plain, elle se delivra, cy prins cy mis,
après ceste première course, d'ung trèsbeau
filz, dont le pouvre mary se trouva si honteux
et tant esbahy qu'il ne savoit sa manière si non
de soy taire. Et pour honesteté et pitié de ce
cas, il servit la mère et l'enfant de ce qu'il savoit
faire. Mais créez que la pouvre gentil femme
à cest coup gecta ung bien hault et dur cry,
qui de pluseurs fut clerement oy et entendu,
qui cuidoient à la vérité qu'elle gectast ce cry
à la despuceller, comme c'est la coustume en
ce royaume. Pendant ce temps, les gentilzhommes
de l'ostel où ce nouvel marié demouroit
vindrent hurter à l'huys de ceste chambre
et apportèrent le chaudeau; ilz hurtèrent beaucop
sans ce que ame respondist. L'espousée en
estoit bien excusée, et l'espousé n'avoit pas
cause de trop hault caqueter: «Et qu'est ce
cy? dirent-ilz, et n'ouvrirez-vous pas l'huys?
Par ma foy, si vous ne vous hastez, nous le romperons;
le chaudeau que nous vous apportons
sera tantost tout froit.» Et lors commencèrent
à rehurter de plus belle. Et le nouveau maryé
n'eust pas dit ung mot pour cent francs, dont
ceulx de dehors ne savoient que penser, car il
n'estoit pas muet de coustume. Au fort il se
leva, et print une robe longue qu'il avoit, et
laissa ses compaignons entrer dedans, qui
tantost demandèrent si le chaudeau estoit gaigné;
et qu'ilz l'apportoient à l'adventure. Et
lors fut ung d'entre eulx qui couvrit la table et
175mist le beau bancquet dessus, car ilz estoient
en lieu pour ce faire, et où rien n'estoit espergné
en tel cas et aultres semblables. Ilz s'assirent
tous au menger, et bon mary print sa
place en une chaize à doz assez près de son
lit, tant simple et tant piteux qu'on ne le vous
sauroit dire. Et quelque chose que les aultres
dissent, il ne sonnoit pas ung mot, mais se tenoit
comme une droite statue ou une ydole
en quetaille: «Et qu'est cecy? dit l'un, et ne
prenez vous point garde à la bonne chère que
nous fait nostre hoste? encores a-il à dire ung
seul mot.—A dya, dit l'autre, ses bourdes
sont rabaissées.—Par ma foy, dit le tiers,
mariage est chose de grant vertu: regardez
quand pour une heure qu'il a esté marié il a jà
perdu la force de sa langue! S'il l'est jamais
longuement, je ne donneroye pas maille du surplus.»
Et à la verité dire, il estoit auparavant
ung trèsgracieux farseur, et tant bien luy séoit
que merveilles; et ne disoit jamais une parolle
puis qu'il estoit de gogues qu'elle n'apportast
sa risée avec elle; mais il en est à ceste heure
bien rebouté. Ces gentilzhommes buvoient
d'autant et d'autel, et à l'espousé et à l'espousée,
mais au dyable des deux s'il avoit fain de
boire; l'un enragoit tout vif et l'aultre n'estoit
pas mains en malaise: «Je ne me cognois en
ceste manière, dist ung gentil homme, il nous
fault festoier de nous mesmes. Je ne vy jamais,
moy, homme de si hault esternu si tost rassis
pour une femme; j'ay veu qu'on n'oyst pas
Dieu tonner en une compaignie où il fust;
176et il se tient plus coy que ung feu couvert.
A dya! ses haultes parolles sont bien bas entonnées
maintenant.—Je boy à vous, noz
amys», disoit l'autre. Mais il n'estoit pas plegé:
car il jeunoit de boire, de menger, de
bonne chère faire, et de parler. Non pourtant
à chef de pièce, quand il eust bien esté ramponné
sur ce et rigolé de ses compaignons,
et, comme ung sanglier mis aux abaiz de tous
coustez, il dit: «Messeigneurs, quant je vous
ay bien entendu qui me semonnez de parler,
je veil bien que vous sachez que j'ay bien
cause de beaucop penser, et de me taire trèstout
coy; et si suis seur qu'il n'y a nul de vous
qui n'en fist autant s'il en avoit le pourquoy
comme j'ay. Et par la mort bieu, se j'estoie
aussi riche que le roy, que monseigneur, et
que tous les princes chrestians, si ne saroys-je
fournir ce que m'est apparent d'avoir à entretenir:
véezcy pour un pouvre coup que j'ay
accollée ma femme elle m'a fait ung enfant.
Or regardez, si à chacune foiz que je recommenceray
elle en fait autant, de quoy je pourray
nourrir le mesnage?—Comment! ung enfant?
dirent ses compaignons.—Voire, vrayement
ung enfant, dit-il; véezcy de quoy,
regardez.» Et lors se tourne vers son lit et
lève la couverture et leur monstre et la mère
et l'enfant. «Tenez, dit-il, véezla la vache
et le veau, suis-je pas bien party?» Pluseurs
de la compaignie furent bien esbahiz et pardonnèrent
à leur hoste sa simple chère; et
s'en allèrent chacun à sa chacune. Et le pouvre
177nouveau marié habandonna ceste première
nuyt la nouvelle acouchée, et, doubtant que
elle n'en fist une aultre foiz autant, oncques
depuis ne s'y trouva.
Il est vray comme l'Euvangile, que
trois bons marchans de Savoye se
mirent à chemin avecques leurs trois
femmes pour aller en pélerinage à
Saint Anthoine de Viennois; et pour y aller
plus devotement et rendre à Dieu et à monseigneur
saint Anthoine leur voyage plus
agréable, ilz conclurent entre eulx et avec leurs
femmes, dès le partir de leurs maisons, que
tout le voyage ilz ne coucheroient pas avec
elles, mais en continence yront et viendront.
Ilz arrivèrent ung soir en la ville de Chambery,
et se logèrent à ung trèsbon logis, et firent
au souper trèsbonne chère, comme ceulx qui
avoient trèsbien de quoy, et qui trèsbien le
sceurent faire; et croy et tiens fermement que
si n'eust esté le veu du voyage, que chacun
d'eulx eust couché avec sa chacune. Toutefoiz
ainsi n'en advint pas, car quand il fut heure
de soy retraire, les femmes donnèrent la bonne
nuyt à leurs mariz et les laissèrent, et se boutèrent
en une chambre au plus près, où elles
178avoient fait couvrir chacune son lit. Or devez
vous savoir que ce soir propre arrivèrent léans
trois cordeliers qui s'en alloient à Genève, qui
furent ordonnez à coucher en une chambre non
pas trop loingtaine de la chambre aux marchandes.
Lesquelles, puis qu'elles furent entre
elles, commencèrent à deviser de cent mille
propos, et sembloit, pour trois qu'il y en avoit,
de quoy on oyoit la noise qu'il suffiroit oir d'un
quarteron. Ces bons cordeliers, oyans ce bruit
de femmes, saillirent de leur chambre sans
faire effroyt ne bruit, et tant approuchèrent
de l'huys sans estre oiz, qu'ilz perceurent par
les pertus ces trois belles damoiselles, qui se
couchèrent chacune à part elle en ung beau
lit assez grand et large pour le deuxième recevoir
d'aultre cousté; puis se revirent, et entendirent
leurs maris qui se couchoient en l'autre
chambre. Cela fait, ils rentrèrent en leur
chambre, et puis dirent que fortune et honneur
à ceste heure leur court sus, et qu'ilz ne
sont pas dignes d'avoir jamais bonne adventure,
si ceste, qu'ilz n'ont pas pourchassée, par
lascheté leur eschappoit. «De fait, dit l'un, il
ne fault aultre deliberacion en nostre fait; nous
sommes trois et elles trois, chacun prenne sa
place quand elles seront endormies.» S'il fut
dit, aussi fut il fait; et si bien vint à ces bons
frères qu'ilz trouvèrent la clef de la chambre
aux femmes dedans l'huys; si l'ouvrirent si
très souef qu'ilz ne furent de ame oiz. Ils ne
furent pas si folz, quand ilz eurent gaigné ce
premier fort, pour plus seurement assaillir l'autre,
179qu'ilz ne tirassent la clef dedans et resserrèrent
trèsbien l'huys; et puis après, sans
plus enquerre, chacun print son quartier, et
commencèrent à besoigner chacun du mieux
qu'ilz peurent. Mais le bon fut car l'une cuydant
avoir son mary parla et dist: «Et que
voulez-vous faire, ne vous souvient il de vostre
veu?» Et le bon cordelier ne disoit mot,
mais faisoit ce pour quoy il vint de si grand
cueur, qu'elle ne se peut tenir de luy aider à
parfournir. Les aultres deux, d'aultre part,
n'estoient pas oiseux; et ne savoient que penser
ces bonnes femmes, qui mouvoit leurs mariz
de si tost rompre et casser leur promesse.
Neantmains toutesfoiz, elles qui doivent obéir,
le prindrent bien en patience, sans dire mot,
chacune doubtant d'estre oye de sa compaigne,
car il n'y avoit celle à la vérité qui ne
cuidast ce bien avoir seulle et emporter. Quand
ces bons cordeliers eurent tant fait que plus
ne povoient, ilz se partirent sans dire mot, et
retournèrent en leur chambre, chacun comptant
son adventure. L'ung avoit rompu trois
lances, l'aultre quatre, l'aultre six. Oncques
gens ne furent tant eureux. Ilz se levèrent par
matin, pour toute seureté, et tirèrent pays. Et
ces bonnes femmes, qui pas n'avoient toute la
nuyt dormy, ne se descouchèrent pas trop
matin, car sur le jour sommeil les print, qui
les fist lever sur le tard. D'aultre costé leurs
maris, qui avoient assez bien beu le soir, et
qui s'attendoient à l'appeau de leurs femmes,
dormoyent au plus fort à l'heure que ès aultres
180jours avoient jà cheminé deux lieues. Au fort
elles se levèrent après le repos du matin, et s'abillèrent
au plus roidde qu'elles peurent, non
point sans parler. Et entre elles celle qui avoit
la langue plus preste ala dire: «Entre vous,
mes damoiselles, comment avez-vous passé la
nuyt? Voz mariz vous ont ilz reveillées comme
a fait le mien? Il ne cessa ennuyt de faire
la besoigne.—Saint Jehan! dirent-elles, si
vostre mary a bien besoigné ennuyt, les nostres
n'ont pas esté oyseux; ilz ont tantost oublié
ce qu'ilz promisrent au partir, et creez
qu'on ne leur oblyra pas à dire.—J'en adverty
trop bien le mien, dist l'une, quand il commença,
mais il n'en laissa oncques pourtant
l'euvre: car, comme ung homme affamé, pour
deux nuiz qu'il a couché sans moy, il a fait
rage de diligence.» Quand elles furent prestes,
elles vindrent trouver leurs mariz, qui desjà
estoient comme tous prestz et en pourpoint:
«Bon jour, bon jour à ces dormeurs, dirent-elles.—La
vostre mercy, dirent-ilz, qui nous
avez si bien huchez.—Ma foy, dit l'une,
nous avions plus de regret à vous appeller
matin que vous n'avez fait ennuyt de conscience
de rompre et casser vostre veu.—Quel veu?
dit l'un.—Le veu que vous feistes au partir,
dit-elle, de point coucher avec vostre femme.—Et
qui y a couché? dit-il.—Vous le savez
bien, dit-elle, et aussi fais-je.—Et moy aussi,
dit sa compaigne; véez là mon mary, qui ne fut
pieça si rude qu'il fut la nuyt passée; et s'il
n'éust si bien fait son devoir je ne seroye pas
181si contente de la ronteure de son veu; mais au
fort je le passe, car il a fait comme les jeunes
enfans, qui voulent emploier leur bature quant
ilz ont deservy le punir.—Saint Jehan! si a
fait le mien, dit la tierce, mais au fort je n'en
feray jà procès; si mal y a, il en est cause.—Et
je tien par ma foy, dit l'un, que vous radoubtez,
et que vous estez yvres de dormir.
Quant est de moy, j'ay icy couché tout seul
et n'en party ennuyt.—Non ay-je moy, dit
l'aultre.—Ne moy, par ma foy, dit le tiers;
je ne voudroye pour rien avoir enfraint mon
veu. Et si cuide estre seur de mon compère,
qui cy est, et de mon voisin, qu'ilz ne l'eussent
pas promis pour si tost l'oblier.» Ces
femmes commencèrent à changer coleur, et se
doubtèrent de tromperie, dont l'un des mariz
d'elles tantost se donna garde, et luy jugea le
cueur la verité du fait. Si ne leur bailla pas induce
de respondre; ainçois, faisant signe à
ses compaignons, dist en riant: «Par ma foy!
mes damoiselles, le bon vin de séans et la
bonne chière du soir passé nous ont fait oublier
nostre promesse; si n'en soyez jà mal
contentes. A l'adventure, se Dieu plaist, nous
avons fait ennuyt, à vostre ayde, chascun ung
bel enfant, qui est chose de si hault merite
qu'elle sera suffisante d'effacer la faulte du cassement
de nostre veu.—Or, Dieu le veille,
dirent-elles. Mais ce que si affermement disiez
que n'aviez pas esté vers nous nous a fait ung
petit doubter.—Nous l'avons fait tout au
propos, dit l'autre, affin d'oyr que vous diriez.—Et
182vous avez double peché, comme
de faulser vostre veu et de mentir à escient,
et nous mesmes avez beaucop troublées.—Ne
vous chaille non, dit-il, c'est pou de chose,
mais allez à la messe et nous vous suivrons.»
Elles se mirent au chemin devers l'eglise, et
leur mariz ung pou demourèrent sans les suyvir
trop raidde, puis dirent tous ensemble,
sans en mentir de mot: «Nous sommes trompez,
ces dyables de cordeliers nous ont deceuz;
ilz se sont mis en nostre place et nous ont
monstré nostre folie, car, si nous ne voulions
pas coucher avec noz femmes, il n'estoit jà
mestier de les faire coucher hors de nostre
chambre; et s'il y avoit dangier de lictz, la belle
paillasse est en saison.—Dya! dit l'ung d'eulx,
nous en sommes chastiez pour une aultre foiz;
et au fort il vault mieulx que la tromperie soit
seulement sceue de nous que de nous et d'elles,
car le dangier y est bien grand s'il venoit
à leur congnoissance. Vous oyez par leur confession
que ces ribaulx moynes ont fait merveilles
d'armes, et espoir plus et mieulx que
nous ne savons faire. Et s'elles le savoient, elles
ne se passeroient pas pour ceste foiz seulement;
s'en est mon conseil que nous l'avalons
sans mascher.—Ainsi m'aist Dieu, ce dit
le tiers, mon compère dit trèsbien; quant à
moy je rappelle mon veu, et n'ay pas intencion
de plus me mettre en ce dangier.—Puis que
vous le voulez, dirent les deux aultres, et
nous vous ensuyvrons.» Ainsi couchèrent tout
le voyage et femmes et mariz ensemble, dont
183ilz se gardèrent trop bien de dire la cause qui
ad ce les mouvoit. Et quand les femmes virent
ce, ce ne fut pas sans demander la cause de
ceste raherce; et ilz respondirent, par couverture,
puis qu'ilz avoient commencé de leur veu
entrerompre, il ne restoit que du parfaire.
Ainsi furent les trois marchans deceuz des trois
bons cordeliers, sans ce qu'il venist à la cognoissance
de celles qui bien en fussent mortes
de dueil s'elles en sceussent la vérité,
comme on en voit tous les jours morir de
maindre cas et à mains d'achoison.
Ung gentilhomme de ce royaume,
escuyer bien renommé et de grand
bruit, devint amoureux, à Rouen,
d'une trèsbelle damoiselle, et fist
toutes ses diligences de parvenir à sa grace.
Mais fortune luy fut si contraire, et sa dame si
peu gracieuse, qu'enfin il abandonna sa queste
comme par desespoir. Il n'eut pas trop grand
tort de ce faire, car elle estoit ailleurs pourveue,
non pas qu'il en sceust rien, combien
qu'il s'en doubtast, toutesfoiz celuy qui en
joissoit, qui chevalier et homme de grand
auctorité estoit, n'estoit pas si peu privé de
luy qu'il n'estoit guères chose au monde qu'il
ne se fust bien à luy descouvert sinon de ce
184cas. Trop bien luy disoit-il souvent: «Par ma
foy, mon amy, je veil bien que tu saches que
j'ay ung retour en ceste ville dont je suis beaucop
assoté; car quand je suis par force de traveil
si rebouté, qu'on ne tireroit point de moy
une lyeuette de chemin, si je me treuve vers
elle, je suis homme pour en faire trois ou quatre,
voire les deux tout d'une alaine.—Et
n'est-il requeste, ne prière, disoit l'escuier, que
je vous sceusse faire, que je sceusse tant seulement
le nom de celle?—Nenny, par ma foy,
dist l'autre, tu n'en sceras plus avant.—Or
bien, dist l'escuier, quand je seray si eureux
que d'avoir rien de beau, je vous seray aussi
pou privé que vous m'estes estrange.» Advint
ce temps pendant que ce bon chevalier le
prya de soupper au chasteau de Rouen, où il
estoit logé. Et il y vint, et firent trèsbonne
chère, et quand le soupper fut passé et aucun
pou de devises après, le gentil chevalier, qui
avoit heure assignée d'aller vers sa dame,
donna congé à l'escuier, et dit: «Vous savez
que nous avons beaucop demain à besoigner,
et qu'il nous fault lever matin pour telles matères,
et pour telles, qu'il fault expedier; c'est
bon de nous coucher de bonne heure, et pour
ce je vous donne la bonne nuyt.» L'escuier, qui
estoit subtil, ce voyant, se doubta tantost que
ce bon chevalier vouloit aller courre, et qu'il
se couvroit des besoignes de lendemain pour
luy donner congié, mais il n'en fist quelque
semblant, ainçois dist en prenant congié et
donnant la bonne nuyt: «Monseigneur, vous
185dictes bien, levez vous matin et aussi feray-je.»
Quand ce bon escuier fut en bas descendu, il
trouva une petite mulette au pié des degrez du
chasteau, et ne vit ame qui la gardast; et pensa
tantost que le page qu'il avoit encontré en
descendant alloit querir la housse de son maistre,
et aussi faisoit-il. «Ha! dit-il en soy mesmes,
mon hoste ne m'a pas donné congé de
si haulte heure sans cause; véezcy sa mulette
qui n'attent aultre chose que je soie en voye,
pour porter son maistre où l'on ne veult pas
que je soye. Ha! mulette, dist-il, si tu savoies
parler que tu diroies de bonnes choses;
je te pry que tu me maines où ton maistre
veult estre.» Et à cest coup il se fist tenir l'estrief
par son paige, et luy mist la rene sur le
col, et la laissa aller où bon luy sembla tout
le beau pas. Et la bonne mulette le mena par
rues et ruelles, deçà et delà, tant qu'elle se
vint arrester au devant d'un petit guichet qui
estoit en une rue oblicque où son maistre avoit
acoustumé de venir, qui estoit l'huys du jardin
de la damoiselle qu'il avoit tant amée et
par desespoir abandonnée. Il mist pié à terre,
et puis hurta ung petit coup au guichet, et
une damoiselle qui faisoit le guet par une
faulse treille, cuidant que ce fust le chevalier,
s'en vint en bas et ouvrit l'huys, et dist: «Monseigneur,
vous soiez bien venu, véezla madamoiselle
en sa chambre qui vous attend.»
Elle ne le congneut pas, pource qu'il estoit
tard, et avoit une cornette de veloux devant
son visage. Et le bon escuier respondit: «Je
186vois vers elle.» Et puis dit à son paige tout
bas en l'oreille: «Va t'en bien à haste, et remaine
la mulette où je la prins, et puis t'en va
coucher.—Si feray-je, monseigneur, dit-il.»
La damoiselle reserra le guichet, et s'en retourna
en sa chambre. Et nostre bon escuier,
trèsfort pensant à sa besoigne, marche trèsasseurement
vers la chambre où sa dame estoit,
laquelle il trouva desjà mise en sa cotte simple,
la grosse chayne d'or au col. Et comme
il estoit gracieux, courtois, et bien enparlé,
la salua bien honorablement, et elle, qui fut
tant esbahie que si cornes luy venissent, de
prinsault ne sceut que respondre, sinon à chef
de pièce elle luy demanda qu'il queroit léens,
et dont il venoit à ceste heure, et qui l'avoit
bouté dedans. «Madamoiselle, dit-il, vous
povez assez penser que si je n'eusse eu aultre
aide que moy mesmes je ne fusse pas icy;
mais la Dieu mercy, ung qui a plus grant pitié
de moy que vous n'avez encores eu, m'a fait
cest avantage.—Et qui vous y a amené, sire?
dit-elle.—Par ma foy, madamoiselle, je ne
le vous quier jà celer: ung tel seigneur, c'est
assavoir son hoste du soupper, m'y a envoié.—Ha!
dit-elle, le traistre et desloyal chevalier
qu'il est, se trompe-il en ce point de moy?
Or bien, bien, j'en seray vengée quelque jour.—Ha!
madamoiselle, ce n'est pas bien dit à
vous, car ce n'est pas traïson de faire plaisir à
son amy, et luy faire secours et service quand
on le peut faire. Vous savez bien la grand
amytié qui est de pieça entre luy et moy, et
187qu'il n'y a celuy qui ne dye à son compaignon
tout ce qu'il a sur le cueur. Or est ainsi qu'il
n'y a pas long temps que je luy comptay et
confessay tout le long la grant amour que je
vous porte, et que à ceste cause je n'avoie un
seul bien en ce monde; et si par aucune fasson
je ne parvenoye à vostre bonne grace, il
ne m'estoit pas possible de longuement vivre
en ce doloreux martire. Quand le bon seigneur
a cogneu à la verité que mes parolles n'estoient
pas faintes, doubtant le grant inconvenient qui
m'en pourroit sourdre, a esté bien content de
moy dire ce qui est entre vous deux; et ayme
mieulx vous abandonner en me sauvant la vie,
qu'en me perdant maleureusement vous entretenir.
Et si vous estiez telle que vous devriez,
vous n'eussez pas tant attendu de bailler confort
et garison à moy vostre obéissant serviteur,
qui savez certainement que je vous ay
loyaument servie et obéye.—Je vous requier,
dit-elle, que vous ne me parlez plus de cela,
et si vous en allez d'icy. Maudit soit celuy qui
vous y fist venir!—Savez-vous qu'il y a, madamoiselle?
dit-il; ce n'est pas mon intencion
de partir d'icy qu'il ne soit demain.—Par ma
foy, dit-elle, si ferez tout maintenant.—Par
la mort bieu, non feray, car je coucheray avec
vous.» Quand elle vit que c'estoit à bon escient
et qu'il n'estoit pas homme pour enchacier
par rudes parolles, elle luy cuida donner
congié par doulceur, et dist: «Je vous prie
tant que je puis, allez vous en pour meshuy;
et par ma foy une aultre foiz je feray ce que
188vous vouldrez.—Dya, dit-il, n'en parlez plus,
car je coucheray céans.» Et lors commence
à soy despoiller, et prend la damoiselle et la
baise et la maine bancqueter, et fist tant, pour
abreger, qu'elle se coucha et luy d'emprès
elle. Ils n'eurent guères esté couchez, et plus
couru d'une lance, quand véezcy bon chevalier
qui va venir sur sa mullette, et vient hurter
au guichet. Et le bon escuier qui l'oyt le
cogneut tantost; si commence à grouiller, contrefaisant
le chien trèsfièrement.
Le chevalier, quant il l'oyt, fut bien esbahy, et autant courroucé. Si rehurte de plus belle très rudement au guichet, et l'autre de recommencer à grouiller plus fièrement que devant. «Qui est-ce là qui grouille? dist celui de dehors; par la mort bieu! je le sauray. Ouvrez l'huys, ou je le porteray en la place.» Et la bonne gentil femme, qui enrageoit toute vive, saillit à la fenestre, en sa chemise, et dist: «Estes-vous là, faulx chevalier et desloyal? Vous avez beau hurter, vous n'y entrerez pas.—Pourquoy n'y entreray-je pas? dit-il.—Pource, dit-elle, que vous estes le plus desloyal qui jamais femme accointast; et n'estes pas digne de vous trouver avecques gens de bien.—Madamoiselle, dist-il, vous blasonnez très bien mes armes! je ne sçay qui vous meut, car je ne vous ay pas fait desloyauté, que je sache.—Si avez, dist elle, et la plus grande que jamais homme fist à femme.—Non ay, par ma foy, mais dictes moy qui est là dedans.—Vous le savez bien, traistre mauvais, dit-elle, que vous estes.» 189Et à cest coup bon escuier qui ou lit estoit commença à groutter, contrefaisant le chien, comme par avant. «A dya, dist celuy de dehors, je n'entens point cecy; et ne sceray point qui est ce grouilleur?—Saint Jehan! si ferez», dist-il; et il sault sus d'emprès sa dame, et vint à la fenestre, et dist: «Que vous plaist-il, monseigneur? vous avez tort de nous ainsi reveiller.» Le bon chevalier, quand il cogneut qui parloit à luy, fut tant esbahy que merveilles. Et quand il parla il dist: «Et dont viens tu cy?—Je vien de soupper de vostre maison pour coucher céans.—A male faute», dit-il. Et puis adressa sa parole à la damoiselle et dist: «Mademoiselle, hebergez vous telz hostes céans?—Oy, monseigneur, dit-elle, la vostre mercy qui le m'avez envoyé.—Moy! dit-il; saint Jehan! il n'en est rien; je suys mesme venu pour y tenir ma place, mais c'est trop tard. Et au mains je vous prie, puis que je n'en puis avoir aultre chose, ouvrez moy l'huys, si buray une foiz.—Vous n'y entrerez jà, par Dieu! dit-elle.—Saint Jehan! si fera», dist l'escuier. Et lors descendit et ouvrit l'huys, et s'en vint recoucher, et elle aussi, Dieu scet bien honteuse et mal contente; mais il luy convenoit obeir pour ceste heure. Quand le bon seigneur fut dedans, et il eut alumé de la chandelle, il regarda la belle compaignie dedans le lict, et dist: «Bon preu vous face, madamoiselle, et à vous aussi, mon escuier.—Bien grand mercy, monseigneur», dist il. Mais la damoiselle, qui plus ne povoit 190si le cueur ne luy sailloit du ventre, ne peut oncques dire ung seul mot, et cuidoit tout certainement que l'escuier fust léans arrivé par l'advertissement et conduicte du chevalier; si luy en vouloit tant de mal qu'on ne le vous saroit dite: «Et qui vous a enseigné la voye de céans, mon escuier? dist le chevalier.—Vostre mulette, monseigneur, dist-il, que je trouvay en bas, au chasteau, quant j'eu souppé avecque vous; elle estoit là seule et esgarée, si luy demanday qu'elle attendoit, et elle me respondit qu'elle n'attendoit que sa housse et vous.—Et pour où aller? dis-je.—Où nous avons de coustume, dist-elle.—Je scay bien, dys-je, que ton maistre ne yra meshuy dehors, car il se va coucher; mais maine moy là où tu scez qu'il va de coustume, et je t'en prie.» Elle en fut contente, si montay sus, et elle m'adressa céans, la sienne bonne mercy.—Dieu mecte en mal an l'orde beste qui m'a encusé, dist le bon seigneur.—Ha! que vous le valez loyaument, monseigneur! dit la damoiselle, quant elle peut prendre la peine de parler. Je voy bien que vous trompez de moy, mais je veil bien que vous sachez que vous n'y arez guères d'honneur. Il n'estoit jà mestier, si vous n'y vouliez plus venir, d'y envoier aultruy soubs umbre de vous; mal vous cognoist qui oncques ne vous vit.—Par la mort bieu! je ne l'y ay pas envoyé, dist-il; mais puis qu'il y est, je ne l'en chasseray pas; et aussi il en y a assez pour nous deux; n'a pas, mon compaignon?—Oy, monseigneur, 191oy, dit-il, tout à butin, et je le veil; si nous fault boire du marché.» Et lors se tourna vers le dressouer, et versa du vin en une grant tasse qui y estoit, et dist: «Je boy à vous, mon compaignon.—Je vous plege, dit l'autre, mon compaignon», et puis fist verser de l'aultre vin à la damoiselle, qui ne vouloit nullement boire; mais en la fin, voulsit ou non, elle baisa la tasse. «Or ça, dist le gentil chevalier, mon compaignon, je vous lairray cy, besoignez bien, c'est vostre tour aujourdui, le mien sera demain, si Dieu plaist; si vous prie que vous me soiez aussi gratieux, quand vous m'y trouverez, que je vous suys maintenant.—Nostre dame, mon compaignon, si seray je, ne vous doubtez.» Ainsi s'en ala le bon chevalier, et là laissa l'escuier, qui fist le mieulx qu'il peut ceste première nuyt. Et advertit la damoiselle de tout point de toute la verité de son adventure, dont elle fut ung peu plus contente que si l'aultre l'y eust envoyé. Ainsi que avez oy fut la belle damoiselle deceue par la mulette, et contraincte d'obéir au chevalier et à l'escuier, chacun à son tour, dont en la fin elle s'accoustuma et trèsbien le print en patience. Mais tant de bien y eut, que si le chevalier et l'escuier s'entraimoyent bien par avant ceste adventure, l'amour d'entre eulx deux à ceste occasion en fut redublée, qui entre aucuns mal conseillez, eust engendré discort et mortelle hayne.
Affin que ne soye seclus du trèseureux
et hault merite deu à ceulx qui traveillent
et labourent à l'augmentacion
et accroissement des histoires
de ce present livre, je vous racompteray en
bref une adventure nouvelle par laquelle l'on
me tiendra pour acquitté d'avoir fourny la
nouvelle dont j'ay naguères esté sommé. Il est
notoire verité que en la ville d'Ostellerie, en
Casteloigne, naguères arrivèrent pluseurs frères
mineurs, qu'on dit de l'observance, eschassez
et deboutez par leur mauvais gouvernement
et faincte devocion du royaume
d'Espaigne. Et trouvèrent fasson d'avoir accès
et entrée devers le seigneur de la dicte
ville, qui desjà ancien et chargé d'ans estoit;
et tant firent, pour abreger, qu'il leur fonda
et fist une trèsbelle église et couvent, et les
maintint et entretint toute sa vie le mieulx qu'il
peut. Régna après son filz aisné, qui ne leur
fist pas mains de bien que son bon père. Et de
fait ilz prosperèrent en peu d'ans, si trèsbien
qu'ilz avoient suffisaument tout ce qu'on saroit
demander par raison en ung couvent de mandians.
Et affin que vous sachez qu'ilz ne furent
pas oyseux pendant le temps qu'ilz acquisrent
193ces biens, ilz se misrent à prescher tant en la
ville que par les villages voisins, et gaignèrent
tout le peuple, et tant firent qu'il n'estoit
pas bon crestian qui ne s'estoit à eulx confessé,
tant avoient grand bruyt et bon los de
bien savoir remonstrer aux pecheurs leurs defaultes.
Mais qui les loast et eust bien en
grace, les femmes estoient du tout données à
eulx, tant les avoienr trouvés sainctes gens de
grant charité et de profunde devotion. Or entendez
la deception mauvaise et horrible traison
que ces faulx ypocrites pourchassèrent à
ceulx et celles qui tant de biens de jour en
jour leur faisoient: ilz feirent entendre à toutes
les femmes generalement de la ville qu'elles
estoient tenues à Dieu de rendre le disme de
tous leurs biens, «comme au seigneur de telle
chose et de telle, à vostre parroisse et curé de
telle chose et telle; et à nous vous devez
rendre le disme du nombre des foiz que vous
couchez charnellement avecques voz mariz.
Nous ne prenons sur vous aultre disme, car,
comme vous savez, nous ne portons point
d'argent; et si n'en querons point, car il ne
nous est rien des biens temporelz et transitoires
de ce monde. Nous querons et demandons
seullement les biens espirtuelz. La disme que
nous devez et que nous vous demandons, elle
n'est pas des biens temporelz; elle est à cause
du saint sacrement que vous avez receu, qui
est une chose divine et espirituelle. Et de
celuy n'appartient à nul recevoir le disme que
à nous seullement, religieux de l'observance.»
194Les pouvres simples femmes, qui mieulx cuidoient
ces bons frères estre anges que hommes
terriens, ne refusèrent pas ce disme à paier.
Il n'y eust celle qui ne le paya à son tour, de
la plus haulte jusques à la maindre; mesmes
la dame du seigneur n'en fust pas excusée.
Ainsi furent toutes les femmes de la ville appaties
à ces vaillans moynes; et n'y avoit celuy
d'eulz qui n'eust à sa part de quinze à seize
femmes le disme à recevoir; et à ceste occasion,
Dieu scet les presens qu'ilz avoient d'elles,
tout soubz umbre de devocion. Ceste manière
de faire dura beaucop et longuement
sans qu'elle venist à la cognoissance de ceulx
qui se fussent bien passez de ceste disme nouvelle.
Elle fut toutesfoiz en la fin descouverte
en la manière qui s'ensuyt: Ung jeune homme
nouvellement marié fut prié de soupper à l'ostel
d'un de ses parens, et luy et sa femme;
et comme ilz retournoient de ce couvine, passans
par devant l'église des bons cordeliers
dessus ditz, la cloche de l'Ave Maria sonna
tout à ce coup, et le bon homme s'enclina sur
la terre pour dire ses devocions, et sa femme
luy dist: «S'il vous plaisoit, j'entreroye voluntiers
dedans ceste eglise pour dire ung Pater
noster et ung Ave Maria.—Que ferez-vous là
dedans à ceste heure? dist le mary; vous y reviendrez
bien quand il sera jour, demain ou
une aultre foiz.—Je vous requier, dit-elle,
que je y aille; par ma foy, je retourneray tantost.—Nostre
dame, dist-il, vous n'y entrerez
jà maintenant.—Par ma foy, dit-elle,
195c'est force, il m'y convient aller; je ne demoureray
rien; si vous avez haste d'aller à l'ostel,
allez tousjours devant, je vous suyvray tout à
ceste heure.—Picquez, picquez devant, dit-il,
vous n'y avez pas tant à faire; si vous voulez
dire Pater noster ne Ave Maria, il y a assez
place à l'ostel, et vous vauldra autant là le
dire que maintenant en ce moustier, où l'en ne
voit goute.—A dya! dit-elle, vous direz ce
qu'il vous plaira; mais, par ma foy, il fault necessairement
que j'entre ung petit dedans.—Et
pourquoy? dit-il; voulez-vous aller coucher
avecques les frères de léens?» Elle, qui
cuidoit à la vérité que son mary sceust bien
qu'elle payoit le disme, luy respondit: «Nenny,
je n'y veil pas aller coucher, mais je veil aller
payer.—Quoy paier? dit-il.—Vous le savez
bien, dit-elle, et si le demandez.—Que scay-je
bien? dit-il; je ne me mesle pas de voz debtes.—Au
mains, dit-elle, savez vous bien qu'il
me fault paier le disme.—Quel disme?—Ha
hors, dit-elle, c'est ung jamès; et le disme
de nuyt de vous et de moy; vous avez bon
temps, il fault que je le paye pour nous deux.—Et
à qui le payez vous? dit-il.—A frère
Eustace. Allez tousjours à l'ostel; si m'y laissez
aller que j'en soye quitte: c'est si grant
peché de ne le non point paier que je ne suis
jamais aise quand je luy doy rien.—Il est
meshuy trop tard, dit-il, il est couché passé
une heure.—Ma foy, ce dit-elle, je y ay esté
ceste année beaucop plus tard; puis qu'on
veult paier on y entre à toutes heures.—Allons,
196allons, dit-il, une nuyt n'y fait rien.»
Ainsi s'en retournèrent le mary et la femme mal
contens tous deux, la femme qu'on ne l'a pas
laissée paier son disme, et le mary, qui se
voit ainsi deceu, estoit tout esprins d'ire et
de maltalent, qui encores luy redoubloit sa
peine qu'il ne l'osoit monstrer. A chef de pièce
toutesfoiz, ilz se couchèrent; le mary, qui
estoit subtil, interroga sa femme de longue
main, si les aultres de la ville ne payoient
pas aussi bien ce disme qu'elle fait. «Quoy
donc? dit-elle; par ma foy, si font; quel privilége
aroyent elles plus que moy? Nous sommes
encores seze ou vingt qui le payons à
frère Eustace. Ha! il est tant devot! et créez
que ce luy est une grand peine et une bien
meritoire pacience. Frère Bertholomeu en a
autant ou plus, et, entre les aultres, madame
est de son nombre. Frère Jacques aussi en a
beaucop, et frère Anthoine aussi; il n'y a celuy
d'eulx qui n'ayt son nombre.—Saint Jehan,
dit le mary, ils n'ont pas œuvre laissée;
or cognois je bien qu'ilz sont beaucop plus devotz
qu'ilz ne semblent; et vrayement je les
veil avoir céans pour trestous l'un après l'autre
les festoier et oyr leurs bonnes devises.
Et pource que frère Eustace reçoit le disme
de céans, faictes que nous ayons demain bien
à disner, car je l'amainray.—Très voluntiers,
dit-elle; au mains ne me fauldra-il pas aller
en sa chambre pour payer; il le recevra bien
céans.—Vous dictes bien, dit-il; or dormons.»
Mais créez qu'il n'en avoit garde, et si
197luy tardoit beaucop qu'il fust jour; et en lieu
de dormir il pensa tout à son aise ce qu'il vouloit
à lendemain executer. Ce disner vint, et
frère Eustace, qui ne sçavoit pas l'intencion
de son hoste, fist assez bonne chère dessoubz
son chaperon. Et quand il véoit son point, il
prestoit ses yeulx à l'ostesse, sans espargner
par dessous la table le gracieux jeu des piez,
de quoy s'apercevoit et donnoit très bien garde
l'oste, sans en faire semblant, combien que ce
fust à son prejudice. Après les graces, il appela
frère Eustace, et luy dist qu'il luy vouloit
monstrer une ymage de Nostre Dame et une
belle oroison qui estoit en sa chambre; et il
respondit qu'il le verroit voluntiers. Ilz entrèrent
dedans, et l'oste ferma l'huys, et puis
saisit une grande hache, et dist à nostre cordelier:
«Par la mort bieu, beau père, vous
ne saulterez jamais d'icy sinon les piez devant,
se vous ne confessez verité.—Helas!
mon hoste, dist frère Eustace, je vous cry
mercy! et que me demandez-vous?—Je vous
demande, dit-il, le disme de la disme que
vous avez prins sur ma femme.» Quand le
cordelier oyt parler du disme, il se pensa bien
que ses besoignes n'estoient pas bonnes; si
ne sceut que respondre, sinon de crier mercy,
et de s'excuser le plus beau qu'il povoit: «Or
me dictes, dist l'oste, quel disme est ce que
vous prenez sur ma femme et sur les autres?»
Le pouvre cordelier estoit tant efferré qu'il
ne savoit parler, et ne respondoit mot. «Dictes
moy, dist l'oste, la chose comment elle
198va, par ma foy je vous lairray aller, et ne
vous feray jà mal; si non je vous tueray tout
roidde.» Quand l'autre se vit asseuré, il ayma
mieulx confesser verité et son peché et celuy
de ses compaignons et eschapper, que le celer
et tenir clos et estre en dangier de perdre sa
vie; si dist: «Mon hoste, je vous cry mercy,
je vous diray verité. Il est vray que mes compaignons
et moy avons fait accroire à toutes
les femmes de ceste ville qu'elles doivent le
disme des foiz que vous couchez avec elles;
elles nous ont creuz, si le payent et jeunes et
vieilles; puisqu'elles sont mariées, il n'en y a
pas une qui en soit excusée; madame mesmes
la paye comme les aultres, ses deux niepces
aussi, et generalement nulle n'en est exemptée.—Ha
dya, dist l'oste, puis que monseigneur
et tant de gens de bien le payent, je
n'en doy pas estre quitte, combien que je
m'en passasse bien. Or vous en allez, beau
père, par tel fin que vous me quitterez le disme
que ma femme vous doit.» L'autre ne fut oncques
si joyeux quand il se fut sauvé dehors, si
dist que jamais n'en demanderoit rien, comme
non fist-il, ainsi que vous orrez. Quand l'oste
du cordelier fut bien informé de sa femme et
de son dismeur de ceste nouvelle disme, il
s'en vint à son seigneur et luy compta tout du
long le cas du disme, comme il est touché sy
dessus. Pensez qu'il fut bien esbahy et dist:
«Oncques ne me pleurent ces papelars, et si
me jugeoit bien le cueur qu'ilz n'estoient pas
telz par dedens qu'ilz se monstroient par dehors.
199Ha maudictes gens qu'ils sont! maudicte
soit l'heure qu'onques monseigneur mon père,
à qui Dieu pardoint, les accoincta! Or sommes
nous par eulx gastez et deshonorez. Et encore
feront-ilz pis s'ils durent longuement.
Qu'est-il de faire?—Par ma foy, monseigneur,
dit l'autre, s'il vous plaist et semble
bon, vous assemblerez tous vos subjects de
cette ville: la chose leur touche comme à vous;
si leur declarez ceste adventure, et puis arez
advis avec eulx de pourveoir au remède, combien
que ce soit tard.» Monseigneur le voult;
si manda tous ses subjectz mariez tant seullement,
et ilz vindrent vers luy; et en la grand
sale de son hostel, il leur declara tout au long
la cause pourquoy il les avoit assemblez. Si
monseigneur fut bien esbahy de prinsault,
quand il sceut premier ces nouvelles, aussi furent
toutes ces bonnes gens qui là estoient.
Les uns disoient: Il les faut tuer; les aultres:
Il les fault pendre; les aultres: noyer. Les
aultres disoient qu'ilz ne pourroient croire que
ce fust verité, et qu'ilz sont trop devotz et de
saincte vie. Ainsi dirent longuement les unz
d'un et les aultres d'aultre. «Je vous diray,
dist le seigneur: nous manderons icy noz femmes,
et ung tel maistre Jehan, etc., lequel
fera une petite collacion, laquelle enfin cherra
à parler des dismes, et leur demandera au nom
de nous tous s'elles s'en acquictent, car nous
voulons qu'elles soient paiées; nous orrons
leur response.» Et après advis sur cela, ilz
s'accordèrent tous au conseil et à l'oppinion
200de monseigneur. Si furent toutes les femmes
mariées de la ville mandées; si vindrent en la
sale où tous leurs mariz estoient. Monseigneur
mesme fist venir madame, qui fut toute esbahie
de voir l'assemblée de ce peuple. Ung sergent
de par monseigneur commenda faire silence.
Et maistre Jehan se mist ung peu au dessus
des aultres, et commença sa petite collacion
comme il s'ensuyt: «Mesdames et mesdamoiselles,
j'ay la charge de par monseigneur
qui cy est et ceulx de son conseil vous dire
en bref la cause pourquoy vous estes icy mandées.
Il est vray que monseigneur, son conseil
et son peuple qui cy est, ont tenu à ceste
heure ung petit chapitre du fait de leurs consciences;
la cause si est qu'ilz ont volunté,
Dieu devant, dedans bref temps de faire une
belle procession et devote à la loange de Nostre
Seigneur Jhesu Crist et de sa glorieuse
mère, et à icelluy jour se mettre trestous en
bon estat, affin qu'ilz soient mieulx exaulsiez
en leurs plus devotes prières et que les œuvres
qu'ils feront soient à celuy jour à Dieu plus
agréables. Vous savez assez que, la mercy
Dieu, nous n'avons eu nulles guerres de nostre
temps, et noz voisins en ont esté terriblement
persecutez, et de pestilence et de famine.
Quand les aultres en ont esté examinez,
nous avons peu dire et encores disons que
Dieu nous en a preservez. C'est bien raison
que nous cognoissons que ce vient non pas
de noz propres vertuz, mais de la seulle large
et liberale grace de nostre benoist redempteur,
201qui huche, appelle, et invite au son des devotes
prières qui se font en nostre eglise parochiale,
et où nous adjoustons très grand foy et tenons
ferme devocion. Le devot couvent des
cordeliers de ceste ville nous a beaucop valu
et vault à la conservacion des biens dessus
dictz. Au surplus nous voulons savoir de vous
si vous acquictez à faire ce à quoy vous estez
tenues; et combien que nous tenons assez
estre en vostre memoire l'obligacion qu'avez à
l'église, il ne vous desplaira pas pour plus
grand seureté si je vous en touche aucuns des
plus gros poincts. Quatre foiz l'an, c'est assavoir
à quatre nataulx, vous devez confesser
du mains à quelque ung prestre ou religieux
ayant sa puissance; et si à chaqu'une foiz receviez
vostre créateur, ce seroit trèsbien fait;
deux foiz ou une foiz l'an du mains le devez-vous
faire. Allez à l'offrande tous les dimanches,
et à chacune messe; celles qui en ont la
puissance, paiez loyaument les dismes à Dieu,
comme de fruiz, de poules, d'aigneaulx, de
cochons, et aultres telz usages accoustumez.
Vous devez aussi ung aultre disme aux devotz
religieux du couvent de saint Françoys, que
non voulons expressement qu'il soit payé;
c'est celuy qui plus nous touche au cueur, et
dont nous desirons plus l'entretenance; et
pourtant s'il y a nulles de vous qui en ait
fait son devoir aultrement que bien, soit ou
par sa negligence ou par faulte de le demander,
de le payer s'avance. Vous savez que
ces bons religieux ne peuvent venir en voz
202hostelz querir leur disme, ce leur seroit trop
grand peine et trop grand destourbier; il doit
bien suffire s'ilz prenent la peine de le recevoir.
Véezla partie de ce que je vous ay à
dire; reste à savoir celles qui ont paié et celles
qui doivent.» Maistre Jehan n'eut pas sitost
finé son dire que plus de vingt femmes, toutes
à une voix, commencèrent à crier: «J'ay
paié, moy; j'ay paié, moy; je ne doy rien;
ne moy, ne moy!» D'aultre costé dirent ung
cent d'aultres, et generalement toutes, qu'elles
ne devoient rien; mesmes saillirent avant quatre
ou six belles jeunes femmes qui dirent
qu'elles avoient si bien payé qu'on leur devoit
sur le temps advenir, à l'une quatre foiz, à
l'autre six, à l'autre dix. Il y avoit aussi d'autre
costé je ne scay quantes veilles qui ne disoient
mot; et maistre Jehan leur demanda
s'elles avoient bien payé leur disme, et elles
respondirent qu'elles avoient faict traicté avec
les cordeliers. «Comment, dit-il, ne paiez
vous pas? vous devriez semondre et contraindre
les aultres de ce faire, et vous mesmes
faictes la faulte!—Dya, ce dit l'une, ce n'est
pas par moy; je me suis plusieurs foiz presentée
de faire mon devoir, mais mon confesseur
n'y veult jamais entendre; il dist tousjours
qu'il n'a loisir.—Saint Jehan, dirent
les aultres veilles, nous avons converty par
traicté fait avec eulx la disme que devons en
toille, en drap, en coussins, en bancquiers,
en oreilliers, et en aultres telles bagues; et ce
par leur conseil et advertissement, car nous
203amerions mieulx à paier comme les aultres.—Nostre
Dame, dist maistre Jehan, il n'y a
point de mal, c'est trèsbien fait.—Elles s'en
peuvent bien aller quand leur plaira, monseigneur,
dist maistre Jehan; ne font pas?—Oy,
dit-il; mais quoy que soit, que ce disme ne soye
pas oublyé.» Quand elles furent toutes hors
de la sale, l'huis fut serré; si n'y eut celuy
des demourez qui ne regardast son compaignon.
«Or ça, dist monseigneur, qu'est-il de
faire? Nous sommes acertenez de la traïson
que ces ribaulx moynes nous ont faicte par
l'un d'eulx et par noz femmes; il ne nous
fault plus de tesmoings.» Après pluseurs
et diverses opinions, la finale et derrenière
resolucion si fut, qu'ils yront bouter le feu ou
couvent, et brulleront et moynes et moustier.
Si descendirent en bas en la ville, et vindrent
au monastère; et ostèrent hors le Corpus Domini,
et aucuns aultres reliquiaires, et l'envoyèrent
en la parroisse; et puis, sans plus
enquerre, boutèrent le feu en divers lieux
léens, et ne s'en partirent tant que tout fut
consumé, et moynes, et convers, et eglise,
et dortoir, et le surplus des edifices, dont il
avoit foison léens. Ainsi achetèrent bien chèrement
les pouvres cordeliers le disme non
accoustumé qu'ilz misrent sus. Dieu mesmes,
qui n'en povoit mais, en eut bien sa maison
brullée.
Ung gentil chevalier des marches
de Bourgoigne, sage, vaillant, et
très bien adrecié, digne d'avoir
bruit et los, comme il eut tout son
temps, entre les mieulx et plus renommez, se
trouva tant et si bien en la grace d'une
belle damoiselle qu'il en fut retenu serviteur,
et d'elle obtint à chef de pièce tout ce que
par honneur donner luy povoit; et au surplus,
par force d'armes ad ce la mena que refuser
ne luy peut nullement ce que pluseurs devant
et après ne peurent obtenir. Et de ce se print
et donna trèsbien garde ung très gentil et
gracieux seigneur, trèscler voyant, dont je
passe le nom et les vertuz, lesquelles, si en
moy estoit de les racompter, n'y a celuy de
vous qui tantost ne congneust de quoy ce
compte se feroit, ce que pas ne vouldroye.
Ce gentil homme que je vous dy, qui se
perceut des amours du chevalier dessus dit,
quand il vit son point, luy demanda s'il n'estoit
point amoureux d'une telle damoiselle,
c'est assavoir de celle dessus dite? Et il luy
respondit que non; et l'autre, qui bien savoit
le contraire, luy dist qu'il cognoissoit trèsbien
que si. Neantmains, quelque chose qu'il
luy dist ou remonstrast, qu'il ne luy devoit
205pas celer ung tel cas, et que si il luy estoit
advenu semblable, ou beaucop plus grand,
il ne luy celeroit jà, si ne luy voult oncques
confesser ce qu'il savoit certainement et bien.
S'il se pensa qu'en lieu d'aultre chose faire,
et pour passer temps, s'il scet trouver voie
ne fasson, en lieu que celuy luy est tant estrange
et prend si peu de fiance en luy, il
s'accointera de sa dame et se fera privé d'elle.
A quoy il ne faillit pas, car en peu d'heure il
fut vers elle si très bien venu, que celuy qui
le valoit, qu'il se povoit vanter d'en avoir
aultant obtenu, sans faire guères grand queste
ne poursuite, que celuy qui mainte peine et
foison de travaux en soustint; et si avoit ung
bon point: il n'en estoit en rien feru. Et l'aultre,
qui ne pensoit point avoir compaignon, en
avoit tout au long du bras ou autant qu'on
en pourroit entasser à force ou cueur d'un
amoureux. Et ne vous fault pas penser qu'il
ne fust entretenu de la bonne gouge autant
et mieulx que par avant, qui le faisoit plus
avant bouter et entretenir en sa fole amour.
Et affin que vous sachez que ceste vaillant
gouge n'estoit pas oiseuse, qui en avoit à entretenir
deux du mains, lesquelz elle eust à
grand regret perduz, et spécialement le derrenier
venu, car il estoit de plus haulte estoffe
et trop mieulx soulier à son pié que le premier
venu, et elle leur bailloit et assignoit tousjours
heure de venir vers elle l'un après l'aultre,
comme l'un aujourd'huy et l'aultre demain.
Et de ceste manière de faire savoit bien
206l'occasion le derrenier venu, mais il n'en faisoit
nul semblant, et aussi à la vérité il ne
luy en challoit guères, si non que ung pou
luy desplaisoit la folie du premier venu, qui trop
fort à son gré se boutoit en chose de petite
value. Et de fait se pensa qu'il l'en advertiroit
tout du long, ce qu'il fist. Or savoit-il
bien que les jours que la gouge luy defendoit
de venir vers elle, dont il faisoit trop bien le
mal content, estoient gardez pour son compaignon
le premier venu. Si fist le guet par
pluseurs nuiz; et le véoit entrer vers elle par
le mesme lieu et à celle heure que ès aultres
ses jours faisoit. Si luy dist ung jour entre les
aultres: «Vous m'avez beaucop celé les amours
d'une telle et de vous; et n'est serment que
vous ne m'ayez fait au contraire, dont je
m'esbahis bien que vous prenez si peu de
fiance en moy, voire quand je sçay davantage
et véritablement ce qui est entre vous et elle.
Et affin que vous sachiez que je sçay qui en
est, je vous ay veu entrer de vers elle par
pluseurs foiz à telle heure et à telle; et de
fait hier, n'a pas plus loing, je teins sur vous,
et d'un lieu où j'estoye, je vous y vy entrer;
vous savez bien si je dy vray.» Le premier
venu, quand il oyt si vives enseignes tant
notoires, il ne sceut que dire; si luy fut force de
confesser ce qu'il eust très voluntiers celé, et
qu'il cuidoit que ame ne sceust que luy. Et dist
à son compaignon le derrenier venu que vrayement
il ne luy peut plus ne veult celer qu'il
en soit bien amoureux, mais il luy prie qu'il
207n'en soit nouvelle. «Et que diriez-vous, dit
l'autre, si vous aviez compaignon?—Compaignon!
dist-il, quel compaignon? En
amours, je ne le pense pas, dit il.—Saint
Jehans! dist le derrenier venu, et je le sçay
bien; il ne fault jà aller de deux en trois, c'est
moy. Et pour ce que je vous voy plus feru
que la chose ne vaille, vous ay-je pieça voulu
advenir, mais vous n'y avez voulu entendre;
et si je n'avoie plus grant pitié de vous que
vous mesmes n'ayez, je vous lairroye en
ceste folye; mais je ne pourroye souffrir que
une telle gouge se trompast et de vous et de
moy si longuement.» Qui fut bien esbahy de
ces nouvelles, ce fut le premier venu, car il
cuidoit tant estre en grace que merveilles; si
ne savoit que dire ne penser. Au fort, quand
il parla, il dist: «Nostre dame! on m'a bien
baillé de l'oye, et si ne m'en doubtoie guères;
si en ay esté plus aisié à decevoir; le dyable
emporte la gouge quand elle est telle!—Je
vous diray, dit le derrenier venu, elle se cuide
tromper de nous, et de fait elle a desjà trèsbien
commencé, mais il la fault nous mesmes
tromper.—Et je vous en prie, dist le premier
venu, le feu de saint Anthoine l'arde
quand oncques je l'accointay!—Vous savés,
dist le derrenier venu, que nous allons vers
elle tour à tour, il fault qu'à la première foiz
que vous yrez ou moy, ainsi qu'il viendra, que
vous dictes que vous avez bien cogneu et apperceu
que je suis amoureux d'elle, et que
vous m'avez veu entrer et vers elle venir, à
208telle heure, et ainsi habillé; et que par la
mort bieu, si vous m'y trouvez plus, vous me
tuerez tout roidde, quelque chose qui vous en
doibve advenir. Et je diray pareillement de
vous, et nous verrons sur ce qu'elle fera et
dira et arons advis du surplus.—C'est très
bien dit, et je le veil», dit le premier venu.
Comme il fut dit il en fut fait, car je ne scay
quans jours après, le derrenier venu eut son
tour d'aller besoigner, si se mist au chemin et
vint au lieu assigné. Quand il se trouva seul
avecques la gouge, qui le receut très doulcement
et de grand cueur, comme il sembloit,
il faindit, comme bien le savoit faire, une sure
et matte chère, et monstra semblant de courroux.
Et elle, qui avoit accoustumé de le voir
tout aultre, ne sceut que penser; si luy demanda
qu'il avoit et que sa manière monstroit
que son cueur n'estoit pas à son aise.—«Vrayement,
madamoiselle, dist-il, vous dictes
vray, que j'ay bien cause d'estre mal content
et desplaisant; la vostre mercy toutesfoiz que
le m'avez pourchassé.—Moy, dist-elle.
Hélas! non ay, que je sache; car vous estes
le seul homme en ce monde à qui je vouldroye
faire plus de plaisir, et de qui plus près me
toucheroit l'ennuy et le desplaisir.—Il n'est
pas damné qui ne le croit, dit-il; et pensez-vous
que je ne me soye bien apperceu que
vous entretenez ung tel, c'est assavoir le premier
venu. Si faiz, par ma foy, je l'ai trop
bien veu parler à vous à part; et que plus est,
je l'ay espié et veu entrer ceans. Mais par la
209mort bieu, si je l'y trouve jamais, son derrenier
jour sera venu, quelque chose qu'il en doyve
ou puisse advenir; que je souffrisse ne peusse
veoir qu'il me fist ce desplaisir, j'aymeroye
mieulx à morir mille foiz, s'il m'estoit possible.
Et vous estes aussi bien desloyalle, qui
savez certainement et de vray que, après
Dieu, je n'ayme rien tant que vous, qui à mon
très grant prejudice le voulez entretenir.—Ha!
monseigneur, dit-elle, et qui vous a fait
ce raport? Par ma foy, je veil bien que Dieu
et vous sachez que la chose va tout aultrement,
et de ce je le prens à tesmoignage
qu'oncques en jour de ma vie je ne tins termes
à cestuy dont vous parlez, ne à aultre,
quel qui soit, tant que vous ayez tant soyt
peu de cause d'en estre mal content. Je ne
veil pas nyer que je n'aye parlé et parle à luy
tous les jours, et à pluseurs aultres, mais qu'il
y ait entretiennement, rien; ains tiens que ce
soit la maindre de ses pensées, et aussi, par
Dieu, il se abuseroit. Jà Dieu ne me laisse tant
vivre que aultruy que vous ait une part ne
demye en ce qui est tout entière vostre.—Madamoiselle,
dit-il, vous le savez très bien
dire, mais je ne suis pas si beste de le croire.»
Quelque malcontent qu'il y eust, il fist ce
pourquoy il estoit venu, et au partir luy dist:
«Je vous ay dit et de rechef vous faiz savoir
que si je m'apperçoy jamais que l'aultre y
vienne, je le mettray ou feray mettre en tel
point qu'il ne courroussera jamais ne moy ne
aultre.—Ha! monseigneur, dit elle, par
210dieu vous avez tort de prendre vostre ymaginacion
sur luy, et croiez que je suis seure qu'il
n'y pense pas.» Ainsi departit nostre derrenier
venu. Et au lendemain son compaignon le
premier venu ne faillit pas à son lever pour
savoir des nouvelles; et il luy en compta largement
et bien au long le demené, comment
il fist le courroucié, comment il la menasse de
tuer, et les responses de la gouge. «Par
mon serment, c'est bien joué. Or laissez moy
avoir mon tour; si je ne fays bien mon personnage,
je ne fuz oncques si esbahy.» A chef
de pièce son tour vint, et se trouva vers la
gouge, qui ne luy fist pas mains de chère
qu'elle avoit de coustume, et que le derrenier
venu en avoit emporté naguères. Si l'aultre
son compaignon le derrenier venu avoit bien
fait du mauvais cheval et en maintien et en
paroles, encores en fist-il plus, et comme celuy
qui sembloit plus courroucié qu'oncques
homme ne fut joyeux, dist en telle manière:
«Je doy bien maudire l'heure et le jour qu'oncques
j'eu vostre accointance; car il n'est pas
possible à Dieu ne au monde tout ensemble
d'amasser plus de doleurs, regretz, et d'amers
desplaisirs au cueur d'un pouvre amoureux
que j'en trouve aujourd'uy dont le mien est
environné et assiégé. Helas! je vous avoye
entre aultres choisie comme la non pareille de
loyaulté, genteté et gracieuseté, et que je
y trouveroye largement et à comble la trèsnoble
vertu de loyauté; et à ceste cause
m'estoye de mon cueur defait, et du tout l'avoye
211mis en vostre mercy, cuidant à la vérité
que plus noblement ne en meilleur lieu asseoir
ne le pourroie; mesmes m'avez ad ce mené
que j'estoye prest et délibéré d'attendre la
mort, ou plus, si possible eust esté, pour
vostre honneur sauver. Et quand j'ay cuidié
estre plus seur de vous, que je n'ay pas seullement
sceu par estrange rapport, mais à mes
yeulx mesmes perceu ung aultre venu de
costé, qui me toust et rompt tout l'espoir que
j'avoye en vostre service d'estre de vous tout
le plus cher tenu.—Mon amy, dist la gouge,
je ne sçay qui vous a troublé, mais vostre
manière et voz parolles portent et jugent qu'il
vous fault quelque chose, que je ne saroie
penser ne inferrer que ce peut estre, si vous
n'en dictes plus avant, si non ung peu de jalousie
qui vous tourmente, ce me semble, de
laquelle, si vous estiez bien sage, n'ariez cause
de vous accointer. Et là où je saroye, je ne
vous en vouldroye pas bailler l'occasion; et
si vous pensez bien à tout, vous n'estes pas si
peu accoinct de moy que je ne vous aye
monstré la chose au monde qui plus vous en
peut donner et bailler cause d'asseurance, à
quoy vous me feriez tantost avoir regret, par
me servir de telz paroles.—Je ne suis pas
homme, dit le premier venu, que vous doyez
contenter de paroles, car excusance n'y vault
rien. Vous ne povez nyer que ung tel, c'est
asavoir le derrenier venu, ne soit de vous
entretenu; je le scay bien, car je m'en suis
donné garde, et si ay bien fait le guet, car je
212l'ay veu venir vers vous hier, n'a pas plus
loing; il y vint à telle heure et ainsi habillé.
Mais je voue à Dieu qu'il en a prins ses quaresmeaux,
car je tendray sur luy; et fust-il
plus grand maistre cent foiz, si je l'y puis
rencontrer je luy osteray la vie du corps, ou
luy à moy, ce sera l'un des deux; car je ne
pourroie vivre voyant ung aultre joïr de vous.
Et vous estes bien faulse et desloyale, qui
m'avez en ce point deceu; et non sans cause
maudiz-je l'heure qu'oncques vous accointay,
car je sçay tout certainement que c'est ma
mort, si l'aultre scet ma volunté, et espère
que oy. Et par vous je sçay de vray que je
suis mort; et s'il me laisse vivre, il aguyse le
cousteau qui sans mercy à ses derrains jours
le mainra. Et s'ainsi en advient, le monde
n'est pas assez grand pour moy sauver que
morir ne me faille.» La gouge n'avoit pas
moyennement à penser pour trouver soudaine
et suffisante excusance pour contenter celuy
qui est si mal content. Toutesfoiz ne demoura
qu'elle ne se mist en ses devoirs de l'oster
hors de ceste melencolie, et pour assiete en
lieu de cresson, elle luy dist: «Mon amy, j'ay
bien au long entendu vostre grand ratelée
qui, à la verité dire, me baille à cognoistre
que je n'ay pas esté si sage que je deusse, et
que j'ay trop tost adjousté foy à voz semblans
et decevables parolles, et qu'elles m'ont conclut
et rendue en vostre obeissance; vous en
tenez à present trop mains de biens de moy.
Aultre raison aussi vous meut, car vous savez
213et assez cognoissez de fait que je suis prinse et
que amours m'ont ad ce menée que sans vostre
presence je ne puis vivre ne durer. Et à
ceste cause et pluseurs aultres qu'il ne fault
jà dire, vous me voulez tenir vostre subjecte
et esclave, sans avoir loy de parler ne deviser
à nul aultre que à vous. Puis qu'il vous plaist,
au fort j'en suis contente, mais vous n'avez
nulle cause de moy suspessonner en rien de
personne qui vive, et si ne fault aussi jà que
m'en excuse; verité, que tout vaint, m'en defendra
si luy plaist.—Par dieu, m'amye,
dist le premier venu, la verité est telle que je
vous ay dicte, qui vous sera quelque jour
prouvée et cher vendue pour aultry et pour
moy, si aultre provision de par vous n'y est
mise.» Après ces parolles et aultres trop longues
à racompter, se partit le premier venu,
qui pas n'oblya lendemain tout au long racompter
à son compaignon le derrain venu,
Et Dieu scet les risées et joyeuses devises qu'à
ceste cause qu'ilz eurent entre eulx deux. Et
la gouge en ce lieu avoit bien des estouppes
en sa quenoille, qui veoit et savoit très bien
que ceulx qu'elle entretenoit se doubtoient et
percevoient chacun de son compaignon, mais
pourtant ne laissa pas de leur bailler tousjours
audience, chacun à sa foiz, puis qu'ils la requeroient,
sans en donner à nul congié. Trop
bien les advertissoit qu'ilz venissent bien secrètement
vers elle, affin qu'ilz ne fussent de
quelque ung apperceuz. Mais vous devez
savoir, quand le premier venu avoit son tour,
214qu'il n'oblioit pas à faire sa plaincte comme
dessus; et n'estoit rien de la vie de son compaignon
s'il le povoit rencontrer. Pareillement
le derrenier, le jour de son audience, s'efforçoit
de monstrer semblant plus desplaisant que
le cueur ne luy donnoit; et ne valoit son
compaignon, qui oyoit son dire, guères
mieulx que mort, s'il le treuve en belles. Et
la subtille et double damoiselle le cuidoit
abuser de paroles, qu'elle avoit tant à main et
si prestes, que ses bourdes sembloient autant
véritables comme l'Euvangile. Et si cuidoit
bien en son sens tant, quelque doubte ne suspicion
qu'ilz eussent, que jamais la chose ne
fust plus avant efforcée, et qu'elle estoit aussi
bien femme pour les fournir tous deux et
mieux trop que nesung d'eulx à part n'estoit
pour la seulle servir à gré. La fin fut aultre,
car le derrenier venu, qu'elle craignoit beaucop
à perdre, quelque chose qu'il fust de l'aultre,
luy dist ung jour trop bien sa leçzon. Et de
fait dit qu'il n'y retourneroit plus; et aussi ne
fist-il grand pièce après, dont elle fut très
desplaisante et malcontente. Or ne fait pas
à oblyer, affin qu'elle eust encores mieulx le
feu, il envoya vers elle ung gentilhomme de
son estroict conseil, affin de luy remonstrer
bien au long le desplaisir qu'il avoit d'avoir
compaignon en son service; et bref et court,
si elle ne lui donne congé il n'y reviendra jour
qu'il vive. Comme vous avez oy dessus, elle
n'eust pas volontiers perdu son accointance:
si n'estoit saint ne saincte qu'elle ne parjurast,
215soy excusant de l'entretenance du premier;
et en fin comme toute forcenée dist à l'escuier:
«Et je monstreray à vostre maistre que je l'ayme;
et me baillez vostre cousteau.» Quand elle
l'eut, elle se desatourna, et couppa tous ses
cheveulx de ce cousteau, non pas bien à l'ung.
L'aultre print ce present, qui bien savoit toutesfoiz
la verité du cas, et s'offrit de faire le
mieulx qu'il pourroit et du present faire devoir,
ainsi qu'il fist tantost après. Le derrenier
venu receut ce present, qu'il destroussa et
trouva les cheveulx de sa dame, qui beaulx
estoient et beaucop longs; si ne fut guères
aise tant qu'il trouva son compaignon, au quel
il ne cela pas l'ambassade qu'on a mise sus,
et à luy envoyée, et les gros presens qu'on luy
envoye, qui n'est pas pou de chose; et lors
monstra les beaulx cheveulx: «Je croy, dit-il,
que je suis bien en grace; vous n'avez garde
qu'on vous en face autant.—Saint Jehan,
dit l'aultre, véez cy aultre nouvelle; or voy
je bien que je suis frict. C'est fait, vous avez
bruyt tout seul; sur ma foy, fist le derrenier
venu, je tien, moy, qu'il n'en est pas encores
une telle; je vous requier, pensons qu'il est
de faire? Il luy fault monstrer à bon escient
que nous la cognoissons telle qu'elle est.—Et
je le veil», dit l'aultre. Tant pensèrent et
contrepensèrent qu'ilz s'arrestèrent à faire ce
qui s'ensuyt. Le jour ensuyvant, ou tost après,
les deux compaignons se trouvèrent en une
chambre ensemble où leur loyale dame avec
pluseurs aultres estoit; chacun s'assist et print
216sa place où mieulx luy pleut, le premier
venu auprès de la bonne damoiselle, à laquelle
tantost après pluseurs devises il monstra
les cheveux qu'elle avoit envoyez à son
compaignon. Quelque chose qu'elle en pensast,
elle n'en monstra nul semblant d'effroy;
mesme disoit qu'elle ne les cognoissoit, et
qu'ils ne venoient point d'elle.—«Comment,
dist-il, sont-ilz si tost changez et descogneuz?—Je
ne scay, dit-elle, qu'ilz sont,
mais je ne les cognois.» Et quand il vit
ce, il se pensa qu'il estoit heure de jouer son
jeu; et fist manière de vouloir mettre son
chapperon qui sur son espaule estoit dessus
sa teste, et en ce faisant tout au propos luy fist
hurter si rudement à son atour qu'il l'envoya
par terre, dont elle fut bien honteuse et malcontente,
et ceulx qui là estoient apperceurent
bien que ses cheveulx estoient couppez, et
assez lourdement. Elle saillit sus bien à haste,
et si reprint son atour et s'en entra en une
aultre chambre pour se aller ratourner, et il la
suyt; si la trouva toute marrie et courroucée,
voire bien fort plorant de dueil qu'elle avoit
estre desatournée. Si luy demanda qu'elle avoit
à plorer, et à quel jeu elle avoit perdu ses
cheveulx? Elle ne savoit que respondre, tant
estoit à celle heure prinse soupprinse. Et il,
qui ne se peut plus tenir de executer la conclusion
prinse entre son compaignon et luy,
luy dist: «Faulse et desloyale que vous estes,
il n'a pas tenu à vous que ung tel et moy ne
nous sommes entretuez et deshonorez. Et je
217tien moy que vous l'eussiez bien voulu, à ce
que vous en avez monstré, pour en racointer
deux aultres nouveaulx; mais Dieu mercy,
nous n'en avons garde. Et affin que vous sachez
que je sçay son cas et luy le mien, véez
cy voz cheveulx que luy avez envoyez, dont
il m'a fait présent; ne pensez pas que nous
soyons si bestes que nous avez tenuz jusques
cy.» Lors se part d'elle, et il appelle son compaignon,
et il y vint: «J'ay rendu à ceste bonne
damoiselle ses cheveulx, et si luy ay commencé
à dire comment de sa grace elle nous
a bien tous deux entretenuz; et combien que
à sa manière de faire elle a bien monstré qu'il
ne luy challoit se nous deshonnorions l'un
l'autre, Dieu nous en a gardez.—Saint Jehan,
ce a mon», dit-il. Et alors adressa sa parolle
mesmes à la gouge; et Dieu scet s'il parla
bien à elle, en luy remonstrant sa très grand
lascheté et desloyauté de cueur. Et ne pense
pas que guères oncques femme fust mieulx
capitulée qu'elle fut pour adonc, puis de l'un
puis de l'aultre. A quoy elle ne savoit que dire
ne respondre, comme prinse en meffait évident,
sinon de larmes, que point elle n'espargnoit.
Et ne pense pas qu'elle eust oncques
guères plus de plaisir en les entretenant tous
deux qu'elle avoit à ceste heure de desplaisir.
La conclusion fut telle toutesfoiz qu'ilz ne
l'abandonneroient point, mais par accord doresenavant
chacun à son tour ira; et silz y
viennent tous deux ensemble, l'un fera place
à l'autre, et bons amys comme devant, sans
218plus jamais parler de tuer et de batre. Ainsi
en fut-il fait, et maintindrent les deux compaignons
assez longuement ceste vie et plaisant
passetemps, sans ce que la gouge les
osast oncques desdire. Et quand l'un aloit à
sa journée, il le disoit à l'autre; et quand
d'adventure l'un esloignoit la marche, et le
lieu demouroit à l'autre, très bon faisoit oyr
les recommendacions qu'il faisoit au partir;
mesmes firent de très bons rondeaulx, et pluseurs
chansonnettes, qu'ilz mandèrent et envoyèrent
l'un à l'autre, dont il est aujourduy
bruyt, servans au propos de leur matère dessus
dicte, dont je cesseray le parler, et donneray
fin au compte.
J'ay congneu en mon temps une notable
et vaillant femme, digne et de
memoire et de recommendacion, car
ses vertuz ne doivent estre cellées
n'estainctes, mais en commune audience publicquement
blasonnées. Vous orrez en bref, s'il
vous plaist, en la deduction de ceste nouvelle,
la chose de quoy j'entens amplier et accroistre
sa trèseureuse renommée. Ceste vaillante
preude femme, par saint Denis, mariée à ung
tout oultre noz amys, avoit pluseurs serviteurs
219en amours, pourchassans et desirans sa grace,
qui n'estoit pas trop difficile de conquerre,
tant estoit doulce et pitéable celle qui la vouloit
et pouvoit departir largement par tout où
bon et mieulx luy sembloit. Advint ung jour
que les deux vindrent devers elle, comme
ilz avoient de coustume, non sachans l'un de
l'autre, demandans lieu de cuyre et leur tour
d'audience. Elle, qui pour deux ne pour trois
n'eust reculé ne desmarché, leur bailla jour et
heure de se rendre vers elle, comme à lendemain,
l'un à huyt heures du matin, et l'autre à
neuf ensuyvant, chargeant à chacun par exprès
et bien acertes qu'il ne faille pas à son heure
assignée. Ilz promisrent sur foy et honneur,
s'ilz n'ont mortel exoine, qu'ilz se rendront
au lieu au terme limité. Quand vient au lendemain,
environ vj. heures du matin, le mary
de ceste vaillant femme se lève, habille, et
mect en point; et la huche et appelle pour se
lever, mais il ne fut pas obey, ains refusé tout
plainement: «Ma foy, dit-elle, il m'est prins
ung tel mal de teste que je ne saroye tenir sur
piez, si ne me pourroye encores lever pour
morir, tant suis et foible et traveillée; et que
vous le sachez, je ne dormy ennuyt. Si vous
prie que me laissez icy, j'espoire quand je
seray seulle je prendray quelque pou de repos.»
L'aultre, combien qu'il se doubtast, n'osa
contredire ne replicquer, mais s'en alla, comme
il avoit charge, besoigner en la ville, tantdiz
que sa femme ne fut pas oiseuse à l'ostel; car
huit heures ne furent pas si tost sonnées que
220véezcy bon compaignon, du jour devant à ce
point assigné, qui vint hurter à l'huys; et elle
le bouta dedans. Il eut tantost sa longue robe
despoillie, et le surplus de ses habillemens,
et puis vint faire compaignie à madamoiselle,
affin qu'elle ne s'espantast. Tant furent entre
eulx deux bras à bras et aultrement que le
temps s'écoula et passa, et ne se donnèrent
garde qu'ilz oyrent assez rudement hurter à
l'huys. «Ha, dist-elle, par ma foy, véezcy
mon mary, avancez vous bien tost, prenez
vostre robe.—Vostre mary, dit-il, et le
cognoissez vous à hurter?—Oy, dit-elle, je
sçay bien que c'est il; abregez-vous, qu'il ne
vous trouve icy.—Il faut bien, se c'est
il, qu'il me voye; je ne me saroye où sauver.—Qu'il
vous voye, dit-elle, non fera,
si Dieu plaist, car vous seriez mort et moy
aussi; il est trop merveilleux. Montez en hault,
en ce petit garnier, et vous tenez tout coy,
sans mouvoir, qu'il ne vous voye.» L'autre
monta, comme elle luy dist, et se vint trouver
en ce petit garnier, qui estoit d'ancien
edifice, tout desplanché, delaté et pertuisé en
plusieurs lieux. Et madamoiselle le sentent
tout là dessus, fait ung sault jusques à l'huys,
très bien sachant que ce n'estoit pas son mary;
et mist dedans celuy qui ce jour avoit à neuf
heures promis devers elle se rendre. Ilz vindrent
en la chambre, où pas ne furent longuement
debout, mais tout plat s'entreaccolèrent
et baisèrent en la mesme ou semblable fasson
que celuy du garnier avoit fait; lequel par ung
221pertuis véoit à l'œil la compaignie, dont il
n'estoit pas trop content. Et fut grant piece à
son courage, asavoir si bon estoit qu'il parlast
ou si mieulx luy valoit le taire. Il conclud
toutesfoiz tenir silence et nul mot dire jusques
ad ce qu'il verra mieulx son point; et pensez
qu'il avoit belle pacience. Tant attendit,
tant regarda sa dame avecques le survenu,
que bon mary vint à l'ostel pour savoir de
l'estat et santé de sa très bonne femme, ce
qu'il estoit trèsbien tenu de faire. Elle l'oyt
tantost, si n'eut aultre loisir de faire subitement
lever sa compaigne; et car elle ne savoit
où le sauver, pour ce que ou garnier ne l'eust
jamais envoyé, elle le fist bouter en la ruelle
du lit, et puis le couvrit de ses robes, et luy
dist: «Je ne vous sçay où mieulx loger, prenez
en pacience.» Elle n'eut pas finé son dire
que son mary entra dedans, qui aucunement ce
luy sembloit avoit noise entreoye; si trouva le
lit tout defroissié et despillié, la couverture
mal honnye et d'estrange byhès; et sembloit
mieulx le lit d'une espousée que couche de
femme malade. La doubte qu'il avoit auparavant,
avecques l'apparence de present, luy fist
sa femme appeller par son nom, et dist:
«Paillarde meschante que vous estes, je n'en
pensoye pas mains huy matin, quand vous
contrefeistes la malade! Où est vostre houllier?
Je voue à Dieu, si je le trouve, il aura
mal finé et vous aussi.» Et lors mist la main à
la couverture, disant: «Véezcy pas bel appareil?
il semble que les pourceaux y ayent
222couchié.—Et qu'avez vous, meschant yvroigne,
ce dist-elle, fault-il que je compare le
trop de vin que vostre gorge a entonné? Est
ce la belle salutacion que vous me faictes de
m'appeller paillarde? Je veil bien que vous le
sachez que je ne sois pas telle; mais suis trop
bonne et trop loyale pour ung tel paillard que
vous estes; et n'ay aultre regret que si bonne
vous ay esté, car vous ne le valez pas. Et ne
sçay qui me tient que je ne me lève et vous
egratigne le visage par telle fasson que tousjours
mes aurez memoire de m'avoir sans cause
villennée.» Et qui me demanderoit comment elle
osoit en ce point respondre, et à son mary
parler, je y trouve deux raisons: la première si
est le bon droit qu'elle avoit en la querelle, et
l'aultre car elle se sentoit la plus forte en la
place. Et fait assez penser que, si la chose fust
venue jusques aux horions, celui du garnier et
l'aultre de la ruelle l'eussent servy et secouru.
Le pouvre mary ne savoit que dire, qui oyoit
le dyable sa femme ainsi tonner; et, pource
qu'il véoit que hault parler ne fort toucher n'avoit
pas lors son lieu, il remist le procès tout
en Dieu, qui est juste et droiturier. Et à chef
de sa meditacion, entre aultres parolles, il dist:
«Vous vous excusez beaucop de ce dont sçay
tout le voir; au fort, il ne m'en chault pas tant
qu'on pourroit bien dire; je n'en quier jamais
faire noise; celuy qui est là hault paiera tout.»
Et par celuy de la hault il entendoit Dieu, comme
s'ils voulsist dire: «Dieu, qui rend à chacun
ce qui luy est deu, vous paiera de vostre
223desserte.» Mais le galant qui estoit ou garnier,
qui oyoit ces parolles, cuidoit à bon escient
que l'autre l'eust dit pour luy, et qu'il fust
menacié de porter la paste au four pour le meffait
d'aultruy; si respondit tout en hault:
«Comment, sire, il suffist bien que j'en paye
la moitié; celuy qui est en la ruelle peut bien
paier l'autre, il y est autant tenu que moy.»
Qui fut bien esbahy, ce fut l'oste, car il cuidoit
que Dieu parlast à luy; et celuy de la
ruelle ne savoit que penser, car il ne savoit
rien de l'aultre. Il se leva toutesfoiz, et l'aultre
descendit, qui le congneut. Si se partirent ensemble,
et laissèrent la compaignie bien troublée
et mal contente, dont guères ne leur chaloit
à bonne cause.
Ung gentilhomme, chevalier de ce
royaume, trèsvertueux et de grand
renommée, grand voyagier et aux
armes trèspreu, devint amoureux
d'une trèsbelle damoiselle; et à chef de pièce
fut si avant en sa grace que rien ne luy
fut escondit de ce qu'il osa demander. Advint,
ne sçay combien après ceste alliance, que
ce bon chevalier, pour mieulx valoir et honneur
224acquerre et embrasser, se partit de sa
marche, trèsbien en point et accompaigné,
portant emprinse d'armes du congé de son
maistre. Et s'en alla ès Espaignes et en divers
lieux, où il se conduisit tellement que
à grand triumphe à son retour fut receu. Pendant
ce temps, sa dame fut mariée à ung ancien
chevalier, qui gracieux et sachant homme
estoit, qui tout son temps avoit hanté à court,
et pour vray dire estoit le vray registre d'honneur.
Et n'estoit pas ung petit dommage qu'il
n'estoit mieulx allié, combien toutesfoiz qu'encores
n'estoit pas descouverte l'encloueure de
son infortune si avant que d'estre commune,
comme elle fut depuis, ainsi comme vous
orrez. Ce bon chevalier amoureux dessusdit,
retournant d'accomplir ses armes, comme il
passoit païs, arriva d'aventure à ung soir au
chasteau où sa dame demouroit. Et Dieu scet
la bonne chère que monseigneur son mary et
elle luy feirent, car de pieça avoit grand accointance
et amytié entre eulx. Mais vous devez
savoir que tantdiz que le seigneur de léens
pensoit et s'efforçoit de faire finance de pluseurs
choses pour festoyer son hoste, l'oste se
devisoit à sa dame qui fut, et s'efforçoit de la
festoyer et conjoyr comme il avoit fait ainçois
que monseigneur. Elle, qui ne demandoit aultre
chose, ne s'excusoit en rien sinon du lieu.
«Mais il n'est pas possible qu'il se puisse trouver.—Ha!
madame, dist-il, par ma foy, si
vous voulez bien, il n'est manière qu'on ne
treuve. Et que scera vostre mary, quand il
225sera couché et endormy, si vous me venez
veoir jusques en ma chambre? ou si mieulx
vous plaist et bon vous semble, je viendray
bien vers vous.—Il ne se peut certes ainsi
faire, ce dit-elle, car le dangier y est trop grand;
car monseigneur est de trop legier somme, et
ne s'esveille jamais qu'il ne taste après moy;
et s'il ne me trouvoit point, pensez que ce seroit.—Et
quand il s'est en ce point trouvé,
dit-il, que vous fait-il?—Aultre chose, dit-elle,
point; il se vire d'aultre costé.—Ma foy,
dit-il, c'est ung trèsmauvais mesnagier, il vous
est bien venu que je suis arrivé pour vous secourir,
et luy aider à parfournir ce qui n'est
pas bien en sa puissance d'achever.—Si
m'aist Dieu, dit-elle, quand il besoigne une
foiz en ung moys, c'est au mieulx venir; il ne
fault jà que j'en face la petite bouche; creez
que je prendroye bien mieulx.—Ce n'est
pas merveille, dit-il, mais regardez comment
nous ferons.—Il n'est manière que je voye,
dit elle, comment il se puisse faire.—Et
comment, dit il, n'avez vous femme céens en
qui vous osassiez fier de luy deceler nostre
cas?—J'en ay, par Dieu, une, dit-elle, en qui
j'ay bien tant de fiance que de luy dire la chose
en ce monde que plus vouldroye en estre celée,
sans avoir suspicion ne doubte que jamais
par elle fust descouverte.—Que nous fault-il
donc plus? dit-il, regardez vous et elle du
surplus.» La bonne dame, qui bien avoit la
chose au cueur, appella ceste damoiselle et
luy dist: «M'amye, c'est force ennuyt que
226tu me serves, et que tu m'aydes à achever une
des choses au monde qui plus au cueur me
touche.—Madame, dist la damoiselle, je suis
preste, et contente comme je doy, de vous servir
et obéir en tout ce qui me sera possible;
commendez, je suis celle qui accompliray
vostre commendement.—Et je te remercye,
m'amye, dist madame, et soies seure que tu
n'y perdras rien. Véezcy le cas: ce chevalier
qui céens est, est l'homme ou monde que
le plus j'ayme; et ne vouldroye pour rien qui
fust qu'il se partit de moy sans aultrement
avoir parlé à luy. Or ne me peult-il bonnement
dire ce qu'il a sur le cueur sinon entre
nous deux et à part; et je ne m'y puis trouver
si tu ne vas tenir ma place devers monseigneur.
Il a de coustume, comme tu scez, de
se virer par nuyt vers moy, et me taster ung
peu, et puis me laisse et se rendort.—Je
suis contente de faire vostre plaisir, madame;
il n'est rien qu'à vostre commendement ne
face.—Or bien, m'amye; dit-elle, tu te coucheras
comme je faiz, assez loin de monseigneur;
et garde bien que, quelque chose qu'il
face, que tu ne dies ung tout seul mot; et
quelque chose qu'il vouldra faire, seuffre tout.—A
vostre plaisir, madame, et je le feray.»
L'heure du soupper vint, et n'est jà mestier de
vous compter au service; ce seulement vous
souffise qu'on y fist trèsbonne chère, et qu'il
y avoit bien de quoy. Après soupper, la compaignie
s'en ala à l'esbat; le chevalier estrange
tenant madame par le braz, et aucuns aultres
227gentilzhommes tenans le surplus des damoiselles
de léens. Et le seigneur de l'ostel venoit
derrière; et enqueroit des voyages de son hoste
à ung ancien gentil homme qui avoit conduit
le fait de sa despense en son voyage. Madame
n'oblya pas de dire à son amy que une telle
de ses femmes tiendra ennuyt sa place, et
elle viendra vers luy. Il en fut trèsjoyeux, et
largement la mercya, trèsdesirant que l'heure
fust venue. Il se misrent au retour et vindrent
en la chambre à parer, où monseigneur donna
la bonne nuyt à son hoste, et madame aussi. Et
le chevalier estrange s'en vint en sa chambre,
qui estoit belle à bon escient, bien mise à
point; et estoit le beau buffet fourny d'espices,
de confictures, et de bon vin de pluseurs façons.
Il se fist tantost deshabiller, et beut une
foiz, puis fist boire ses gens et les envoya coucher,
et demoura tout seul, attendant sa dame,
laquelle estoit avec son mary, qui tous deux
se despoilloient et se mettoient en point pour
entrer au lit. La damoiselle estoit en la ruelle,
qui tantost que monseigneur fut couché, se
vint mettre en la place de sa maistresse; et
elle qui aultre part avoit le cueur, ne fist que
ung sault jusques à la chambre de celuy qui
l'attendoit de pié coy. Or est chacun logé,
monseigneur avec sa chambrière, et son hoste
avec madame. Et fait à penser qu'ilz ne passèrent
pas toute la nuyt à dormir. Monseigneur,
comme il avoit de coustume, une heure environ
devant le jour, se reveilla, et vers sa chambrière
se vira, cuidant estre sa femme, et au
228taster qu'il fist hurta sa main d'adventure à son
tetin, qu'il sentit trèsdur et poignant; et tantost
cogneut que ce n'estoit point celuy de sa
femme, car il n'estoit point si bien troussé.
«Ha, dit-il en soy mesme, je voy bien que
c'est, on m'a joué d'un tour, et j'en bailleray
ung aultre.» Il se vire vers ceste belle fille, et
à quelque meschef que ce fust, il rompit une
seulle lance, mais elle le laissa faire sans dire
ung seul mot, ne demy. Quand il eut ce fait,
il commence à appeller tant qu'il peut celuy
qui couchoit avecques sa femme: «Hau, monseigneur
de tel lieu, où estes vous? parlez à
moy.» L'aultre, qui se oyt appeller, fut beaucop
esbahy, et la dame fut tant esperdue,
qu'elle ne savoit sa manière. «Helas! dit-elle,
nostre fait est descouvert, je suis femme perdue.»
Et bon mary de rehucher: «Hau!
monseigneur, hau, mon hoste, parlez à moy.»
Et l'aultre s'adventura de respondre et dist:
«Que vous plaist, monseigneur?—Je vous
feray tousjours ce change quand vous vouldrez.—Quel
change? dist-il.—D'une vieille
jà toute passée, deshonneste et desloyale, à
une belle, bonne, et fresche jeune fille; ainsi
m'avez-vous party, la vostre mercy.» La compaignie
ne sceut que respondre; mesme la
pouvre chambrière estoit tant soupprinse que
s'elle fut à la mort condamnée, tant pour le
deshonneur et desplaisir de sa maistresse que
pour le sien mesmes qu'elle avoit meschamment
perdu. Le chevalier estrange se departit
de sa dame au plus toust qu'il sceut, sans mercier
229son hoste, et sans dire adieu. Et oncques
puis ne s'i trouva, car il ne scet encores comme
la chose se conduit puis avec son mary; plus
avant ne vous en puis dire.
Ung trèsgracieux gentilhomme, désirant
d'emploier son service et
son temps en la trèsnoble court d'amours,
soy sachant de dame improveu,
pour bien choisir et son temps employer,
donna cueur, corps et biens à une
belle damoiselle et bonne, qui mieulx vault;
laquelle, faicte et duicte de façonner gens,
l'entretint bel et bien assez longuement. Et
trop bien luy sembloit qu'il estoit bien avant
en sa grace; et à dire la verité, si estoit il
voire comme les aultres, dont elle avoit pluseurs.
Advint ung jour que ce bon gentilhomme
trouva sa dame d'adventure à la fenestre
d'une chambre, ou mylieu d'un chevalier
et d'un escuyer, auxquels elle se devisoit
par devises communes. Aucunesfoiz parloit
à l'un à part, sans ce que l'aultre en oyst
rien; d'aultre costé faisoit à l'aultre la pareille,
pour chacun contenter; mais, quelque fust
bien à son aise, le pouvre amoureux enrageoit
230tout vif, qui n'osoit approucher la compaignie.
Et si n'estoit en luy d'esloigner, tant
fort desiroit la presence de celle qu'il amoit
mieulx que le surplus des aultres. Trop bien
luy jugeoit le cueur que ceste assemblée ne se
departiroit point sans conclure ou procurer
aucune chose à son prejudice; dont il n'avoit
pas tort de ce penser et dire. Et s'il n'eust eu
les yeulx bandez et couvers, il povoit veoir
appertement ce dont ung aultre à qui rien ne
touchoit se perceut à l'œil. Et de fait luy
monstra, et véez cy comment. Quand il congneut
et perceut à la lettre que sa dame n'avoit
loisir ne volunté de l'entretenir, il se
bouta sur une couche et se coucha; mais il
n'avoit garde de dormir, tant estoient ses
yeulx empeschez de veoir son contraire. Et
comme il estoit en ce point, survint ung gentilhomme
qui salua la compaignie, lequel voyant
que la damoiselle avoit sa charge, se tira devers
l'escuyer, qui sur la couche n'estoit pas
pour dormir. Et entre aultres devises luy dist
l'escuyer: «Par ma foy, monseigneur, regardez
à la fenestre, véez là gens bien aises. Et
ne veez vous pas comment ilz se devisent
plaisamment?—Saint Jehan, tu diz voir,
dist le chevalier. Encores font-ilz bien aultre
chose que deviser.—Et quoy? dit l'autre.—Quoy?
dit-il; et ne voiz-tu pas comment
elle tient chacun d'eulx par la resne.—Par
la resne! dit-il.—Voire vrayement, pouvre
beste, par la resne. Où sont tes yeulx? Mais
il y a bien chois des deux, voire quant à la
231façon, car celle qu'elle tient de gauche n'est
pas si longue ne si grande que celle qui emplist
sa dextre main.—Ha! dit l'escuyer, par
la mort bieu! vous dictes voir; saint Anthoine
arde la louve!» Et pensez qu'il n'estoit pas
bien content. «Ne te chaille, dit le chevalier,
porte ton mal le plus bel que tu peuz; ce n'est
pas icy que tu doiz dire ton courage, force est
que tu faces de necessité vertuz.» Aussi fist-il,
et véez cy bon chevalier qui s'approuchoit de
la fenestre où la galée estoit, si perceut d'adventure
que le chevalier à la resne gauche se
liève en piez, et regardoit que faisoient et disoient
la damoiselle gracieuse et l'escuier
son compaignon. Si vint à luy et luy dist, en
luy donnant ung petit coup sur le chapeau:
«Entendez à vostre besoigne, de par le dyable,
et ne vous soussyez des aultres.» L'aultre se
retira et commença de rire; et la damoiselle,
qui n'estoit pas femme à effrayer de legier, ne
s'en mua oncques; trop bien tout doulcement
laissa sa prinse, sans rougir ne changer coleur.
Regret eut elle assez en soy mesmes d'abandonner
de la main ce que aultre part luy eust
bien servy. Et fait assez à croire que par avant
et depuis n'avoit celuy des deulx qui ne luy
fist très voluntiers service; si eust bien fait,
qui eust voulu, le dolent amoureux malade
qui fut contraint d'estre notaire du plus grand
desplaisir qu'au monde advenir luy pourroit,
et dont la seule pensée en son pouvre cueur
renurée estoit assez, et trop puissante de le
mettre en desespoir, si raison ne l'eust à ce
232besoing secouru, qui luy fist tout abandonner,
et aultre part sa queste en amours commencer,
la quelle il puisse aultrement achever, car de
ceste cy on ne pourroit ung seul bon mot à son
avantage compter.
Tantdiz que les aultres penseront et
à leur memoire ramainront aucuns
cas advenuz et perpetrez, habilles
et suffisans d'estre adjoustez à l'ystoire
presente, je vous compteray, en brefz
termes, en quelle façon fut deceu le plus jaloux
de cest royaume pour son temps. Je croy
assez qu'il n'a pas esté seul entaché de ce
mal; mais toutesfoiz, car il le fut oultre l'enseigne,
je ne le saroie passer sans vous faire
savoir le gracieux tour qu'on luy fist. Ce bon
jaloux dont je vous compte estoit très grand
historien et avoit beaucoup veu, leu et releu
de diverses histoires; mais la fin principale
à quoy tendoit son exercice et tout son estude,
estoit de savoir et cognoistre les façons
et manières et quoy et comment femmes pevent
decepvoir leurs mariz. Et car, la Dieu mercy,
les histoires anciennes, comme Matheolet,
Juvenal, les Quinze Joyes de mariage, et aultres
233pluseurs dont je ne scay le compte,
font mencion de diverses tromperies, cauteles,
abusions et deceptions en cest estat advenues.
Nostre jaloux les avoit tousjours entre
ses mains, et n'en estoit pas mains assotté
qu'un follastre de sa massue; toutesfoiz
lysoit, tousjours estudioit, et d'iceulx livres
fist ung petit extrait pour luy, ou quel estoient
emprinses, descriptes et notées pluseurs manières
de tromperies, au pourchaz et emprinses
de femmes, et ès personnes de leurs mariz
executées. Et ce fist-il tendant à fin d'estre
mieulx premuny et sur sa garde si sa femme
à l'adventure vouloit user de telles querelles
en son livre croniquées et registrées. Qu'il ne
gardast sa femme d'aussi près comme ung
jaloux Ytalien, si faisoit, et si n'estoit pas
encores bien asseuré, tant estoit fort feru du
maudit mal de jalousie. En cest estat et aise
delectable fut ce bon homme trois ou quatre
ans avecques sa femme, laquelle pour tout
passetemps n'avoit aultre loisir d'estre hors de
sa presence infernale, sinon allant et retournant
de la messe, accompaignée d'une vieille
serpente qui d'elle avoit la charge. Ung gentil
compaignon, oyant la renommée de ce gouvernement,
vint rencontrer ung jour ceste
bonne damoiselle, qui gracieuse et belle à bon
escient estoit; et luy dist le plus gracieusement
que oncques peut le bon vouloir qu'il
avoit de luy faire service, plaignant et souspirant
pour l'amour d'elle sa maudicte fortune,
d'estre allyée au plus jaloux que la terre
234soustiene, et disant au surplus qu'elle estoit
la seule en vie pour qui plus vouldroit faire.
«Et pource que je ne vous puis pas icy dire
combien je suis à vous, et pluseurs aultres
choses dont j'espere que ne serez que contente,
s'il vous plaist, je le mettray par escript
et demain le vous bailleray, vous suppliant
que mon petit service, partant de bon vouloir
et entier, ne soit pas refusé.» Elle l'escouta
voluntiers; mais, pour la presence du Dangier,
qui trop près estoit, guères ne respondit;
toutesfoiz elle fut contente de veoir ses lettres
quand elles viendront. L'amoureux print congé
assez joyeux et à bonne cause; et la damoiselle,
comme elle estoit doulce et gracieuse,
le congya; mais la vieille qui la suyvoit ne
faillit pas de demander quel parlement avoit
esté entre elle et celuy qui s'en va. «Il m'a,
dit-elle, apporté nouvelle de ma mère, dont
je suis bien joyeuse, car elle est en bon point.»
La vieille n'enquist plus avant; si vindrent à
l'ostel. L'aultre au lendemain, garny d'unes
lettres Dieu scet comment dictées, vint rencontrer
sa dame, et tant subitement et subtilement
les luy bailla que oncques le guet de
la vieille serpente n'en eut la cognoissance.
Ces lettres furent ouvertes par celle qui voluntiers
les vit quand elle fut à part. Le contenu
en gros estoit comment il estoit esprins
de l'amour d'elle, et que jamais ung seul jour
de bien n'aroit si temps et loisir prestez ne
luy sont pour plus au long l'en advertir, requerant
en conclusion qu'elle luy veille de
235sa grace jour et lieu assigner convenable à
ce faire, ensembles et response à ce contenu.
Elle fist unes lettres par lesquelles très gracieusement
s'excusoit de vouloir en amours
entretenir aultre que celuy auquel elle doit et
foy et loyauté; néantmains toutesfoiz, pourtant
qu'il est tant fort esprins d'amours à
cause d'elle, qu'elle ne vouldroit pour rien
qu'il n'en fust guerdonné, elle seroit très
contente d'oyr ce qu'il luy vouldroit dire, si
nullement povoit ou savoit; mais certes nenny;
tant près la tient son mary, qu'il ne la laisse
d'ung pas sinon à l'heure de la messe, qu'elle
vient à l'église, gardée et plus que gardée
par la plus pute veille qui jamais aultruy destourba.
Ce gentil compaignon, tout aultrement
habillé en point que le jour precedent, vint
rencontrer sa dame, qui très bien le congneut;
et au passer qu'il fist assez près d'elle receut
de sa main sa lettre dessus dicte. S'il avoit
faim de veoir le contenu, ce n'estoit pas de
merveille; il se trouva en ung destour où tout
à son aise et beau loisir vit et congneut l'estat
de sa besongne, qui luy sembloit estre en bon
train. Si regarda qu'il ne luy fault que lieu
pour venir au dessus et à chef de sa bonne
entreprise, pour laquelle achever il ne finoit
nuyt ne jour de adviser et penser comment
il se pourroit conduire. Il s'advisa d'un trèsbon
tour en la parfin, qui ne fait pas à oublier:
car il s'en vint à une sienne bonne amye qui
demouroit entre l'eglise où sa dame alloit à la
messe et l'ostel d'elle; et luy compta sans
236rien celer le fait de ses amours, luy priant que à
ce besoing luy veille aider et secourir. «Ce que
je pourroye faire pour vous, dist-elle, ne pensez
pas que je ne m'y employe de trèsbon
cueur.—Je vous mercye, dit-il; et seriez
vous contente qu'elle venist céans parler à
moy?—Ma foy, dit elle, pour l'amour de
vous, il me plaist bien.—Et bien! dit il, s'il
est en moy de vous faire autant de service,
pensez que j'aray cognoissance de ceste courtoisie.»
Il ne fut oncques aise tant qu'il eust
rescript à sa dame et baillé ses lettres, qui
contenoient qu'il avoit tant fait à une telle «qui
est ma très grande amye, femme de bien,
loyalle et secrète, et qui vous ame et cognoist
bien, qu'elle nous baillera sa maison pour
deviser. Et véez cy que j'ai advisé: je seray
demain en la chambre d'enhault, qui descouvre
sur la rue, et si aray emprès de moy
ung grand seau d'eaue et de cendres entremeslées,
dont je vous affubleray tout à coup
que vous passerez. Et si seray en habit si descogneu
que vostre veille ne ame du monde
n'ara garde de moy cognoistre. Quand vous
serez en ce point atournée, vous ferez bien
de l'esbahie et vous sauverez en ceste maison;
et par vostre Dangier manderez querre une
aultre robe; et tantdiz qu'elle sera au chemin,
nous parlerons ensemble.» Pour abréger,
ces lettres furent baillées, et la response fut
rendue par celle qui fut contente. Or fut venu
ce jour, et la damoiselle affublée par son serviteur
du seau d'eaue et de cendres, voire par
237telle façon que son couvrechef, sa robe et le
surplus de ses habillemens furent tous gastez
et percez. Et Dieu scet qu'elle fist bien de
l'esbahie et de la malcontente; et comme elle
estoit estollée, elle se bouta en l'ostel, ignorant
d'y avoir cognoissance. Tantost qu'elle
vit la dame, elle se plaindit de son meschef,
et n'est pas à vous dire le dueil qu'elle menoit
de ceste adventure. Maintenant plaint sa
robe, maintenant son couvrechef, et l'aultre
foiz son tixu; bref, qui l'oyoit, il sembloit que
le monde fust finé. Et Dangier sa meschine,
qui enrageoit d'angaigne, avoit ung coulteau
en sa main dont elle nestoioit sa robe le
mieulx qu'elle savoit. «Nenny, nenny, m'amye,
vous perdés vostre peine, ce n'est pas
chose à nettoyer si en haste; vous n'y sariez
faire chose maintenant qui valust rien; il fault
que j'aye une aultre robe et ung aultre couvrechef,
il n'y a point d'aultre remède; allez à
l'ostel et les m'apportez, et vous avancez de
retourner, que nous ne perdons la messe avecques
tout nostre mal.» La vieille, voyant la
chose estre necessaire, n'osa desdire sa maistresse;
si print et robe et couvrechef soubz
son manteau, et à l'ostel s'en va. Elle n'eut
pas si tost tourné les talons que sa maistresse
ne fut guidée en la chambre où son serviteur
estoit, qui voluntiers la vit en cotte simple et
en cheveulx. Et, tantdiz qu'ilz se devisèrent,
nous retournerons à parler de la vieille qui revint
à l'ostel, où elle trouva son maistre, qui
n'attendit pas qu'elle parlast, mais demanda
238incontinent: «Qu'avez vous fait de ma femme,
et où est elle?—Je l'ay laissée, dit-elle,
chés une telle, et en tel lieu.—Et à quel
propos?» dit-il. Lors elle luy monstra robe et
couvrechef, et luy compta l'adventure de la
tyne d'eaue et des cendres, disant qu'elle
vient querir aultres habillemens, car en ce
point sa maistresse n'osoit partir dont elle
estoit. «Est ce cela? dit-il; nostre dame, ce
tour n'estoit pas en mon livre! Allez, allez, je
voy bien que c'est.» Il eust voluntiers dit qu'il
estoit coux, et creez que si estoit-il à ceste
heure; et ne l'en sceut oncques garder livre
ne brevet où pluseurs tours estoient enregistrez.
Et fait assez à penser qu'il retint si bien
ce derrenier qu'oncques depuis de sa memoire
ne partit, et ne luy fut nesung besoing
que à ceste cause il l'escripsist, tant en eut
fresche souvenance le pou de bons jours qu'il
vesquit.
N'a guères que ung marchant de Tours,
pour festoyer son curé et aultres
gens de bien, achatta une belle et
grosse lemproye, et l'envoya à son
hostel, et chargea trèsbien sa femme de la
239mettre à point, ainsi qu'elle savoit bien faire.
«Et faictes, dist-il, que le disner soit prest à
douze heures, car j'ameneray nostre curé, et
aucuns aultres qu'il luy nomma.—Tout sera
prest, dit-elle, amenez qui vous vouldrez.»
Elle mist à point ung grand tas de bon poisson;
et quand vint à la lemproie, elle la
souhaicta aux Cordeliers, à son amy, et dist
en soy mesmes: «Ha, frère Bernard, que
n'estez vous cy! Par ma foy, vous n'en partiriez
tant qu'auriez tasté de la lemproye, ou,
se mieulx vous plaisoit, vous l'emporteriez
en vostre chambre; et je ne fauldroye pas de
vous y faire compaignie.» A trèsgrant regret
mettoit ceste bonne femme la main à ceste
lemproye, voire pour son mary, et ne faisoit
que penser comment son cordelier la pourroit
avoir. Tant pensa et advisa qu'elle conclud de luy
envoyer par une vieille qui savoit de son secret,
ce qu'elle fist, et luy manda qu'elle viendroit
ennuyt soupper et coucher avecques luy. Quand
maistre cordelier vit celle belle lemproye et
entendit la venue de sa dame, pensez qu'il
fut joyeux et bien aise; et dist bien à la vieille,
s'il peut finer de bon vin, que la lemproye ne
sera pas frustrée du droit qu'elle a, puis qu'on
la mengeue. La vieille retourna de son message
et dist sa charge. Environ douze heures,
véez cy nostre marchant venir, le curé et aucuns
aultres bons compaignons, pour devorer
ceste lemproye, qui estoit bien hors de leur
commendement. Quand ilz furent trestous
en l'ostel du marchant, il les mena trestouz en
240la cuisine pour leur monstrer la grosse lemproye
dont il les veult festoier; et appella sa femme,
et luy dist: «Monstrez nous nostre lemproye,
je veil savoir à ces gens si j'ay eu bon marché.—Quelle
lemproye? dit elle.—La lemproye
que je vous fiz bailler pour nostre disner,
avecques cest aultre poisson.—Je n'ay point
veu de lemproye, dit elle; je cuide, moy, que
vous songez. Véezcy une carpe, deux brochez
et je ne scay quelx aultres poissons; mais
je ne viz aujourd'uy lemproye.—Comment,
dit il, et pensez vous que je soye yvre?—Ma
foy ouy, dirent lors et le curé et les aultres,
nous n'en pensasmes aujourd'uy mains; vous
estes un peu trop chiche pour acheter lemproye
maintenant.—Par Dieu, dist la femme, il se
farse de vous, ou il a songé d'une lemproye,
car seurement je ne viz de cest an lemproye.»
Et bon mary de soy courroucer, et dit: «Vous
avez menty, paillarde, ou vous l'avez mengée,
ou vous l'avez cachée quelque part; je vous
promectz qu'oncques si chère lemproye ne fut
pour vous. «Puis se vira vers le curé et les
aultres, et juroit la mort bieu et ung cent de
sermens qu'il avoit baillé à sa femme une
lemproye qui luy cousta ung franc. Et ilz,
pour encores plus le tourmenter et faire enrager,
faisoient semblant de le non croire, et
tenoient termes comme s'ilz fussent mal contens,
et disoient: «Nous estions priez de disner
cheux ung tel et cheux ung tel, et si avons
tout laissé pour venir icy, cuidans menger de
la lemproye; mais ad ce que nous voyons, elle
241ne nous fera jà mal. L'oste, qui enrageoit tout
vif, print ung baston et marchoit vers sa
femme pour la tresbien frotter, si les aultres
ne l'eussent tenu, qui l'emmenèrent à force
hors de son hostel, et misrent peine de le
rappaiser le mieulx qu'ilz sceurent, quand ilz
le virent ainsi troublé. Puis qu'ilz eurent failly
à la lemproye, le curé mist la table et firent la
meilleure chère qu'ilz sceurent. La bonne damoiselle
à la lemproye manda l'une de ses
voisines qui vefve estoit, mais belle femme
et en bon point, et la fist disner avec elle.
Et, quand elle vit son point, elle dist: «Ma
bonne voisine, il seroit bien en vous de me
faire ung service et un tressingulier plaisir;
et si tant vouliez faire pour moy, il
vous seroit tellement par moy desservy que
vous en devriez estre contente.—Et que
vous plaist il que je face? dit l'aultre.—Je
le vous diray, dit elle: mon mary est
si trèsrude à ses besongnes de nuyt que c'est
grand merveille; et de fait, la nuyt passée,
il m'a tellement retournée que, par ma foy, je
ne l'oseroye bonnement ennuyt attendre. Si
vous prie que vous veillez tenir ma place, et
si jamais puis rien faire pour vous, me trouverez
preste de corps et de biens.» La bonne
voisine, pour luy faire plaisir et service, fut
contente de tenir son lieu, dont elle fut beaucop
et largement mercyée. Or devez vous
savoir que nostre marchant à la lemproye,
quand il vint puis le disner, il fist trèsgrande
et grosse garnison de bonnes verges de boul
242qu'il apporta secrètement en sa maison, et
auprès de son lit il les caicha, disant en soy
mesmes que sa femme ennuyt en sera trop
bien servie. Il ne scéut ce faire si celéement que
sa femme ne s'en donna tresbien garde, qui
n'en pensoit pas mains, cognoissant assez
par longue expérience la cruaulté de son mary,
lequel ne souppa pas à l'ostel, mais tarda
tant dehors qu'il pensa bien qu'il la trouveroit
nue et couchée. Mais il faillit à son emprinse,
car quand vint sur le soir et tard, elle fit despouillier
sa voisine et couchier en sa place,
en la chargeant expressément que elle ne responde
mot à son mary quand il viendra, mais
contreface la muette et la malade. Et si fist
encores plus, car elle estaindit le feu de léens,
tant en la cuisine comme en la chambre. Et
ce fait, à sa voisine chargea que tantost que
son mary sera levé le matin, qu'elle s'en voise
en sa maison. Elle, lui promist que si feroit
elle. La voisine ainsi logée et couchée, aux
Cordeliers s'en va la vaillant femme pour menger
la lemproye et gaigner les pardons, comme
assez avoit de coustume. Tantdiz qu'elle se
festiera léens, nous dirons du marchant, qui
après soupper s'en vint à son hostel, esprins
d'ire et de maltalent à cause de la lemproye;
et pour executer ce qu'en son pardedans avoit
conclud, il vint saisir ses verges et en sa main
les tint, cherchant partout de la chandele,
dont il ne scéut oncques recouvrer; mesmes
en la cheminée faillit il au feu trouver. Quand
il vit ce, il se coucha sans dire mot, et dormit
243jusques sur le jour, qu'il se leva et s'abilla,
et print ses verges et baptit tant la lieutenante
de sa femme que à pou qu'il ne la cravanta,
en luy ramantevant la lemproye, et la mist
en tel point qu'elle saignoit de tous costez,
mesmes les draps du lit estoient tant sanglans
qu'il sembloit que ung beuf y fut escorché;
mais la pouvre martire n'osoit pas dire ung
mot, ne monstrer le visage. Ses verges luy
faillirent, et fut lassé; si s'en alla hors de
l'ostel. Et la pouvre femme, qui s'attendoit
d'estre festoyée de l'amoureux jeu et gracieux
passetemps, s'en alla tantost après à sa maison,
plaindre son mal et son martire, non
pas sans menacer et sa voisine bien maudire.
Tantdiz que le mary estoit dehors, revint des
Cordeliers sa bonne femme, qui trouva sa chambre
de verges toute jonchée, son lit dérompu
et desfroissié et ses draps tous ensanglantez;
si cogneut bien tantost que sa voisine avoit
eu afaire de son corps, comme elle pensoit
bien; et sans tarder ne faire arrest refist son
lit et d'aultres beaulx draps et frez le rempara,
et sa chambre nettoya, et puis vers sa voisine
s'en alla, qu'elle trouva en piteux point;
et ne fault pas dire qu'elle ne trouva bien à
qui parler. Au plus tost qu'elle peut en son
hostel s'en retourna, et de tous poins se deshabilla,
et ou beau lit qu'elle avoit mis à
point se coucha, et dormit trèsbien jusques
ad ce que son mary retourna de la ville comme
sanchié de son courroux, pource qu'il s'en
estoit vengé, et vint à sa femme, qu'il trouva
244ou lit faisant la dormeveille: «Et qu'est cecy,
madamoiselle, dist il, n'est il pas temps de
lever?—Emy, dit elle, et est il jour? Par
mon serment, je ne vous ay pas oy lever;
j'estoye entrée en ung songe qui m'a tenue
ainsi longuement.—Je croy, dit il, que vous
songiez de la lemproye, ne faisiez pas? Ce ne
seroit pas trop grand merveille, car je la vous
ay bien ramantue à ce matin.—Par dieu, dit
elle, il ne me souvenoit de vous ne de vostre
lemproye.—Comment, dit il, l'avez vous si
tost oublyée?—Oublyée, dit elle, ung songe
ne m'arreste rien.—Et a ce esté songe, dit il,
de ceste poingnée de verges que j'ay usée
sur vous n'a pas deux heures.—Sur moy?
dit elle.—Voire vrayement, sur vous, dit-il.
Je scay bien qu'il y appert largement, et aux
draps de nostre lit avecques.—Par ma foy,
beaulx amys, dit elle, je ne scay que vous
avez fait ou songié, mais quant à moy il me
souvient très bien qu'aujourduy, au matin,
vous feistes de trèsbon appétit le jeu d'amours;
aultre chose ne scay je; aussi bien povez vous
avoir songé de m'avoir fait aultre chose comme
vous feistes hier de m'avoir baillé la lemproye.—Ce
seroit ung estrange songe, dit il; monstrez
vous ung peu que je vous voye.» Elle
osta la couverture et reversa, et toute nue se
monstra, sans tache ne blesseure quelconque.
Voit aussi les draps beaulx et blancs sans
souilleure ne tache. Si fut plus esbahy qu'on
ne vous saroit dire, et se print à muser et
largement penser; et en ce point longuement
245se tint. Mais toutesfoiz à chef de pièce il dist:
«Par mon serment, m'amye, je vous cuidoye
à ce matin avoir trèsfort jusques au sang batue,
mais je voy bien qu'il n'en est rien, si ne sçay
qu'il m'est advenu.—Dya, dit elle, ostez
vous hors d'ymaginacion de ceste baterie,
car vous ne me touchastes oncques, vous le
povez veoir; faictes vostre compte, vous l'avez
songé.—Je cognois, dist il lors, que vous
dictes voir; si vous requier qu'il me soit pardonné,
car je sçay bien que j'euz hier tort de
vous dire villannie devant les estrangiers que
j'amenay céans.—Il vous est legierement
pardonné, dit elle, mais toutesfoiz advisez
bien que vous ne soyez plus si legier ne si
hastif en voz affaires.—Non seray je, dit il,
m'amye.» Ainsi qu'avez oy fut le marchant
par sa femme trompé, cuidant avoir songé
avoir acheté la lamproye et le surplus fait ou
compte dessus dit.
Ung gentil chevalier des marches de
Haynau, riche, puissant, vaillant,
et trèsbeau compaignon, fut amoureux
d'une trèsbelle dame assez et
longuement; fut aussi tant en sa grace, et si
246privé d'elle, que toutesfoiz que bon luy sembloit
se rendoit en ung lieu de son hostel à
part et destourné, où elle luy venoit faire
compagnie; et là devisoient tout à leur beau
loisir de leurs gracieuses amours. Et n'estoit
ame qui rien scéust de leur très plaisant passe
temps, sinon une damoiselle qui servoit ceste
dame, qui bonne bouche trèslonguement
porta; et tant les servoit à gré en tous leurs
affaires qu'elle estoit digne d'ung grand guerdon
en recevoir. Elle avoit aussi tant de vertu
que non pas seulement sa maistresse avoit
gaignée par la servir comme dit est, et aultrement,
mais le mary de sa dame ne l'amoit
pas mains que sa femme, tant la trouvoit
loyalle, bonne, et diligente. Advint ung jour
que ceste dame sentent son serviteur le chevalier
dessusdit en son hostel, devers lequel
elle ne povoit aller si tost qu'elle eust bien
voulu, à cause de son mary qui les destournoit,
dont elle estoit bien desplaisante, s'advisa
de luy mander par la damoiselle qu'il
eust encores ung peu de pacience, et que au
plustost qu'elle saroit se desarmer de son
mary qu'elle viendra vers luy. Ceste damoiselle
vint vers le chevalier qui sa dame attendoit,
et dist sa charge. Et il, qui gracieux
estoit, la mercya beaucop de ce messaige,
et la fist seoir auprès de luy, puis la baisa
deux ou trois foiz très doulcement; elle l'endura
voluntiers, qui bailla courage au chevalier
de proceder au surplus, dont il ne fut
pas reffusé. Cela fait, elle revint à sa maistresse,
247et luy dist que son amy n'attendoit
qu'elle: «Helas! dit elle, je scay bien qu'il
est vray, mais monseigneur ne se veult coucher;
ilz sont cy je ne sçay quelz gens que je
ne puis laisser. Dieu les maudye! j'aymasse
mieulx estre vers luy. Il luy ennuye bien, fait
pas, d'estre ainsi seul?—Par ma foy, creez
que oy, dit elle, mais l'espoir de vostre venue
le conforte, et attend tant plus aise.—Je vous
en croy, mais toutesfoiz il est là seul, et sans
chandelle, et sont plus de deux heures qu'il y
est; il ne peut estre qu'il ne soit beaucop ennuyé.
Si vous prie, m'amye, que vous retournez
encores vers luy une foiz pour m'excuser,
et luy faictes compaignie ung espace; et entretant,
si Dieu plaist, le dyable emportera
ces gens qui nous tiennent cy.—Je feray ce
qu'il vous plaira, madame; mais il me semble
qu'il est si content de vous qu'il ne vous fault
jà excuser, et aussi se je y alloye vous demourriez
icy toute seule de femmes, et pourroit
monseigneur demander pour moy, et l'on
ne me saroit où trouver.—Ne vous chaille
de cela, dist elle, j'en feray bien s'il vous
mande; il me desplaist que mon amy est seul;
allez veoir qu'il fait, je vous en prie.—Je
y vois, puis qu'il vous plaist», dit elle. S'elle
fut bien joyeuse de ceste ambassade, il ne le
fault jà demander; mais pour couvrir sa volunté,
elle en fist l'excusance et le refus à sa
maistresse. Elle fust tantost vers le chevalier
attendant, qui la receut joieusement; si lui
dist:—«Monseigneur, madame m'envoie
248encores icy s'excuser devers vous pource que
tant vous fait attendre, et croyez qu'elle en
est la plus courroucée.—Vous luy direz,
dit il, qu'elle face tout à loisir, et qu'elle ne
se haste de rien pour moy, car vous tiendrez
son lieu.» Lors de rechef la baise et acole, et
ne la souffrit partir tant qu'il eut besognié
deux foiz, qui guères ne luy coustèrent; car
alors il estoit frez et jeune et homme fort à
cela. Ceste damoiselle print bien en pacience
sa bonne adventure, et eust bien voulu avoir
souvent une telle rencontre, sans le prejudice
de sa maistresse. Et quand vint au partir, elle
pria au chevalier que sa maistresse n'en sceust
rien. «Vous n'avez garde, dit il.—Je vous en
requier», dist elle. Et puis s'en vint à sa maistresse,
qui demanda tantost que fait son amy?
«Il est là, dit elle, et vous attend.—Voire,
dit elle, et est il point mal content?—Nenny,
dit elle, puis qu'il a compaignie. Il vous scet
trèsbon gré que vous m'y avez envoyée; et
si ceste attente estoit souvent à faire, il seroit
content m'avoir pour deviser et passer temps;
et par ma foy je y voys voluntiers, car c'est
le plus plaisant homme de jamais; et Dieu
scet qu'il le fait bon oyr maudire ces gens
qui vous retiennent, excepté monseigneur:
à luy ne vouldroit il toucher.—Saint Jehan!
dit elle, je voudroye que luy et la compaignie
fussent en la rivière, et je fusse dont vous
venez.» Tant passa le temps que monseigneur,
Dieu mercy, se deffist de ses gens, vint en sa
chambre, se déshabilla et coucha. Madame
249se mist en cotte simple, et print son attour de
nuyt, et ses heures en sa main, et commence
devotement, Dieu le scet, à dire sept pseaulmes
et paternostres; mais monseigneur, qui
estoit plus esveillé qu'un rat, avoit grand fain
de deviser, si vouloit que madame laissast ses
oroisons jusques à demain, et qu'elle parle à
luy: «Ha! monseigneur, dit elle, pardonnez
moy, je ne puis vous entretenir maintenant;
Dieu va devant, vous le savez; je n'aroye
meshuy bien, ne de sepmaine, si je n'avoie
dit le tant pou de service que je luy sçay
faire; et encores de mal venir je n'eu piéça
tant à dire que j'ay maintenant.» Alors dist
monseigneur: «Vous m'affolez bien de ceste
bigoterie; et est ce à faire à vous de dire tant
d'heures? Ostez, ostez, laissez les dire aux
prestres. Dy je pas bien, Jehannette?» dist il à
la damoiselle dessus dicte.—«Monseigneur,
dit elle, je n'en sçay que dire, sinon, puis que
madame est accoustumée de servir Dieu, qu'elle
parface.—A dya, dit madame, monseigneur,
je voy bien que vous estes avoyé de plaider,
et j'ay volunté d'achever mes heures; si ne
sommes pas bien d'un accord. Si vous lairray
Jehannette qui vous entretiendra, et je m'en
iray en ma chambrette là derrière tancer à
Dieu.» Monseigneur fut content. Si s'en alla
madame les grans galotz vers le chevalier son
amy, qui la receut Dieu scet en grand liesse
et reverence, car l'onneur qu'il luy fist n'estoit
pas maindre qu'à genouz ployez et enclinez
jusques à terre. Mais vous devez savoir que
250tantdiz que madame achevoit ses heures avec
son amy, monseigneur son mary, ne sçay de
quoy il lui sourvint, prya Jehannette, qui luy
faisoit compaignie, d'amours à bon escient.
Et pour abreger, tant fist par promesses et
par beau langage, qu'elle fut contente d'obéyr;
mais le pis fut que madame, au retour
de son amy, qui l'acola deux foiz à bon escient
avant son partir, trouva monseigneur son
mary et Jehannette sa chambrière en tel ouvrage
et semblable qu'elle venoit de faire,
dont elle fut bien esbahye, et encores plus
monseigneur et Jehannette, qui se trouvèrent
ainsi sourprins. Quand madame vit ce, Dieu
scet comment elle salua la compaignie, jà soit
qu'elle eust bien cause de se taire; et se print
à la pouvre Jehannette par si très grant courroux
qu'il sembloit bien qu'elle eust ung dyable
ou ventre, tant luy disoit de villainnes parolles.
Encores fist elle plus et pis, car elle print ung
grant baston et l'en chargea trèsbien le doz,
voyant monseigneur, qui en fut mal content et
desplaisant, et se leva sur piez et batit tant madame
qu'elle ne se povoit sourdre. Et quant elle
vit qu'elle n'avoit puissance que de sa langue,
Dieu scet s'elle la mist en œuvre, mais adressoit
la plus part de ses motz venimeux sur la
pouvre Jehannette, qui n'en peut plus souffrir,
si dit à monseigneur le gouvernement de
madame, et dont elle venoit à ceste heure de
dire ses oroisons et avec quy. Si fut la compaignie
bien troublée, monseigneur tout le
premier, qui se doubtoit assez, et madame, qui
251se trouve affolée et batue et de sa chambrière
accusée. Le surplus du gouvernement
du mesnaige bien troublé demoure en la
bouche de ceulx que le scevent, si n'en fault
jà plus avant enquerir.
Il advint naguères à Lille que ung
grand clerc et prescheur de l'ordre
Saint Dominicque convertit, par
sa sainte et doulce predicacion, la
femme d'un bouchier, par telle et si bonne
façon qu'elle l'aimoit plus que tout le monde,
et n'avoit jamais au cueur bien ne en soy parfaicte
liesse s'elle n'estoit emprès luy. Mais
maistre moyne en la parfin s'ennuya d'elle,
et estoit sur son corps dependant, ce qu'il luy
feist grand pièce après, et eust trèsbien voulu
qu'elle se fust deportée de si souvent le visiter;
dont elle estoit tant mal contente que
plus ne povoit, mesmes le reboutement qu'il
luy faisoit trop plus avant en son amour l'enracinoit.
Damp moyne, ce voyant, luy defendit
sa chambre, et chargea bien expressement à
son clerc qu'il ne la souffrist plus entrer dedans,
quelque chose qu'elle luy dye. S'elle fut
252plus mal contente que par avant, ce ne fut
pas de merveille, car elle estoit ainsi que forcenée.
Et si vous me demandez à quel propos
damp moyne ce faisoit, je vous respons que
ce n'estoit pas par devocion ne pour vouloir
qu'il eust de devenir chaste; mais la cause est
qu'il en avoit racointée une plus belle, plus
jeune beaucop, et plus riche, qui desjà estoit
tant privée qu'elle avoit la clef de sa chambre.
Tant fist toutesfoiz que la bouchière ne venoit
plus vers luy comme elle avoit de coustume;
si avoit trop meilleur et plus seur loysir sa
dame nouvelle de venir gaingner les pardons
en sa chambre et paier le disme, comme les
femmes d'Ostellerie, dont cy dessus est touché.
Ung jour fut prest de faire bonne chère
en la chambre de maistre moyne, après disner,
où sa dame promist de comparoir et faire apporter
sa porcion, tant de vin comme de
viande. Et car aucuns de ses frères de léens
estoient assez de son mestier, il en invita deux
ou troys tout secretement; et Dieu scet la
grand chère qu'on fist à ce disner, qui ne se
passa point sans boire d'autant. Or devez
vous savoir que nostre bouchière cognoissoit
assez les gens de ces prescheurs, qu'elle
veoit passer devant sa maison, qui portoient
puis du vin, puis des pastez, et puis des tartres,
et tant de choses que merveilles. Si ne
se peut tenir de demander quelle feste on fait
à leur hostel? Et il luy fut respondu que ces
biens sont pour ung tel, c'est assavoir son
moyne, qui a gens de bien au disner. «Et qui
253sont ilz? dit elle.—Ma foy je ne scay, dit il;
je porte mon vin jusques à l'huys tant seullement,
et là vient nostre maistre qui me descharge;
je ne sçay qui y est.—Voire, dit
elle, c'est la secrète compaignie. Or bien allez
vous en et les servez bien.» Tantost passa ung
aultre serviteur qu'elle interroga pareillement,
qui luy dist comme son compaignon, mais
plus avant, car il dit: «Je pense qu'il y a
une damoiselle qui ne veult pas estre veue ne
congneue.» Elle pensa tantost ce qui estoit;
si cuida bien enrager, tant estoit mal contente,
et disoit en soy mesmes qu'elle fera le
guet sur celle qui luy fait tort de son amy, et
qui luy a baillé le bout. Et s'elle la peut rencontrer,
ce ne sera pas sans luy dire sa leçon,
et egratigner le visage. Si se mist au chemin
en intencion d'executer ce qu'elle avoit conclud.
Quand elle fut venue au lieu desiré,
moult luy tardoit de rencontrer celle qu'elle
hayt plus que personne; si n'eut pas tant de
constance que d'attendre qu'elle saillist de la
chambre où elle avoit fait maintes bonnes
chères, mais s'advisa de prendre une eschalle
que ung couvreur avoit laissée lez son ouvrage
tantdiz qu'il estoit allé disner; elle
dressa ceste échelle à l'endroit de la cheminée
de la cuisine de l'ostel, où elle vouloit estre
pour saluer la compaignie, car bien savoir que
aultrement n'y pourroit entrer. Ceste eschelle
mise à point comme elle la voulut avoir, elle
monta jusques à la cheminée, à l'entour de
laquelle elle lya très bien une moyenne corde
254qu'elle trouva d'adventure. Et cela fait, trèsbien,
comme luy sembloit, elle se bouta dedans
la dicte cheminée, et se commença à
descendre et ung peu avaler; mais le pis fut
qu'elle demoura en chemin, sans se pouvoir
ravoir, ne monter, ne avaler, quelque peine
qu'elle y mist, et ce à l'occasion de son derrière
qui estoit beaucop gros et pesant, et de
sa corde qui rompit, par quoy ne se povoit
ressourdre. Si estoit, Dieu scet, en merveilleux
desplaisir, et ne savoit que faire ne que
dire. Si s'advisa qu'elle attendroit le couvreur
et qu'elle se mettroit en sa mercy, et l'appellera
quand il viendra querre son eschelle et sa
corde. Elle fut bien trompée, car le couvreur
ne vint à l'œuvre jusques au lendemain bien
matin, pource qu'il fist trop grand pluye, dont
elle eut bien sa part, car elle fut toute percée.
Quand vint sur le soir, bien tart, nostre bouchière
oyt gens deviser en la cuisine; si commença
à hucher, dont ilz furent bien esbahiz
et effraiez, et ne savoient qui les huchoit ne
où elle estoit. Toutesfoiz, quelque esbahiz
qu'ilz fussent, ilz entendirent encores ung peu:
s'ilz oyrent la voix du par avant, arrière hucher
très aigrement; si cuidèrent que ce fut
ung esperit, et le vindrent annuncer à leur
maistre, qui estoit en dortouer, et ne fut pas
si vaillant d'y venir veoir que c'estoit, mais il
mist tout à demain. Pensez la belle patience
que ceste bonne femme eut, qui fut toute la
nuyt en ceste cheminée. Et de sa bonne adventure,
il ne pleut long temps aussi fort, ne
255si bien. Lendemain, assez matin, nostre couvreur
revint à l'œuvre pour recouvrer la perte
que la pluye luy fist le jour devant. Il fut tout
esbahy de veoir son eschelle ailleurs qu'il ne
la laissa, et la cheminée lyée de sa corde: si
ne savoit qui ce avoit fait ne à quoy. Si s'advisa
d'aller querre sa corde, et monta à mont
son eschelle, et vint jusques à la cheminée,
et destacha sa corde; et de bien venir, bouta
sa teste dedans la cheminée, où il vit nostre
bouchière plus simple qu'un chat baigné, dont
il fut très esbahy. «Et que faictes vous icy,
dame? dit il; voulez vous desrober les pouvres
religieux de ceans?—Helas! mon amy,
dist elle, par ma foy, nenny. Je vous requier,
aidez moy à saillir d'icy, et je vous donneray
ce que me vouldrez demander.—A! je m'en
garderay bien, dist le couvreur, si je ne sçay
dont vous y venez.—Je le vous diray, puis
qu'il vous plaist, dit elle; mais je vous prie,
qu'il n'en soit nouvelle.» Lors luy compta tout
du long les amours d'elle et du moyne, et la
cause dont elle venoit là. Le couvreur eut pitié
d'elle, si fist tant, à quelque meschef que ce
fut, moyennant sa corde, qu'il la tira dehors,
et la mena en bas. Et elle luy promist que, si
tenoit bonne bouche, elle luy donneroit de la
char et de bœuf et de mouton pour fournir son
mesnage pour toute ceste année, ce qu'elle fist.
Et l'autre tint si secret son cas que chascun en
fut adverty.
Ung gentil chevalier de Haynau,
sage, subtil et trèsgrand voyageur,
après la mort de sa très bonne femme
et sage, pour les biens qu'il avoit
trouvez en mariage ne sceut passer son temps
sans soy lyer comme il fut par avant, car il
espousa une trèsbelle et gente damoiselle,
non pas des plus subtiles du monde; car, à
la verité dire, elle estoit ung peu lourde en la
taille, et c'estoit en elle qui plus plaisoit à
son mary, pource qu'il esperoit par ce point
mieulx la duyre et tourner à la fasson qu'avoir
la vouldroit. Il mist sa cure et son estude à la
fassonner, et de fait elle luy obéissoit et complaisoit
comme il le desiroit, si bien qu'il ne
sceut mieulx demander. Et entre aultres choses,
toutesfoiz qu'il vouloit faire l'amoureux
jeu, qui n'estoit pas si souvent qu'elle eust
bien voulu, il luy faisoit vestir ung très beau
jaserant, dont elle estoit bien esbahie; et de
prinsault lui demanda bien à quel propos il la
faisoit armer. Et il luy respondit qu'on ne se
doit point trouver à l'assault amoureux sans
armes. Et fut contente de vestir se jaserant;
257et n'avoit aultre regret que monseigneur
n'avoir l'assault plus au cueur, combien
que ce luy estoit assez grand peine s'aucun
plaisir ne fust ensuy. Et si vous demandez à
quel propos son seigneur ainsi la gouvernoit,
je vous respons que la cause qui à ce faire le
mouvoit estoit affin que madame ne désire
pas tant l'assault amoureux, pour la peine et
empeschement de ce jaserant. Mais combien
qu'il fust bien sage, il s'abusoit de trop; car
si le jaserant à chacun assault luy eust cassé
et doz et ventre, si n'eust elle pas refusé le
vestir, tant luy estoit et doulx et plaisant ce
qui s'ensuyvoit. Ceste manière de faire dura
beaucop, et tant que monseigneur fut mandé
pour servir son prince en la guerre, et en aultre
assault que le dessusdit. Si print congié de
madame et s'en alla où il fut mandé. Elle demoura
à l'ostel en la garde et conduicte d'un
ancien gentil homme et d'aucunes damoiselles
qui la servoient. Or devez vous savoir qu'en
cest hostel avoit gentil compaignon clerc, qui
trèsbien chantoit et jouoit de la harpe, et avoit
la charge de la despense. Et aprés disner
s'esbatoit voluntiers de la harpe; à quoy madame
prenoit trèsgrand plaisir, et se rendoit
souvent vers luy au son de la harpe. Tant
y ala et tant s'i trouva que le clerc la pria d'amours;
et elle, désirant de vestir son jaserant,
ne l'escondit pas, ainçois luy dist: «Venez vers
moy à tele heure et en telle chambre, et je vous
feray response telle que vous serez content.»
Elle fut beaucop merciée, et à l'heure assignée,
258nostre clerc ne faillit pas devenir hurter où
madame luy dist, qui l'attendoit de pié coy, le
beau jaserant en son doz. Elle ouvrit la chambre,
et le clerc la vit armée; si cuida que ce
fust aultry qui fust embusché léens pour luy
faire desplaisir; dont il fut si trèseffrayé que, de
la grand paour qu'il eut, il chéut à la reverse
et descompta ne sçay quants degreez si trèsroiddement
qu'à pou qu'il ne se rompit le col.
Mais toutesfoiz il n'eut garde, tant bien luy
aida Dieu et sa bonne querelle. Madame, qui
le vit en ce point et dangier, fut très desplaisante
et mal contente; si vint en bas et luy
aida à sourdre, et luy demanda dont luy venoit
ceste paour. Et il luy compta et dist que
vrayement il cuydoit estre deceu. «Vous n'avez
garde, dit elle, je ne suis pas armée pour vous
faire mal»; et en ce disant, montèrent arrière
les degrez, et entrèrent en la chambre. «Madame,
dit le clerc, je vous pry, dictes moy,
s'il vous plaist, qui vous meut de vestir ce
jaserant.» Et elle, comme ung peu faisant la
honteuse, luy respondit: «Et vous le savez
bien.—Par ma foy, sauf vostre grace, madame,
dit il, se je le sceusse je ne le demandasse
pas.—Monseigneur, dit elle, quand il
me veult baiser et parler d'amours, il me fait
en ce point habiller, et je sçay bien que vous
venez icy à ceste cause; et pour ce me suys
mise en point.—Madame, dit il, vous avez
raison; et aussi vous me faictes souvenir que
c'est la manière des chevaliers d'en ce point
faire adouber leurs dames. Mais les clercs ont
259tout aultre manière de faire, qui à mon advis
est trop plus belle et plus aisée.—Et quelle
est elle, dist la dame, je vous prie?—Je la
vous monstreray», dit il. Lors la fist despoiller
de son jaserant et du surplus de ses habillemens
jusques à la belle chemise, et il pareillement
se deshabilla, et misrent à point le beau
lit qui là estoit, et se coucherent tout dedans
et se désarmèrent de leurs chemises et passèrent
temps deux ou trois heures bien plaisamment.
Et avant partir, le gentil clerc monstra à
madame la coustume des clercs, quelle beaucop
loa et trop plus que celle des chevaliers. Assez et
souvent se rencontrèrent depuis en la fasson
dessusdicte, sans qu'il en fust nouvelle, quoy
que madame fust pou subtille. A chef de pièce,
monseigneur retourna de la guerre, dont madame
ne fut pas trop joyeuse en son pardedans,
quelque semblant qu'elle monstrast au
pardehors. Et à l'heure de disner, et car el
savoit sa venue, il fut servy, Dieu scet comment.
Ce disner se passa; et quand vint à dire
graces, monseigneur se mist en son reng, et
madame print son quartier. Tantost que graces
furent achevées et dictes, monseigneur, pour
faire du mesnagier et du gentil compaignon,
dist à madame: «Allez tost en nostre chambre
et vestez vostre jaserant.» Et elle, recordant du
bon temps qu'elle avoit eu avec son clerc,
respondit tout subit: «Ha! monseigneur, la
coustume des clercs vault mieulx.—La coustume
des clercs! dit-il. Et savez vous leur
coustume?» Si se commença à fumer, et coleur
260changer, et se doubta de ce qui estoit, combien
qu'il n'en sceut oncques rien, car il fut
tout à coup mis hors de sa doubte. Madame
ne fut pas si beste qu'elle n'aperceust bien que
monseigneur n'estoit pas content de ce qu'elle
avoit dit, si s'advisa de trouver le ver: «Monseigneur,
je vous ay dit que la coustume des
clercs vault mieulx, et encores le vous dy je.—Et
quelle est elle? dit il.—Ilz boivent
après grâces.—Voire dya, dit il, saint Jehan!
vous dictes vray, c'est leur coustume voirement,
qui n'est pas mauvaise; et pource que
vous la prisez tant, nous la tiendrons doresenavant.
Si firent apporter du vin et beurent,
et puis madame alla vestir son jaserant, dont
elle se fust bien passée, car le gentil clerc luy
avoit monstré aultre fasson de faire qui trop
mieulx luy plaisoit. Comme vous avez oy fut
monseigneur par madame en sa response abusé.
Et fault dire que le sens subit qui luy vint à
mémoire à ce coup luy descendit en la vertu du
clerc, qui depuis luy monstra foison d'aultres
tours, dont monseigneur en la parfin se trouva
noz amis.
L'an cinquante derrenier passé, le
clerc d'un village du diocèse de
Noyon, pour impetrer et gaigner
les pardons qui furent à Romme,
qui sont tels que chascun sçait, se mist à chemin,
en la compaignie de pluseurs gens de
bien de Noyon, de Compiengne, et des lieux
voisins. Mais avant son departement disposa
de ses besoignes bien et surement: premièrement
de sa femme et de son mesnage, et le
fait de sa coustrerie recommenda à ung jeune
gentil clerc pour la desservir jusques à son retour.
En assez bref temps il vint à Romme
lui et sa compaignie, et firent chacun leur
devocion et pelerinage le mains mal qu'ilz
sceurent; mais vous devez savoir que nostre
clerc trouva d'adventure à Romme ung de ses
compaignons d'escole du temps passé, qui
estoit ou service d'un grand cardinal, et en
grand autorité, qui fut trèsjoieux de l'avoir
trouvé, pour l'accointance qu'il avoit à luy, et
luy demanda de son estat. Et l'autre luy
compta tout du long tout premier comment il
estoit, hélas! maryé, son nombre d'enfans, et
262comment il estoit clerc d'une parroiche. «Ha!
dit son compaignon, par mon créateur, il me
desplaist bien que vous estes maryé.—Pourquoy?
dit l'autre.—Je le vous diray, dit il;
ung tel cardinal m'a chargé expressément que
je luy trouve un serviteur pour estre son notaire,
qui soit de nostre marche; et croiez
que ce seroit trèsbien vostre fait, pour estre
tost et largement pourveu, se ce ne fust vostre
mariage, qui vous fera repatrier, et espoire
plus grans bien perdre que vous n'y arez.—Par
ma foy, dit le clerc, mon mariage n'y
fait rien, mon compaignon; car, à vous dire
vérité, je me suis party de nostre pays soubz
umbre du pardon qui est à present icy. Mais
creez que ce n'a pas esté ma principale intention,
car j'ay conclud d'aller jouer deux ou
trois ans par pays; et ce pendant ce temps
si Dieu vouloit prendre ma famme, jamais je
ne fu si eureux. Et pourtant je vous requier
que vous soyez mon moyen vers ce cardinal
que je le serve; et, par ma foy, je feray tant
que vous n'arez jà reprouche pour moy; et
s'ainsi le faictes vous me ferez le plus grand
service que jamais compaignon fist à autre.—Puis
que vous avez ceste volunté, dist
son compaignon, je vous serviray à ceste
heure, et vous logeray pour avoir bon temps,
se à vous ne tient.—Et, mon amy, je vous
mercie», dit l'autre. Pour abreger, nostre clerc
fut logié avecques ce cardinal, laquelle chose
il manda à sa femme, l'ensemble et son intencion,
que n'est pas de retourner par delà si
263tost qu'il luy dist au partir. Elle se conforta,
et luy rescripst qu'elle fera le mieulx qu'elle
pourra. Ou service de ce cardinal se maintint
et conduisit gentement nostre bon clerc, et fist
tant à chef de pièce qu'il gaigna son maistre,
lequel n'avoit pas pou de regret qu'il n'estoit
habile à tenir bénéfices, car largement l'en
eust pourveu. Pendant le temps que nostre
dit clerc estoit ainsi en grace que dit est, le
curé de son village alla de vie à mort, et
ainsi vaca son benefice, qui estoit ou mois du
pape, dont le coustre, tenant le lieu de son
compaignon estant à Romme, se pensa qu'au
plus tost qu'il pourroit qu'il courroit à Romme
et feroit tant à l'ayde de son compaignon
qu'il auroit ceste cure. Il ne dormit pas, car
en pou de jours, après maintes peines et travaulx,
tant fist qu'il se trouva à Romme, et
n'eut oncques bien tant qu'il eust trouvé son
compaignon, le clerc servant le cardinal.
Après grosses recognoissances et d'ung costé
et d'aultre, le clerc demanda de sa femme,
et l'autre, esperant de luy faire ung trèsgrand
plaisir, et affin que la besoigne dont il le veult
requerre en vaille mieulx, luy respondit
qu'elle estoit morte; dont il mentoit, car je
tien qu'à ceste heure elle saroit bien tanser
son mary. «Dictes vous doncques que ma
femme est morte, dit le clerc, et je prie à
Dieu qu'il luy pardonne ses pechez.—Oy
vrayement, dit l'autre, la pestilence de l'année
passée avecques aultres pluseurs l'emporta.»
Or faindoit il ceste bourde, qui depuis
264luy fut cher vendue, pource qu'il savoit que
le clerc ne s'estoit party de son pais qu'à l'occasion
de sa femme, qui estoit trop peu paisible,
et que plus plaisant nouvelle d'elle ne
luy pourroit on apporter que de sa mort. Et à
la vérité ainsi en estoit il, mais le rapport fut
faulx. «Et qui vous amaine en ce pais? dist il,
après pluseurs et diverses devises.—Je le
vous diray, mon compaignon et mon amy. Il
est vrai que le curé de nostre ville est trespassé;
si vien vers vous pour que par vostre
bon moien je puisse parvenir à son benefice. Si
vous prie tant que puis que me veillez aider
à ce besoing. Je sçay bien qu'il est en vous
de le me faire avoir, à l'aide de monseigneur
vostre maistre.» Le clerc, pensant sa femme
estre morte et la cure de sa ville vacquer,
conclud en soy mesmes que il happera ce
benefice, et aultres encores, s'il y peut parvenir.
Mais toutesfoiz il ne le dit pas à son compaignon,
ainçois luy dist qu'il ne tiendroit
pas à luy qu'il ne soit curé de leur ville, dont
il fut beaucop mercyé. Tout autrement alla,
car au lendemain nostre saint père, à la requeste
du cardinal maistre de nostre clerc,
luy donna ceste cure. Si s'en vint ce clerc à
son compaignon, quand il sceut ces nouvelles,
et luy dist: «Ha! mon amy, par ma foy,
vostre fait est rompu, dont me desplaist bien.—Et
comment? dit l'aultre.—La cure de
nostre ville est donnée, dit il, mais je ne sçay
à qui. Monseigneur mon maistre vous a cuidé
aider, mais il n'a pas esté en sa puissance de
265faire vostre fait.» Qui fut bien mal content,
ce fut celuy qui estoit venu de si loing perdre
sa peine et despendre son argent, dont ce ne
fut pas dommaige. Si print congié bien piteux
de son compaignon, et s'en retourna en son
pais, sans soy vanter de la bourde qu'il a
semée. Or retournons à nostre clerc, qui estoit
plus gay que une mitaine de la mort de sa
femme, et de la cure de leur ville que nostre
saint père, à la requeste de son maistre, luy
avoit donnée pour recompense. Et disons
comment il devint prestre à Romme, et y
chanta sa bien devote première messe, et
print congié de son maistre pour une espace
de temps, à venir par deçà à leur ville prendre
possession de sa cure. A l'entrée qu'il fist
de leur ville, de son boneur la première personne
qu'il rencontra ce fut sa femme, dont
il fut bien esbahy, je vous en asseure, et encores
beaucop plus courroucé. «Et qu'est ce
cy, dist il, m'amye? et on m'avoit dit que
vous estiez trespassée.—Je m'en suis bien
gardée, dit elle. Vous le dictes, ce croy je,
pource que l'eussez bien voulu; et vous l'avez
bien monstre, qui m'avez laissée l'espace de
cinq ans à tout une grant tas de petiz enfans.—M'amye,
dit il, je suis bien joyeux
de vous veoir en bon point, et en loe Dieu de
tout mon cueur; maudit soit qui m'en apporta
aultres nouvelles!—Ainsi soit il, dit elle.—Or
je vous diray, m'amye: je ne puis arrester
pour maintenant; force est que je m'en aille
hastivement devers monseigneur de Noyon,
266pour une besongne qui luy touche; mais au
plus bref que je pourray je vous verray.» Il se
partit de sa femme et prend son chemin devers
Noyon, mais Dieu scet s'il pensa en chemin
à son pouvre fait: «Hélas! dit il, or suis je
homme deffait et deshonoré: prestre, clerc,
et maryé! Je croy que je suis le premier maleureux
de cest estat.» Il vint devers monseigneur
de Noyon, qui fut bien esbahy d'oyr son
cas, et ne le sceut conseiller; si le renvoya à
Romme. Quand il y fut venu, il compta à son
maistre, du long et du lé, la verité de son adventure,
qui en fut trèsamèrement desplaisant.
Au lendemain il compta à nostre saint
père, en la presence du colliège des cardinaux
et de tout le conseil, l'adventure de son
homme qu'il avoit fait curé. Si fut ordonné
qu'il demourra prestre et maryé et curé aussi.
Et demourra avec sa femme en la façon que
ung homme maryé honorablement et sans
reprouche, et seront ses enfans legitimez et
non bastards, jà soit que le père soit prestre.
Mais au surplus, s'il est trouvé qu'il aille aultre
part que à sa femme, il perdra son benefice.
Ainsi qu'avez oy fut ce galant puny par
faulx donner à entendre de son compaignon;
et fut contraint de venir demourer sur son
benefice, et qui plus et pis est, avecques sa
femme, dont il se fust bien passé si l'eglise
ne l'eust ordonné.
N'a guères que ung bon homme, laboureur
et marchant et tenant sa
residence en ung bon village de la
chastellenie de Lille, trouva façon
et manière, au pourchaz de luy et de ses bons
amis, d'avoir à femme une trèsbelle jeune
fille qui n'estoit pas des plus riches; et aussi
n'estoit son mary, mais trèsconvoiteux estoit
et homme de grand diligence, et qui fort tiroit
d'acquerre et gaigner. Et elle d'aultre part
mettoit peine d'entretenir le mesnage selon le
desirier de son mary, qui à ceste cause l'avoit
beaucop en grace, lequel à mains de regret
alloit souvent es affaires de sa marchandise,
sans avoir doubte ne suspicion qu'elle feist
aultre chose que bien. Mais le pouvre homme
sur ceste fiance tant y alla et tant la laissa
seule, que ung gentil compaignon s'approucha,
et pour abreger fist tant à pou de jours
qu'il fut son lieutenant, dont guères ne se
doubtoit celuy qui cuidoit avoir du monde la
meilleur femme, et qui plus pensast à l'accroissement
de son honneur et de sa chevance.
Ainsi n'estoit pas, car elle abandonna
tost l'amour qu'elle luy devoit, et ne luy
268challut du prouffit ne du dommage; ce seulement
luy suffisoit qu'elle se trouvast avecques
son amy, dont il en advint ung jour ce
qui s'ensuyt. Nostre bon marchant dessusdit
estant dehors, comme il avoit de coustume,
sa femme le fist tantost savoir à son amy, qui
n'eust pas failly voluntiers à son mandement,
mais vint tout incontinent. Et affin qu'il ne
perdist temps, au plustost qu'oncques peut ne
sceust s'approucha de sa dame, et luy mist
en terme pluseurs et divers propos amoureux;
et pour conclusion, le desiré plaisir ne luy
fut pas escondit néant plus que autresfoiz,
dont le nombre n'estoit pas petit. De mal venir,
tout à ce beau cop que ces amours se faisoient,
véez bon mary d'arriver, qui trouve la
compagnie en besoigne, dont il fut bien esbahy,
car il n'eust pas pensé que sa femme
fust telle. «Qu'est ce cy? dist il; par la mort
bieu, ribauld, je vous tueray tout roidde.» Et
l'aultre, qui se treuve surprins et en meffait
present achopé, ne savoit sa contenance;
mais car il le savoit diseteux et fort souffreteux,
il luy dist tout subit: «Ha! Jehan, mon
amy, je vous cry mercy, pardonnez moy si je
vous ay rien meffait, et par ma foy je vous
donray six rasures de blé.—Par dieu, dit il,
je n'en feray rien; vous passerez par mes
mains et auray la vie de vostre corps, si je
n'en ay douze rasures. Et la bonne femme,
qui oyoit ce débat, pour y mettre le bien
comme elle estoit tenue, s'advança de parler
et dist à son mary: «Et Jehan, beau sire, laissez
269luy achever ce qu'il a commencé, je vous
requier, et vous aurez huit rasures. N'ara pas?
dit elle, en se virant vers son amy.—J'en
suis content, dit il, mais, par ma foy, c'est
trop, ad ce que le blé est cher.—Est ce trop?
dist le vaillant homme; et par la mort bieu,
je me repens bien que je n'ay dit plus hault,
car vous avez forfait une emende, s'il venoit
à la cognoissance de la justice, qui vous seroit
beaucop plus tauxée; pourtant faictes vostre
compte que j'en aray douze rasures, ou vous
passerez par là.—Et vrayement, dit sa femme,
Jehan, vous avez tort de me desdire; il me
semble que vous devez estre content à ces
huit rasures, et pensez y que c'est ung grand
tas de blé.—Ne m'en parlez plus, dit il, j'en
auray douze rasures, ou je le tueray et vous
aussi.—A dya, dit le compaignon, vous estes
ung fort marchant; et au mains puis qu'il
fault que vous aiez tout à vostre dit, j'auray
terme de paier.—Cela veil je bien, mais j'aray
mes douze rasieres.» La noise s'appaisa; et fut
prins jour de paier à deux termes, les six rasures
au lendemain, et les aultres à la saint
Remy prouchainement venant, et ce par l'ordonnance
de sa femme comme moien, qui dist à
son mary: «Or ça, vous estes content, n'est ce
pas, de recevoir vostre blé comme j'ay dit.—Oy,
vrayement, dit il.—Or vous en allez, dit
elle, tant qu'il ayt achevé ce qu'il avoit encommencé
quand vous sourvenistes; aultrement son
marché seroit nul, que vous l'entendez, car je
l'ay mis en devis, s'il vous en soubvient.—Saint
270Jehan, il est ainsi, dit le bon compaignon; je
n'yray pas à l'encontre de mon mot, dist le
bon marchand. Jà Dieu ne veille que en marché
que je face on me trouve trompeur ne
mensongier. Vous achèverez ce qu'avez entreprins,
et j'aray mes douze rasieres de blé aux
termes dessusdictz. Veez là nostre marchié,
n'est pas?—Oy, vrayement, dit sa femme.—Et
adieu donc, dist il; mais toutesfoiz qu'il
n'y ait pas faulte que je n'aye demain six rasieres
de blé.—Ne vous doubtez, dit l'aultre, je
vous tiendray promesse.» Ainsi se partit ce vaillant
homme de sa maison, joyeux en son courage,
pour ces douze rasieres de blé qu'il doit
avoir. Et sa femme et son amy recommencèrent
de plus belle. Du payer soit à l'adventure,
combien toutesfoiz qu'il me fut dit depuis que
le blé fut payé et délivré au jour et terme
dessus dictz.
Comme il est aujourduy largement de
prestres et curez qui sont si gentilz
compaignons que nulles des folies
que font et commettent les gens laiz
ne leur sont impossibles ne difficiles, avoit n'a
guères en ung bon village de Picardie ung
271maistre curé qui faisoit rage d'amer par
amours. Et entre les autres femmes et belles
filles de sa parroiche, il choisit et enoeilla une
trèsbelle jeune et gente fille à marier, et ne
fut pas si peu hardy qu'il ne luy comptast tout
du long son cas. De fait, son bel et asseuré
langage, cent mille promesses et auttretant de
bourdes, la menèrent ad ce qu'elle estoit assez
comme contente d'obéyr à ce curé, qui n'eust
pas esté ung petit dommage, tant estoit
belle, gente, et de plaisans manières; et n'avoit
en elle que une faulte, c'estoit qu'elle
n'estoit pas des plus subtilles du monde. Toutesfoiz
je ne sçay dont luy vint cest advis ne
manière de respondre; elle dist ung jour à son
curé, qui chauldement poursuyvoit sa besogne,
qu'elle n'estoit pas conseillée de faire ce qu'il
requéroit tant qu'elle fust à marier; car si par
adventure, comme il advient chacun jour, elle
faisoit ung enfant, elle seroit à tousjours mès
femme deshonorée et reprouchée de son père,
de sa mère, de ses frères, et de tout son lignage;
laquelle chose elle ne pourroit souffrir,
et n'a pas cueur pour soustenir et porter le
desplaisir et ennuy qu'endurer luy conviendroit
à ceste occasion: «Et pourtant hors de ce propos,
si je suis quelque jour mariée, parlez à moy,
je feray ce que je pourray pour vous, et non
aultrement; affin que vous ne vous y attendez
point je le vous dy, et m'en creez une
fois pour toutes.» Monseigneur le curé ne fut
pas trop joyeux de ceste response absolue;
et ne scet penser de quel courage, ne à quel
272propos elle part; toutesfoiz luy, qui estoit prins
ou las d'amours et féru bien à bon escient, ne
veult pas pourtant sa queste abandonner; si
dit à sa dame: «Or ça, m'amye, estez vous en
ce fermée et conclue que de riens faire pour
moy si vous n'estes mariée?—Certes oy,
dit elle.—Et si vous estiez mariée, dit il, et
j'en estoie le moien et la cause, en ariez vous
après cognoissance, en moy tenant loyaulment
et sans faulseté ce que m'avez promis?—Par
ma foy, dit elle, oy, et de rechef le vous
promectz.—Or bien grant mercy, dit il,
faictes bonne chère, car je vous promectz
seurement qu'il ne demourra pas à mon pourchaz
ne à ma chevance que vous ne le soyez,
et de bref, car je suis seur que vous ne le
desirez pas tant que je faiz; et affin que vous
voiez à l'œil que je suis celuy qui veil emploier
et corps et biens en vostre service,
vous verrez comment je me conduiray en ceste
besoigne.—Or bien, dit elle, monseigneur le
curé, l'on verra comment vous ferez.» Sur ce
se fist la despartie; et bon curé, qui avoit le
feu d'amours, ne fut depuis guères aise tant
qu'il eut trouvé le père de sa dame, et se mist
en langage avecques luy de pluseurs et diverses
matères; et en la fin il vint et cheut à
parler de sa fille, et luy va dire bon curé:
«Mon voisin, je me donne grand merveille,
si font aussi pluseurs voz voisins et amys, que
vous ne mariez vostre fille, et à quel propos
vous la tenez tant d'emprès vous, et si savez
toutesfoiz que la garde est périlleuse. Non pas,
273Dieu me veille garder que je dye ou voulsisse
dire qu'elle ne soit toute bonne; mais
vous en voiez tous les jours mesadvenir puis
qu'on les tient oultre le terme deu. Pardonnez-moy
toutesfoiz que si fiablement vous
ouvre et descouvre mon courage; car l'amour
que je vous porte, la foy aussy que je vous
doy, en tant que je suis vostre pasteur indigne,
me semonnent et obligent de ce faire.—Par
dieu! monseigneur le curé, dist le
bon homme, vous ne me dictes chose que je
ne cognoisse estre vraye; et tant que je puis
vous mercye; et ne pensez pas ce que je la
tiens si longuement avecques moy c'est malgré
moy; car quand son bien viendra, par
ma foy, je me traveilleray pour elle comme je
doy. Vous ne voulez pas que je luy pourchasse
ung mary, mais s'il en vient ung qui soit
homme de bien, je feray comme ung bon père
doit faire.—Vous dictes trèsbien, dit le
curé, et par ma foy, vous ne povez mieulx
faire que de vous en despescher, car c'est
grand chose de veoir ses enfans allyez en sa
plaine vie. Et que diriez vous d'un tel, le filz
d'un tel vostre voisin? par ma foy, il me
semble bon homme, bon mesnagier, et ung
grand laboureur.—Saint Jehan, dit le bon
homme, je n'en dy que tout bien; quant à
moy je le cognois pour ung bon jeune homme
et bon laboureur. Son père et sa mère et tous
ses parens sont gens de bien; et quand ilz
feroient cest honneur à ma fille que de la requerre
à mariage pour luy, je leur en respondroye
274tellement qu'ilz devroient estre contens
par raison.—Ainsi m'aïst Dieu, dist le curé,
l'on ne dist jamais mieulx, et pleust à Dieu
que la chose en fust ores bien faicte ainsi
comme je le desire; et pource que je sçay à la
verité que ceste allyance seroit le bien des
parties, je m'y veil emploier; et sur ce adieu
vous dy.» Si ce maistre curé avoit bien fait son
personnage au père de sa dame, il ne le fist
pas mains mal au père du jeune homme qu'il
avoit mis en bouche à son beau père qui sera
s'il peut; et luy va faire ung grand premisse,
que son filz estoit en eage de marier, et qu'il
le deust pieça estre; et cent mille raisons luy
amène par lesquelles il dit et veult conclure
que le monde est perdu si son filz n'est tantost
maryé. «Monseigneur le curé, dit ce segond
bon homme, je scay que vous dictes au
plus près de verité; et en conscience, si je
fusse aussi bien à l'avantage que j'ay esté puis
ne sçay quants ans, il ne fust pas encores à
marier; car c'est une des choses en ce monde
que plus je desire; mais faulte d'argent l'en
a retardé, et c'est force qu'il ait encores pacience
jusques ad ce que nostre seigneur nous
envoye plus de bien que encores n'avons.—A
dya, dit le curé, je vous entens bien, il ne
vous fault que de l'argent.—Par ma foy non,
dit il; si j'en eusse comme aultresfoiz ay eu,
je luy querroye tantost une femme.—J'ay
regardé en moy, dit le curé, pource que je
vouldroye le bien et avancement de vostre
filz, que la fille d'un tel, c'est assavoir sa dame,
275seroit trop bien sa charge; elle est belle et
bonne, et a son père bien de quoy, et tant en
sçay je il luy veult trèsbien aider, et qui n'est
pas pou de chose, c'est ung sage homs, de bon
conseil, et bon amy, et à qui vous et vostre
filz ariez ung grand recours et trèsbon secours.
Quen dictes vous?—Certainement, dit le
bon homme, pleust à Dieu que mon filz fust
si eureux que d'avoir allyance en si bon hostel;
et certes si je pensoye en aucune fasson
qu'il y peust parvenir, et je fusse fourny d'argent
aussi bien que je ne suis mye, je y emploiroye
tous mes amis, car je sçay tout de
vray qu'il ne saroit en ceste marche mieulx
trouver.—Je n'ay pas donc, dit le curé, mal
choisy. Et que diriez vous se je parloie de
ceste besoigne au père, et je la conduisoie
tellement qu'elle sortist à effect desiré, et je
vous faisoie encores avecques ce le plaisir
que de vous prester jusques a vingt frans jusques
à ung terme que nous deviserons?—Par
ma foy, dit le bon homme, monseigneur
le curé, vous m'offrez plus de biens que je ne
vaulx ne qu'en moy n'est du deservir. Mais
s'ainsi le faisiez, vous m'obligeriez à tousjours
mès à vostre service.—Et vrayement,
dit le curé, je ne vous ay dit chose que je ne
face; et faictes bonne chère, car j'espère
ceste besongne mener à fin.» Pour abreger,
maistre curé, esperant de joyr de sa dame
quand elle seroit mariée, conduisit les besoignes
en tel estat, et par le moien des vingt
francs qu'il presta, ce mariage fut fait et passé
276et vint le jour des nopces. Or est il de coustume
que l'espousé et l'espousée se confessent
à tel jour. Si vint l'espousé premier, et se
confessa à ce curé; et quand il eut fait, il se
tire ung petit arrière de luy, disant ses oroisons
et paternostres. Et véez cy l'espousée qui
se mect à genoux devant le curé et se confesse.
Quand elle eut tout dit, il parla voire si hault
que l'espousé, qui n'estoit pas loing, l'entendit
tout du long, et dist: «M'amye, je vous
prie qu'il vous souvienne maintenant, car il
est heure, de la promesse que me feistes n'a
guères; vous me promistes que quand vous
seriez mariée que je vous chevaulcheroye; or
l'estes vous, Dieu mercy, par mon moien et
pourchaz, et moyennant mon argent que j'ay
presté.—Monseigneur le curé, dit elle, je
vous tiendray ce que je vous ay promis, se
Dieu plaist, n'en faictes nulle doubte.—Je
vous en mercie», dit il; puis luy bailla l'absolucion,
après ceste devote confession, et la
laissa courre. Mais l'espousé, qui avoit oy
ces parolles, n'estoit pas bien à son aise. Toutesfoiz
il n'estoit pas heure de faire le courroucié.
Après que toutes les solennitez de
l'eglise furent passées, et que tout fut retourné
à l'ostel, et que l'heure de coucher approuchoit,
l'espousé vint à ung sien compaignon
qu'il amoit trèsbien, et luy pria qu'il luy feist
garnison d'une grosse poignée de verges, et
qu'il la mist secrètement soubz le chevet de
son lit, et l'autre le fist. Quand il fut heure,
l'espousée fut couchée, comme il est de coustume,
277et tint le coing du lit, sans mot dire.
L'espousé vint assez tost après, et se mect à
l'autre bort du lit sans l'approucher, ne mot
dire; et à lendemain se lève sans aultre chose
faire, et caiche ses verges dessoubz son lit.
Quand il fut hors de la chambre, véezcy bonnes
matrones qui viennent, et trouvent l'espousée
ou lit, et ne fut pas sans demander
comment c'est portée la nuyt, et qu'il luy semble
de son mary. «Ma foy, dit elle, véezlà sa
place, là loing, monstrant le bort du lit, et
véezcy la mienne; il n'approucha ennuyt de
plus près et aussi n'ay je de luy. «Elles furent
bien esbahies et plus y pensèrent les unes que
les aultres; toutesfoiz elles s'accordèrent ad ce
qu'il l'a laissie par devocion, et n'en fut plus
parlé pour ceste foiz. La deuxiesme nuyt vint,
et se coucha l'espousée en sa place du jour
devant, et le mary arrière en la sienne, fourny
de ses verges; et ne luy fist aultre chose,
dont elle n'estoit pas contente, et ne faillit pas
de le dire au lendemain à ses matrones, qui ne
scevent que penser. Les aucunes disoient: «Espoir
qu'il n'est pas homme, il le fault esprouver,
car jusques à la iiije nuyt il a continué
ceste manière. Si fault dire qu'il y ait à dire
en son fait; pourtant si la nuyt qui vient il ne
vous fait aultre chose, dirent elles à l'espousée,
tirez vers luy, si l'accolez et le baisez,
et luy demandez si on ne fait aultre chose en
mariage. Et s'il vous demande quelle chose
vous voulez qu'il vous face, dictes luy que
vous voulez qu'il vous chevauche, et vous
278orrez, qu'il vous dira.—Je le feray», dit elle.
Elle ne faillit pas; car quand elle fut couchée
en sa place de tousjours, le mary reprint son
quartier et ne s'avançoit aultrement qu'il avoit
fait les nuiz passées. Si se vira tost vers luy et
le print à bon braz de corps et luy commence à
dire: «Et venez çà, mon mary, est ce la bonne
chère que vous me ferez? Véezcy jà la cinquiesme
nuyt que je suis avecques vous, et si
ne m'avez daigné approucher; et par ma foy,
si je ne cuidasse qu'on feist aultre chose en
mariage, je ne m'y fusse jà boutée.—Et
quelle chose, dist lors, vous a l'on dit que l'on
face en mariage?—On m'a dit, dit elle,
qu'on y chevauche l'un l'autre; si vous prie
que vous me chevauchez.—Chevaucher, dit
il, cela ne vouldroye je pas faire encores, ne
suis je pas si mal gracieux.—Hélas, je vous
prie que vous si facez, car on le fait en mariage.—Le
voulez vous? dit il.—Je vous en
requier, dit elle; et en ce disant le baisa trèsdoulcement.—Par
ma foy, dit il, je le faiz à
grand regret, mais puis que vous le voulez le
feray, mais je sçay bien que vous ne vous en
loerez jà.» Lors prend, sans plus mot dire,
ses verges de garnison, et descouvre madamoiselle
et l'en batit trèsbien et dos et ventre,
jambes et cuissez, tant que le sang en sailloit
de tous costez. Elle crie, elle plore, elle se
demaine, c'est grand pitié que de la veoir;
elle maudit qui oncques luy fist requerre d'estre
chevauchée: «Je le vous disoye bien», dit
lors son mary. Après la prend entre ses braz,
279et la roucina trèsbien, qui luy fist oublier la
douleur des verges. «Et comment appelle on,
dit elle, ce que vous m'avez maintenant fait?—On
l'appelle, dit il, souffle en cul.—Souffle
en cul! dit elle, le nom n'est pas si beau
que de chevauchier; mais la manière de le
faire vault trop mieulx d'assez, et puisque je le
scay, je sceray bien doresenavant duquel je
vous doy requerre.» Or devez vous savoir que
monseigneur le curé tendoit tousjours l'oreille
quand sa nouvelle mariée viendroit à l'eglise,
pour luy ramantevoir ses besoignes, et luy souvenir
de sa promesse. Le jour qu'elle y vint, se
pourmenoit et se tenoit près du benoistier; et
quand elle fut près, il luy bailla de l'eaue beneite,
et luy dist assez bas:—«M'amye, vous
m'avez promis que je vous chevaucheroie quand
vous seriez mariée; vous l'estes, Dieu mercy,
si seroit heure de penser quand ce pourroit estre.—Chevaucher?
dit elle, j'aymeroie par dieu
mieulx que vous fussez noyé, voire pendu;
ne me parlez point de chevaucher. Mais je suis
contente que vous me soufflez ou cul, si vous
voulez.—Et je feray, dit le curé, voz fièvres
quartaines, paillarde que vous estes, qui tant
estes et orde et sale et malhonneste: ay je
tant fait pour vous que d'estre guerdonné
pour vous souffler ou cul?» Ainsi mal content
se partit monseigneur le curé de la nouvelle
mariée, qui se va mettre en son siége pour
oyr la devote messe que le bon curé vouldra
dire. En la fasson qu'avez oy dessus perdit
monseigneur le curé son adventure de joir de
280sa dame, dont il fut cause et non aultre, pource
qu'il parla trop hault à elle le jour qu'il la confessa;
car son mary qui l'oyt l'empescha en
la fasson que dessus, par faire acroire à sa
femme que la fasson de roucyner s'appelle
souffle en cul.
Combien que nulle des histoires
précédentes n'aye touché ou racompté
aucun cas advenu es marches
d'Ytalie, mais seullement face
mencion des advenues en France, Alemaigne,
Angleterre, Flandres et Brabant, si s'estendra
elle toutesfoiz, à cause de la fresche advenue,
à ung cas à Romme naguères advenu
et connus, qui fut tel: A Romme avoit ung
Escossois de l'eage d'environ vingt à xxii ans,
lequel par l'espace de xiiij ans se maintint et
conduisit en l'estat et habillement de femme,
sans ce que dedans le dit terme il fust venu à
la coignoissance publicque qu'il fust homme;
et se faisoit appeler donne Margarite, et n'y
avoit guères bon hostel en la ville de Romme
à rate de temps où il n'eust son tour et cognoissance,
et specialement estoit il bien venu
des femmes, comme entre les chambrières,
meschines de bas estat, et aussi des aucunes
281des plus grandes de Romme. Et affin de vous
descouvrir l'industrie de ce bon Escossois, il
trouva fasson d'apprendre à blanchir les draps
linges, et s'appelloit la lavendière; et soubz
ceste umbre, hantoit, comme dessus est dit,
par toutes bonnes maisons de Romme, car il
n'y avoit femme qui sceust l'art de blanchir
draps comme il faisoit. Mais vous devez savoir
qu'encores savoit il bien plus; car puis qu'il
se trouvoit en quelque part à descouvert avecques
quelque belle fille, il luy monstroit qu'il
estoit homme. Il demouroit bien souvent au
couscher, à cause de faire la buée, ung jour,
deux jours, ès maisons dessus dictes; et le
faisoit on coucher avecques la chambrière et
aucunes foiz avecques la fille; et bien souvent
et le plus, la maistresse, si son mary n'y
estoit, vouloit bien avoir sa compaignie. Et
Dieu scet s'il avoit bien le temps, et moyennant
le labour de son corps, il estoit bien venu
par tout; et n'y avoit bien souvent meschine
ne chambrière qui ne se combatist pour luy
bailler la moitié de son lit. Les bourgois
mesmes de Romme, à la relacion de leurs
femmes, le voient trèsvoluntiers en leurs maisons;
et s'ilz alloient quelque part dehors,
trèsbien leur plaisoit que donne Margarite
aidast à garder le mesnage avecques leurs
femmes; et qui plus est la faisoient coucher
avecques elles, tant la sentoient bonne et
honeste, comme dessus est dit. Par l'espace
de xiiij ans continua donne Margarite sa manière
de faire. Mais fortune bailla la cognoissance
282de l'abus de son estat dessus dit par la
bouche d'une jeune fille, qui dist à son père
qu'elle avoit couché avec elle et luy dist qu'elle
l'avoit assaillie, et luy dist veritablement
qu'elle estoit homme. Ce père feist preuve à
la relacion de sa fille de donne Margarite;
elle fut regardée par ceulx de la justice, qui
trouvèrent qu'elle avoit tous telz membres et
oustilz que les hommes portent, et que vrayement
elle estoit homme, et non pas femme. Si
ordonnèrent qu'on le mectroit sur ung chariot
et qu'on le mainroit par la ville de Romme,
de quarrefour en quarrefour, et là monstreroit
on, voyant chacun, ses genitoires. Ainsi en
fut fait, et Dieu scet que la pouvre donne
Margarite estoit honteuse et soupprinse. Mais
vous devez savoir que comme le chariot venist
en ung quarrefour, et qu'on faisoit ostension
des denrées de donne Margarite, ung Rommain
qui le vit dist tout hault: «Regardez quel
galioffe: il a couché plus de vingt nuiz avecques
ma femme.» Et le dirent aussi pluseurs
aultres comme luy; pluseurs ne le dirent point
qui bien le savoient, mais pour leur honneur
ilz s'en teurent. En la fasson que vous oyez fut
puny nostre pouvre Escossois qui la femme
contrefist; et après ceste punicion il fut banny
de Romme, dont les femmes furent bien desplaisantes:
car oncques si bonne lavendière
ne fut, et avoyent bien grand regret que si
meschantement l'avoient perdu.
Ce n'est pas chose estrange que les
moynes hantent voluntiers les nonnains.
A ce propos il advint naguères
que ung maistre jacobin tant
hanta, visita et fréquenta en une bonne maison
de dames de religion de ce royaume,
qu'il parvint à son intencion, laquelle estoit
de coucher avec une des dames de léens. Et
Dieu scet puis qu'il eut ce bien s'il estoit diligent
et soigneux de se trouver vers celle
qu'il amoit plus que tout le demourant du
monde; et tant y continua sa hantise que l'abbesse
de léens et pluseurs des religieuses se
parceurent de ce qui estoit, dont elles furent
bien mal contentes. Mais toutesfoiz, pour eviter
esclandre, elles n'en dirent mot, voire au
religieux, mais trop bien chantèrent la leczon
à la religieuse nonnain, laquelle se sceut bien
excuser; mais l'abbesse qui veoit cler et estoit
bien percevante, cogneut tantost à ses responses
et excusances, aux manières qu'elle
tenoit et aux apparences qu'elle avoit veues,
qu'elle estoit coulpable du fait; si voulut pourvoir
de remède, car elle fist tenir bien de
court, à cause de ceste religieuse, toutes les
284aultres, fermer les huys des cloistres et des
aultres lieux de léens, et tellement fist que le
pouvre jacobin ne povoit plus venir veoir sa
dame. Si luy en desplaisoit, et à elle aussi, il
ne le fault pas demander. Et vous dy bien
qu'ilz pensoient et jour et nuyt par quelle façon
et moien ilz se pourroient rencontrer;
mais ilz n'y savoient engin trouver, tant faisoit
faire le guet sus eulx madame l'abbesse.
Or advint toutesfoiz ung jour que une des
niepces de madame l'abbesse se marioit, et
faisoit sa feste en l'abbaye; et y avoit grosse
assemblée des gens du païs; et estoit madame
l'abbesse fort empeschée de festoyer les gens
de bien qui estoyent venuz à la feste faire
honneur à sa niepce. Si s'advisa bon jacobin
qu'il viendroit veoir sa dame, et que à l'adventure
pourroit il estre si eureux que de la
trouver en belle. Il y vint, comme il proposa,
et de fait trouva ce qu'il queroit, et à cause
de la grosse assemblée, et de l'empeschement
que l'abbesse et ses guettes avoient, il eut bien
loisir de dire à sa dame ses doléances et regretter
le bon temps passé; et elle qui beaucop
le amoit le vit trèsvoluntiers, et si en elle
eust esté elle luy eust fait aultre chère. Entre
aultres parolles il luy dit: «Hélas! m'amye,
vous savez qu'il a jà long temps que point ne
sommes devisez ainsi que nous soulions; je
vous requier, s'il est possible, tantdiz que
l'ostel de céens est fort donné à aultre choses
que à nous guetter, que vous me diez où je
pourray parler à vous à part.—Ainsi m'aist
285Dieu, dit-elle, mon amy, je ne le desire pas
mains que vous. Mais je ne sçay penser ne
lieu ne place ou ce se puisse faire; car tout
le monde est par céens, et ne seroit pas en
moy d'entrer en ma chambre, tant y a d'estrangiers
logez qui sont venuz à ceste feste;
mais je vous diray que vous ferez. Vous savés
bien le grand jardin de céens, faictes pas?—Saint
Jehan! oy, dit-il.—Au coing de ce
jardin, dit-elle, a ung trèsbeau préau bien encloz
de belles hayes fortes et espesses, et au
milieu ung grant poirier, qui rendent le lieu
umbragé et couvert. Vous en yrez là et m'attendrez;
et tantost que je pourray eschapper
je feray ma diligence de me trouver bientost
vers vous.» Elle fut beaucop merciée, et dit
maistre jacobin qu'il s'i en va tout droit. Or
devez vous savoir que ung jeune galant venu
à la feste n'estoit guères loing de ces deux
amans, si oy et entendit toute leur conclusion;
si s'advisa, car il savoit le préau, qu'il
s'i viendra embuscher pour veoir les armes qui
s'i feront. Il se mist hors de la presse, et tant
que piez le peurent porter, il s'en court devers
ce préau, et fist tant qu'il y fut devant le jacobin.
Et luy là venu, il monte sur ce beau
poirier qui estoit large et ramu, trèsbien vestu
de fueilles et de poires, et s'i ambuscha si
bien qu'il n'estoit pas aisié à veoir. Il n'y eut
guères esté que véezcy bon jacobin qui attrotte,
regardant derrière lui si ame le suyvoit.
Et Dieu scet qu'il fut bien joyeux de se trouver
en ce beau lieu, et se garda bien de lever
286les yeulx contre mont le poirier; car jamais
ne se fust doubté qu'il y eust quelqu'ung;
mais tousjours avoit l'œil vers le chemin qu'il
estoit venu. Tant regarda qu'il vit sa dame
venir le grand pas, qui fut tost d'emprès luy;
si se firent grand feste, et bon jacobin d'oster
sa goune et son scapulaire, et de baiser et accoler
bien serrément la belle nonnain. Ilz
vouldrent faire ce pour quoy ilz estoient venuz:
et se mist chacun en point, et en ce
faisant commence à dire la nonnain: «Pardieu,
mon amy frère Aubry, je vuil bien que
vous sachez que vous avez aujourd'uy à dame
et en vostre commandement ung des beaulx
corps de nostre religion; et je vous en fais
juge, vous le voiez: regardez quelz tetins,
quel ventre, quelles cuisses, et du surplus il
n'y a que dire.—Par ma foy, dist frère Aubry,
seur Jehanne m'amye, je cognois ce que
vous dictes; mais aussi vous povez dire que
vous avez à serviteur ung des beaulx religieux
de tout nostre ordre, aussi bien fourny de ce
que ung homme doit avoir que nul de ce
royaume.» Et à ces motz mist la main au baston
dont il vouloit faire ses armes, et le brandissoit
voyant sa dame, en luy disant:
«Qu'en dictes-vous? que vous en semble?
n'est-il pas beau? vault-il pas bien une belle
fille?—Certes oy, dit-elle.—Et aussi l'arez
vous.—Et vous arez, dist lors celuy qui estoit
dessus le poirier, sur eulz, tous des meilleures
poires du poirier.» Lors prend à ses
deux mains les brances du poirier, et fait
287tumber en bas sur eulx et ou préau des poires
trèslargement, dont frère Aubry fut tout effraié
qu'à peu s'il eut sens ne loisir de reprendre
sa goune; si s'en picque tant qu'il peut
sans attendre, et ne fut oncques asseuré tant
qu'il fut hors de léens. Et la nonnain, qui fut
autant ou plus effrayée que luy, ne sceut si
tost se mettre au chemin que le galant qui estoit
sur le poirier ne fut descendu, qui la va
prandre par la main et luy defendit le partir,
et luy dist: «M'amye, ainsi n'en yrez vous;
il vous fault bien premier paier le fruictier.»
Elle, qui estoit prinse et soupprinse, vit bien
que le refuz n'estoit pas de saison, et fut contente
que le fruictier fist ce que frère Aubry
avoit laissié en train.
En Prouvence avoit naguères ung
president de haulte et bien eureuse
renommée, qui trèsgrand clerc et
prudent estoit, vaillant aux armes,
discret en conseil; et en bref dire, en lui estoient
tous les biens de quoy l'on pourroit
jamais loer homme. D'une chose tant seulement
estoit noté dont il n'estoit pas cause,
mais estoit celuy à qui plus en desplaisoit; et
288la raison y estoit bonne. Et pour dire la note
que de luy estoit, c'estoit qu'il estoit coupault
par faulte d'avoir femme aultre que bonne.
Le bon seigneur veoit et cognoissoit la desloyauté
de sa femme, et la trouvoit encline de
tous poincts à sa puterie; et quelque sens que
Dieu luy eust donné, il ne savoit remède à
son cas, fors de soy taire et faire du mort;
car il n'avoit pas si peu leu et veu en son
temps qu'il ne sceust vrayement que correction
n'a point de lieu à femme de tel estat.
Toutesfoiz vous povez penser que ung homme
de courage et vertueux, comme cestuy estoit,
ne vivoit pas bien à son aise, mais fault dire
et conclure que son dolent cueur portoit la
paste au four de ceste maladie infortune. Et
car au pardehors avoit manère et semblant de
rien savoir et percevoir le gouvernement de
sa femme, ung de ses serviteurs le vint trouver
un jour en sa chambre, à part, et luy va
dire par grand sens: «Monseigneur, je suis
celuy qui vous vouldroye advenir, comme je
doy, de tout ce qui peut especialement toucher
à vostre honneur; je me suis prins et
donné garde du gouvernement de madame
vostre femme, mais je vous asseure qu'elle
vous garde trèsmal la loyaulté qu'elle vous a
promise: car seurement un tel (qui luy nomma)
tient vostre lieu bien souvent.» Le bon president,
sachant aussi bien ou mieulx l'estat de
sa femme que son serviteur qui faisoit ce rapport,
luy respondit trèsfièrement: «Ha! ribauld,
je sçay bien que vous mentez de tout
289ce que me dictes; je cognois trop ma femme,
elle n'est pas telle, non. Et vous ay-je nourry
pour me rapporter une telle bourde, voire de
celle qui tant est bonne et loyale? Et vrayement
vous ne m'en ferez plus: dictes que je
vous doys, et vous en allez tost, et ne vous
trouvez jamais devant moy, si cher que vous
amez vostre vie.» Le pouvre serviteur, qui
cuidoit faire grand plaisir à son maistre de son
adventure, dist qu'il luy devoit. Il le receut
et s'en alla. Nostre president, voyant encores
de plus en plus rafrescher la desloyauté de sa
femme, estoit tant mal content et si trèsfort
troublé qu'on ne pourroit plus. Si ne savoit
que penser ne ymaginer par quelle façon il
s'en pourroit honestement descharger. Si s'advisa,
comme Dieu le voult, ou comme fortune
le consentit, que sa femme devoit aller à unes
nopces assez tost; et si ce qu'il pense peut
advenir il sera du monde le mieulx fortuné. Il
vint à ung varlet qui la garde avoit de ses
chevaulx, et d'une belle mule qu'il avoit, et
luy dit: «Garde bien que tu ne bailles à
boire à ma mule de nuyt ne de jour, tant que
je le te diray; et à chacune foiz que tu luy
donneras son avene si mectz parmy une bonne
poignée de sel; et garde que n'en sonnez
mot.—Non feray-je, dit le varlet, et si feray
ce que vous me commendez.» Quand le jour
des nopces de la cousine de madame la presidente
approucha, elle dist au bon president:
«Monseigneur, si c'estoit votre plaisir, je me
trouveroye voluntiers aux nopces de ma cousine,
290qui se feront dimenche en ung tel lieu.—Trèsbien,
m'amye, j'en suis bien content;
allez, Dieu vous conduyse.—Je vous mercie,
monseigneur, dit-elle, mais je ne sçay
bonnement comment y aller; je n'y menasse
point voluntiers mon chariot, pour le tant pou
que ay à y estre; vostre hacquenée aussi est
tant desfrayée que je n'oseroie pas bien emprendre
le chemin sur elle.—Et bien! m'amie,
si prenez ma mule; elle est trèsbelle et
si va bien et doulx, et est aussi seure du pié
que je n'en trouvay oncques point.—Et, par
ma foy, monseigneur, dit-elle, je vous en
mercye, vous estes bon mary.» Le jour de
partir vint, et se firent prestz les serviteurs de
madame la presidente et ses femmes qui la
devoient servir et accompaigner; pareillement
vont venir à cheval deux ou troys gorgyas
qui la devoient accompagner, qui demandent
se madame est preste, et elle leur fait savoir
qu'elle viendra maintenant. Elle fut preste et
vint en bas, et luy fut amenée la belle mule
au montouer, qui n'avoit beu de viij. jours;
et enrageoit de soif, tant avoit mengé de sel.
Quand elle fut montée, les gorgias se misrent
devant, qui faisoient fringuer leurs chevaulx,
et estoit rage qu'ilz faisoient bien et hault. Et
se pourroit bien faire que aucuns de la compaignie
savoient bien que madame savoit faire.
En la compaignie de ces gentilz gorgyas, de
ses serviteurs et de ses femmes, passa madame
par la ville, et se vint trouver aux champs; et
tant alla qu'elle vint à ung destroit auprès duquel
291passe la grosse rivière du Rosne, qui en cel endroit
est tant roidde que merveilles. Et comme
ceste mule, qui de viij. jours n'avoit beu, perceut
la rivière, courant sans demander pont ne
passage, elle de plain vol saulta dedans à tout sa
charge, qui estoit du precieux corps de madame.
Ceulx qui la virent la regardèrent trèsbien;
mais aultre secours ne luy firent, car aussi il
n'estoit pas en eulx; si fut madame noyée,
dont ce fut grand dommage. Et la mule, quand
elle eut beu son saoul, naigea tant par le Rosne
qu'elle trouva la rive, si fut sauvée. La compaignie
fut moult troublée, qui eut perdu madame;
si s'en retourna en la ville. Et vint ung
des serviteurs de monseigneur le president
le trouver en sa chambre, qui n'attendoit aultre
chose que les nouvelles qu'il luy dist, et
luy va dire tout plorant la piteuse adventure
de madame sa maistresse. Le bon president,
plus joyeux en cueur qu'oncques triste ne fut,
se monstra trèsdesplaisant; et de fait se laissa
cheoir du hault de luy, menant trèspiteus dueil
en regretant sa bonne femme. Il maudisoit sa
mule, les belles nopces qui firent sa femme
partir ce jour. «Et Dieu! dit-il, ce vous est
grand reprouche qui estiez tant de gens et
n'avez sceu rescourre la pouvre femme qui
trèstant vous amoit; vous estes lasches et
meschans, et l'avez bien monstré.» Le serviteur
s'excusa et les aultres aussi, le mains mal
qu'ilz sceurent; et laissa monseigneur le president,
qui loa Dieu à joinctes mains de ce
qu'il est quicte de sa femme. Quand point fut,
292il fist faire ses funérailles comme il appartint;
mais croiez, combien qu'encorez il fust en
eage, il n'eut garde de se rebouter en mariage,
craignant le dangier où tant avoit esté.
Ung gentil compaignon devint amoureux
d'une jeune damoiselle qui n'a
guères estoit mariée; et le mains
mal qu'il sceut, après qu'il eut trouvé
façon d'avoir vers elle accointance, il compta
son cas, et au rapport qu'il fist, il sembloit
fort malade; et à la verité dire, aussi estoit-il
bien picqué. Elle fut bien si gracieuse qu'elle
luy bailla bonne audience, et pour la première
foiz il se partit trèscontent de la response
qu'il eut. S'il estoit bien feru au paravant,
encores fut il plus touché au vif quand
il eut dit son fait; si ne dormoit ne nuyt ne
jour, de force de penser à sa dame et de
trouver la façon et manière de parvenir à sa
grace. Il retourna à sa queste quand il vit son
point; et Dieu scet, s'il avoit bien parlé la
première foiz, que encores fist-il mieulx son
personnage à la deuxiesme, et si trouva de
son boneur sa dame assez encline à passer sa
requeste, dont il ne fut pas moyennement
293joyeux. Et car il n'avoit pas tousjours ne le
temps ne le loisir de se trouver vers elle, il
luy dist à ceste foiz la bonne volunté qu'il
avoit de luy faire service et en quelle façon.
Il en fut mercyé de celle, qui estoit tant gracieuse
qu'on ne pourroit plus. Bref il trouva
en elle tant de courtoisie en maintien et parler
qu'il n'en sceust plus demander par raison;
si se cuida avancer de la baiser, mais il en fut
refusé de tous poins; mesme quand vint au
partir et au dire adieu, il n'en peut oncques
finer, dont il fut trèsesbahy. Et quand il fut
en sus d'elle, il se doubta beaucop de point
parvenir à son intencion, veu qu'il ne povoit
obtenir d'elle ung seul baiser. Il se confortoit
d'aultre costé des gracieuses parolles qu'il eut
au dire adieu, et de l'espoir qu'elle luy baille.
Il revint comme aultresfoiz à sa queste; et pour
abreger, tant y alla et tant y vint qu'il eut
heure assignée de dire à sa dame, à part, le
surplus de ce qu'il ne vouldroit dire sinon
entre eulx deux. Et, car temps estoit, il print
congé d'elle, si l'embrassa bien doulcement
et la voulut baiser; et elle s'en defend trèsbien
et luy dit assez rudement: «Ostez,
ostez-vous, et me laissez, je n'ay cure d'estre
baisée.» Il s'excusa le plus gracieusement
que oncques sceut, et sur ce se partit. «Et
qu'est cecy? dist-il en soy-mesmes; je ne vy
jamais ceste manière en femme: elle me fait
la meilleure chère du monde, et si m'a desjà
accordé tout ce que je luy ay osé requerre;
mais encores n'ay je peu finer d'un pouvre
294baiser.» Quand il fut heure, il vint où sa
dame luy avoit dit, et fist tout ce pour quoy
il y vint tout à son beau loisir: car il coucha
entre ses braz toute la belle nuyt, et fist tout
ce qu'il voulut, fors seullement baiser, et de
cela n'eust-il jamais finé. «Et je n'entens
point ceste manière de faire, disoit-il en son
pardedens; ceste femme est contente que je
couche avecques elle et que je face tout ce
qu'il me plaist; mais du baiser je n'en fineroye
neant plus que de la vraye croix? Par la mort
bieu! je ne sçay entendre cecy; il fault qu'il
y ait aucun mistère; il est force que je le sache.»
Ung jour entre les aultres, qu'il estoit
avecques sa dame à goguettes, et qu'ilz
estoient beaucoup dehet tous deux: «M'amye,
dist-il, je vous requier que vous me dictes
la cause qui vous meut de moy tenir
si grand rigueur quand je vous veil baiser.
Vous m'avez de vostre grace baillé la joyssance
de vostre beau et gracieux corps tout
entièrement, et d'un petit baiser vous me faictes
le refus!—Par ma foy, mon amy, dit-elle,
vous dictes voir, le baiser vous ay refusé,
et ne vous y attendez point, vous n'en
finerez jamais; et la raison y est bonne, si
la vous diray: Il est vray, quand j'espousay
mon mary, que je luy promis de la bouche tant
seullement beaucop de belles choses. Et car
ma bouche est celle qui luy a juré et promis
de luy estre bonne, je suis celle qui luy veil
entretenir, et ne souffreroye pour mourir qu'aultre
de luy y touchast; elle est sienne et à nul
295aultre; et ne vous attendez d'en rien avoir.
Mais mon derrière ne luy a rien promis ne juré;
faictes de luy et du surplus de moy, ma bouche
hors, ce qu'il vous plaise; je le vous habandonne.»
L'autre commença à rire trèsfort,
et dist: «M'amye, je vous mercye, vous dictes
trèsbien, et si vous sçay grand gré que vous
avez la franchise de bien garder vostre promesse.—Jà
Dieu ne veille, dist-elle, que je
luy face faulte.» En la façon que avez oy fut
ceste femme abustinée: le mary avoit la bouche
seullement, et son amy le surplus; et si
d'adventure le mary se servoit aucunes foiz
des aultres membres, ce n'estoit que par manière
d'emprunt, car ilz estoient à son amy
par le don de sa dicte femme. Mais il avoit
ceste advantage, que sa femme estoit contente
qu'il emprint sur ce qu'elle avoit donné à son
amy; mais pour rien n'eust souffert que l'amy
eust joy de ce que à son mary avoit donné.
J'ay bien scéu que n'a guères, en la ville
d'Arras, avoit ung bon marchant auquel
il mescheut d'avoir femme espousée
qui n'estoit point de meilleur
au monde: car elle ne tenoit serre, tant qu'elle
296peust veoir son cop, et qu'elle trouvast à
qui, neant plus que une vieille arbaleste. Ce
bon marchant se donna garde du gouvernement
de sa femme; il en fut aussi adverty par
aucuns ses plus prives amis et voisins. Si se
bouta en une bien grande frenesie et parfonde
melencolie, dont il ne valut pas mieulx. Puis
s'advisa qu'il esprouveroit s'il savoit par bonne
façon s'il pourrait veoir ce qu'il scet que bien
peu luy plaira; c'estoit de veoir venir en son
hostel, devers sa femme; ung ou pluseurs de
ceulx qu'on dit qui sont les lieutenans. Si fainit
ung jour d'aller dehors, et s'embuscha en
une chambre de son hostel dont luy seul avoit
la clef. Et destournoit la dicte chambre sur la
rue, sur la court, et par aucuns secrez pertus
et treilliz regardoit en plusieurs aultres lieux et
chambres de léens. Tantost que la bonne femme
pensa que son mary estoit dehors, elle fist
prestement savoir à une de ses amys qu'il vensist
vers elle; et il obéyt comme il devoit,
car il suyvit pié à pié la meschine qui le vint
querre. Le mary, qui, comme dit est, estoit
en sa chambre, vit trèsbien entrer celuy qui
venoit tenir son lieu; mais il ne dit mot, car
il veult veoir plus avant s'il peut. Quand l'amoureux
fut léens, la dame le mena par léans
par la main tout devisant en sa chambre, et
serra l'huys, et se commencent à baiser et à
accoler, et faire la plus grand chère de jamais;
et bonne damoiselle de despoiller sa robe, et
se mectre en cotte simple; et le bon compaignon
de la prendre à bons braz de corps, et
297faire ce pourquoy il vint. Et tout ce veoit à
l'œil le pouvre mary par une petite treille;
pensez s'il estoit à son aise; mesme estoit-il
si près d'eulz qu'il entendoit plainement tout
ce qu'ilz disoient. Quand les armes d'entre la
bonne femme et son serviteur furent achevées,
ilz se mirent sur une couche qui estoit en la
chambre, et se commencent à deviser de pluseurs
choses. Et comme le serviteur regardast
sa dame, qui tant belle estoit que merveilles, il
la commence à rebaiser, et dit en baisant:
«M'amye, à qui est ceste belle bouche?—C'est
à vous, mon bel amy, dit-elle.—Et je vous
en mercie, dit-il. Et ces beaulx yeulx?—A
vous aussi, dit-elle.—Et ce beau tetin qui
tant est bien troussé, n'est-il pas de mon compte?
dit-il.—Oy, par ma foy, dit-elle, il est à vous,
et non à aultre.» Il mect après la main au ventre
et à son devant, où il n'avoit que redire,
et luy demanda: «A qui est cecy, m'amye?—Il
ne le fault jà demander, on scet bien que
tout est vostre.» Il vint après gecter la main
sur son gros derrière, et luy demanda en
soubariant: «Et à qui est cecy?—Il est à
mon mary, dit-elle, c'est sa part; mais tout le
demourant est vostre.—Et vrayement, dit-il,
je vous en mercie beaucop. Je ne me doy pas
plaindre, vous m'avez très bien party; et aussi
d'aultre costé, par ma foy, pensez que je suis
tout entier vostre.—Je le sçay bien», dit elle.
Et après ces offres recommencèrent leurs armes
de plus belle; et ce fait, le serviteur se
partit de léans. Le pouvre mary, qui tout avoit
298veu et oy, n'en povoit plus, s'il n'enraigeoit
tout vif; toutesfoiz, pour mieulx faire que laisser,
il avala ceste première, et au lendemain
fist trèsbien son personnage, faisant semblant
qu'il vient de dehors. Et quand vint au disner,
il dist qu'il vouloit avoir au disner, dimenche
prochain venant, son père et sa mère, telz
et telles de ses parens et cousines; et qu'elle
face garnison de vivres, et qu'ilz soient bien
aises à ce jour. Elle se chargea de ce faire et
il de les inviter. Ce dimenche vint, le disner
fut prest, et ceulx qui mandez y furent comparurent,
et print chacun place comme leur hoste
l'ordonnoit, qui estoit debout et sa femme
aussi, qui servirent du premier mes. Quand
le premier mes fut assis, l'oste, qui secrètement
avoit fait faire une robe pour sa femme de gros
bureau gris, et à l'endroit du derrière fist mectre
une pièce de bonne escarlate, à manière
de tasseau, dist à sa femme: «Venez jusques
en la chambre»; il se mect devant et elle le
suyt. Quand ilz y furent, il luy fist despoiller
sa robe et va prendre celle de bureau dessusdicte
et luy dit: «Or vestez ceste robe.» Elle la
regarde et voit qu'elle est de gros bureau; si
en est toute esbahie et ne scet penser qu'il
fault à son mary, ne pourquoy il la veult ainsi
habiller. «Et à quel propos me voulez-vous
ainsi housser? dit-elle.—Ne vous chaille, dit-il,
je veil que vous la vestez.—Ma foy, dit
elle, je n'en tien compte, je ne la vestiray jamais.
Faictes-vous du fol? Vous voulez-vous
bien faire farcer de vous et de moy devant
299tant de gens.—Il n'y a ne fol ne sage, dit il,
vous la vestirez.—Au mains, dit-elle, que je
sache pour quoy.—Vous le sarez, dit-il, cy
après.» Pour abreger, force fut qu'elle endossast
ceste robe, qui estoit bien estrange à regarder.
Et en ce point fut amenée à la table,
où la pluspart de ses amys et parens estoient.
Mais pensez qu'ilz furent bien esbahiz de la
veoir ainsi habillée; et creez qu'elle estoit bien
honteuse; et si la force eust esté sienne,
elle ne fust pas là venue. Droit là fut bien qui
demanda que signifioit cest habillement. Et
le mary respondit qu'ilz pensent trestous de
faire bonne chère, et que après disner ilz le
sceroient. Mais vous devez savoir que la bonne
femme houssée du bureau ne mengea chose
qui bien luy feist; et luy jugeoit le cueur que
le mistère de sa housserie luy feroit ennuy.
Et encore eust-elle esté plus troublée d'assez
s'elle eust sceu du tasseau d'escarlate; mais
nenny. Le disner se passa, et fut la table ostée,
les grâces dictes, et chacun debout. Lors le mary
se mect avant et commence à dire: «Vous telz qui
cy estes, s'il vous plaist, je vous diray en bref
la cause pourquoy j'ay vestu ma femme de cest
habillement. Il est vray que jà pieçà j'ay esté
adverty que vostre fille qui cy est me gardoit
trèsmal la loyaulté qu'elle me promist en la
main du prestre; toutesfoiz, quelque chose que
l'on m'ait dit, je ne l'ay pas creu legerement,
mais l'ay voulu esprouver; et qu'il soit vray,
il n'y a que six jours que je faindy d'aller dehors,
et m'enbuschay en ma chambre là hault.
300Je n'y eu guères esté que véezcy venir ung
tel, que ma femme mena tantost en sa chambre,
où ilz firent ce que mieulx leur pleut. Entre
leurs aultres devises, l'homme luy demanda
de sa bouche, de ses yeulx, de ses mains, de
son tetin, de son ventre, de son devant et de
ses cuisses, à qui tout ce bagage estoit. Et elle
luy respondit: «A vous, mon amy.» Et quand
vint à son derrière, il luy dist: «Et à qui est cecy,
m'amye?—A mon mary», dist elle. Lors,
pource que je l'ay trouvée telle, je l'ay en ce
point habillée: elle a dit que d'elle il n'y a rien
mien que le derrière, si l'ay houssé comme il appartient
à mon estat; le demourant ay-je houssé
de vesture qui est deue à femme desloyale et
deshonorée, car elle est telle; je la vous rends.»
La compaignie fut bien esbahie d'oyr ce propos,
et la pouvre femme bien honteuse. Mais
toutesfoiz, quoy qu'il fust, oncques puis avecques
son mary ne se trouva, ains deshonorée
et reprouchée entre ses amys depuis demoura.
Comme jeunes gens se mettent à
voyager et prennent plaisir à veoir
et sercher les adventures du monde,
il y eut n'a guères au pays de Lannoys
le filz d'un laboureur qui fut depuis l'eage de dix
ans jusques à l'eage de vingt et six tousjours
hors du pays; et puis son partement jusques
à son retour, oncque son père ne sa mère
n'en eurent une seule nouvelle: si pensèrent
pluseurs foiz qu'il fust mort. Il revint après
toutesfoiz, et Dieu scet la joye qui fust en l'ostel,
et comment il fut festoié à son retour du
tant pou de biens que Dieu leur avoit donné.
Mais qui le vit voluntiers et en fist grand
feste, sa grand mère, la mère de son père,
luy faisoit plus grand chère et estoit la plus
joyeuse de son retour; elle le baisa plus de
cinquante foiz, et ne cessoit de loer Dieu qu'il
leur avoit rendu leur beau filz et retourné en
si beau point. Après ceste grande chère,
l'heure vint de dormir; mais il n'y avoit à
l'ostel que deux lictz: l'un estoit pour le père
et la mère et l'autre pour la grand mère. Si
fut ordonné que leur filz coucheroit avecques
302sa taye, dont elle fut joyeuse; mais il s'en
fust bien passé, combien que pour obéir il
fut content de prendre la pacience pour ceste
nuyt. Comme il estoit couché avec sa taye,
ne sçay de quoy il luy sourvint, il monta dessus.
«Et que veulz-tu faire? dit-elle.—Ne vous
chaille, dit-il, ne dictes mot.» Quand elle vit
qu'il vouloit besoigner à bon escient, elle
commence de crier tant qu'elle peut après son
filz, qui dormoit en la chambre au plus près;
si se leve de son lit et se va plaindre à luy de
son filz, en plorant tendrement. Quand l'autre
entendit la plainte de sa mère et l'inhumanité
de son filz, il se leva sur piez trèscouroussié
et mal meu, et dit qu'il l'occira.
Le filz, oye ceste menace, si sault sus, et s'en
picque par derrière et se sauve. Son père le
suyt, mais c'est pour néant: il n'estoit pas si
radde du pyé comme luy; il vit qu'il perdoit
sa peine, si revint à l'ostel et trouva sa mère
lamentant à cause de l'offense que son filz
avoit faicte. «Ne vous chaille, dit-il, ma
mère, je vous en vengeray bien.» Ne sçay
quants jours après ce père vint trouver son
filz, qui jouoit à la paulme en la ville de Laon;
et tantost qu'il le vit, il tire bonne dague et
marche vers luy et l'en cuide ferir. Le filz se
destourna, et son père fut tenu. Aucuns qui là
estoient sceurent bien que c'estoit le père et
le filz. Si dit l'un au filz: «Et vien çà; qu'as
tu meffait à ton père, qui te veult tuer?—Ma
foy, dist-il, rien. Il a le plus grand tort de jamais;
il me veult tout le mal du monde pour
303une pouvre foiz que j'ay voulu rouciner sa
mère; il a rouciné la mienne plus de cing cens
foiz, et je n'en parlay oncques ung seul mot.»
Tous ceux qui oyrent ceste response commencèrent
à rire de grand cueur et dirent bien
qu'il estoit bon homme. Si s'efforcèrent à ceste
occasion de faire sa paix à son père, et tant si
employèrent qu'ils en vindrent au bout, et fut
tout pardonné d'un costé et d'aultre.
FIN DU TOME PREMIER.
Tome I.
P. xxj. Dans le manuscrit, la dédicace suit la table; mais j'ai adopté de préférence l'ordre des éditions imprimées.
P. xxij. De Dijon, etc. Cette date, qui me paroît une erreur évidente, est reproduite très exactement d'après le manuscrit; mais elle est d'une écriture un peu plus récente que celle du manuscrit lui-même, et d'une encre plus pâle. L'édition de Verard ne donne pas de date, mais l'éditeur (sans doute) a ajouté à la dédicace les mots: Et notez que par toutes les nouvelles où il est dit par monseigneur, il est entendu par monseigneur le Daulphin, lequel depuis a succédé à la couronne, et est le roy Loys unsiesme, car il estoit lors ès pays du duc de Bourgoingne. Voyez ce que j'ai dit à ce sujet dans l'Introduction.
P. xxvj. La dousiesme nouvelle. Il manque ici au manuscrit un cahier de quatre feuillets qui contenoit les titres des nouvelles 12e à 96e inclusivement; j'ai suppléé cette lacune d'après l'édition de Verard.
P. 1. La première nouvelle. Ce conte se trouve dans un fabliau probablement du treizième siècle, intitulé Des deux changeors, et imprimé dans la collection de Barbazan, t. III, p. 254, et aussi dans le Pecorone, nov. 11. Brantôme, dans ses Dames galantes, le raconte comme une aventure qui étoit véritablement arrivée à Louis, duc d'Orléans, et à sa maîtresse Mariette d'Enghien, mère du bâtard comte de Dunois.
P. 6, l. 3. Serure. Le manuscrit lit ceruse, qui n'est probablement qu'une erreur de l'écrivain.
P. 8, l. 12. Meiser. Penser, Verard.
P. 9. La secunde nouvelle. On ne trouve ce conte dans aucun ouvrage plus ancien que Les Cent Nouvelles nouvelles; mais Malespini l'a imité dans les Ducento Novelle, nov. 37.
P. 16. La troysiesme nouvelle. Imitée des Facéties de Pogge, p. 64, édit. de 1798. Ce conte a été reproduit souvent sous différentes formes par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.—Monseigneur de la Roche. Philippe Pot, seigneur de la Roche de Nolay, un des plus intimes et plus fidèles conseillers de Philippe le Bon et de son fils Charles le Téméraire, ducs de Bourgogne. En 1449, on le trouve nommé comme un des échansons du duc Philippe. Plus tard, il avoit l'office de chambellan dans la maison de Bourgogne, sous lequel titre il est mentionné dans un compte de l'année 1457, et il le tenoit encore en 1474. En 1466, Charles le Téméraire lui a donné l'office de capitaine de Lille, et il tenoit en même temps la capitainerie de Douai et d'Orchies. En 1470, le seigneur de la Roche reçut du duc Charles la charge de grand maître d'hôtel et chambellan de Bourgogne. Après la mort de son bienfaiteur, il entra dans la faveur de Louis XI, qui le nomma grand sénéchal de Bourgogne en 1477. Il est mort vers l'année 1498.
P. 26. La quarte nouvelle. Ce conte et les trois suivants se trouvent pour la première fois dans Les Cent Nouvelles nouvelles.
P. 29, l. 15. Sainct Trignan. Sainct Engnan, Verard.
P. 32. Philipe de Loan. Cet individu est mentionné sous le titre d'écuyer d'écurie du duc Philippe le Bon, en 1461, dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n. 6702. Verard a toujours changé ce nom en Philippe de Laon.
P. 32, l. 1. Monseigneur Talelot. Thalebot, Verard. C'étoit le célèbre guerrier, sir John Talbot, créé comte de Shrewsbury en 1441. Ses beaux faits d'armes faisoient la merveille du quinzième siècle. Il fut défait et fait prisonnier par Jeanne d'Arc à Patai en 1429, et tué à Châtillon le 20 juillet 1453, à l'âge de quatre-vingts ans.
P. 32, l. 2. Si preux, si vaillant, et aux armes. Ces mots sont omis dans le texte de Verard, qui n'approuvoit pas, sans doute, l'éloge qu'un Bourguignon faisoit de l'ennemi de la France.
P. 33, l. 1. Couroye. A sa ceinture, Verard.
P. 36, ll. 16 et 28. Ciboire. Tabernacle, Verard. Le dernier mot est tout simplement une traduction de l'autre. On seroit porté à croire que le mot ciboire n'étoit plus en usage général à Paris.
P. 38. Par monseigneur de Launoy. Le nom de Jean de Launoy (ou Lannoy) est assez connu dans l'histoire de Bourgogne. En 1451, il fut créé chevalier de la toison d'or, et nous le trouvons plus tard gouverneur de Lille. Il paroît avoir secrètement servi les intérêts de Louis XI, et sa trahison étoit devenue si évidente, qu'en 1464 il fut obligé de se sauver en France, tandis que le comte de Charolois s'empara de son château. Durant le règne de Charles le Téméraire, il étoit en complète disgrâce à la cour de Bourgogne; mais après la mort de ce prince il reprit une grande influence en Bourgogne. Il n'est mort qu'en 1481.
P. 39, l. 3. Maistre curé. Ici et dans la suite, le texte de Verard a toujours substitué le mot prieur au mot curé.
P. 41, l. 7. Mesmes. Au mains, Verard.
P. 43, l. 4. Feste. Foire, Verard.
P. 43, l. 4. Feste de Lendit et d'Envers. La célèbre foire tenue à Saint-Denis dans le mois de juin.
P. 46. La huitiesme nouvelle. Cette nouvelle, qui est l'origine des Aveux indiscrets, de la Fontaine, est imitée des Facéties de Pogge, p. 165 de l'édition de 1798.
P. 50. La neufiesme nouvelle. Ce conte étoit assez populaire dans le moyen âge, et se trouve dans des ouvrages bien antérieurs à la date des Cent Nouvelles nouvelles, comme le fabliau du Meunier d'Aleu par le trouvère Enguerrand d'Oisi, le Décameron de Boccace, où il forme la 4e nouvelle de la 8e journée, et les Facéties de Pogge, p. 248. Les imitations modernes en sont nombreuses. C'est Les Quiproquos de la Fontaine.
P. 56. La dixiesme nouvelle. Imitée par la Fontaine et par d'autres conteurs; mais on ne la trouve dans aucun recueil antérieur aux Cent Nouvelles nouvelles.Verard a changé beaucoup le texte de cette nouvelle et de la suivante.
P. 61. La onziesme nouvelle. Imitée d'après Pogge, Facéties, p. 141. C'est le conte bien connu de L'Anneau d'Hans Carvel, de Rabelais.
P. 62, l. 21. Des fantaisies et pensées. C'est la leçon de Verard. Le manuscrit ne donne qu'un mot, que je n'ai pas pu déchiffrer d'une manière satisfaisante, mais qui ressemble à ermons.
P. 63. La douziesme nouvelle. Ce conte se trouve dans les Cento Novelle antiche et dans Pogge. Les imitations modernes sont très nombreuses.
P. 67. Monseigneur de Castregat. Par monseigneur l'amant de Brucelles, Verard. Jean d'Enghien, sieur de Kessergat, étoit maître-d'hôtel de duc de Bourgogne en 1461. Il tenoit en même temps l'office de chambellan. Il étoit amann (une charge municipale) de Bruxelles.
P. 67, l. 8. Procureur en Parlement. L'auteur des Cent Nouvelles nouvelles supposoit que le Parlement de Londres étoit une institution semblable à celui de Paris.
P. 68, l. 14. Malebouche... Dangier. Personnages du Roman de la Rose.
P. 73. La quatorzième nouvelle. La 2e nouvelle de la 4e journée du Décameron de Boccace. C'est le conte de L'Ermite de la Fontaine.
P. 73. Monseigneur de Créquy. Jean, seigneur de Créquy, de Canaples et de Tressin, fut élu chevalier de la Toison d'or lors de la fondation de cet ordre en janvier 1431. A la mort de Philippe le Bon, Jean de Créquy étoit un des douze seigneurs choisis pour porter son corps. Ce fut lui qui, en 1469, introduisit auprès du duc Charles le Téméraire les ambassadeurs de Louis XI.
P. 74, ll. 9 et 13. Ung soir... se trouva. Ung soir, environ la mynuyt, qu'il faisoit fort et rude temps, il descendit de sa montaigne et vint à ce village, et tant passa de voyes et sentiers que à l'environ de la mère et la fille sans estre oiseux se trouva, Verard. Un bon exemple des corruptions que Verard introduisit dans le texte de son édition.
P. 75, l. 11. Reclusage. Hermitaige, Verard.
P. 76, l. 17. Et pitié. Le texte de Verard ajoute: Et la povre fille aussi plouroit, quand elle véoit ce bon et sainct hermite en si grande dévocion prier et ne sçavoit pourquoy. En comparant les deux textes, on trouvera plusieurs additions semblables, qu'on y a mises probablement dans l'idée de rendre le récit plus piquant.
P. 77, l. 15. Crochette. Potense, Verard.
P. 84. La seiziesme nouvelle. Un des contes les plus populaires du vieux temps, et qui a eu le plus grand nombre d'imitateurs. On le trouve dans la Disciplina clericalis de Pierre Alfonse, dans les Gesta Romanorum, dans les Fabulæ Adolphi publiées par Leyser, et dans Boccace. Les imitations modernes sont innombrables.
P. 85, l. 15. Perusse. Prusse, Verard. Les Chevaliers de l'ordre Teutonique, en Prusse, étoient toujours en guerre contre les infidèles.
P. 92, l. 13. Thamisoit de la fleur. Buletoit de la farine, Verard.
P. 101. La dix-neuviesme nouvelle. Ce conte se trouve assez souvent répété dans les manuscrits du moyen âge. Il forme le sujet d'un fabliau publié par Barbazan, tom. III, p. 215, De l'enfant qui fu remis au soleil.
P. 101. Philipe Vignier. Philippe Vignier est nommé parmi les valets de chambre de Philippe le Bon sous la date de 1451. Voyez les Mémoires pour servir à l'Histoire de France et de Bourgogne, p. 225.
P. 106. La vingtiesme nouvelle. Ce conte ressemble un peu à une des Facéties de Pogge, Priapi vis, p. 118 de l'édition de 1798.
P. 114. La vingt-uniesme nouvelle. Le conte de L'Abbesse guérie de la Fontaine, liv. IV, conte 2.
P. 120. Caron. G. Chastelain, dans ses Chroniques de Bourgogne, 3e partie, ch. 73, appelle Caron «le clerc de chappelle» de Philippe le Bon.
P. 121, l. 17. Sourdantes. C'est la leçon de Verard. Le manuscrit lit soudaines, une erreur évidente.
P. 125. La vingt-troisiesme nouvelle. Imitation du fabliau De celui qui vota la pierre, imprimé dans la collection de Méon, t. I, p. 307. Ce conte a été souvent reproduit par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.
P. 125. Monseigneur de Quievrain. Monseigneur de Commesuram, Verard.
P. 125, l. 19. Le servir de landes, Dieu scet, largement. Le servir d'aubades assez largement, Verard.
P. 127, ll. 23-25. E de ce cas... de léans. Or est-il vray que là present y estoit ung jeune enfant de environ deux ans, filz de léans, Verard. J'aurais peut-être dû admettre dans le texte la leçon de Verard.
P. 128, l. 2. Approucha. C'est la leçon de Verard. Le manuscrit lit, il apperceu de la raye.
P. 128, l. 2. Monseigneur de Fiennes. Thibaut de Luxembourg, seigneur de Fiennes, étoit un des chevaliers qui accompagnoient le comte de Charolois à Lille en 1466. Vers la fin de sa vie, il devint ecclésiastique, et mourut, en 1477, évêque du Mans.
P. 134. Philipe de Saint Yon. Peut-être le fils de Garnot de Saint-Yon, qui étoit un des officiers de la maison du duc Jean Sans-Peur.
P. 135, l. 13. Larrier. Levrier, Verard.
P. 136, ll. 10, 12, 22. Duyere. Terrier, Verard.
P. 137. Monseigneur de Foquessoles. G. Chastelain parle d'un bailli de Fouquerolles, en 1419, qui étoit peut-être le père de notre conteur.
P. 140, l. 24. L'abbayt. Sans passer grans langaiges. Verard.
P. 151, l. 9. Mestrier, leçon de Verard; mestre. dans le manuscrit.
P. 154, l. 7. Tendreur. J'ai adopté la leçon de Verard; le manuscrit lit teneur.
P. 157. Monseigneur de Beauvoir. Jean de Montespedon, seigneur de Beauvoir, écuyer, conseiller, et premier valet de chambre de Louis XI, dont il étoit partisan avant son accession au trône.
P. 160, l. 20. Queues. Traynées, Verard.
P. 166. Messire Michault de Changy. Michault de Changy étoit conseiller du grand conseil, chambellan, premier écuyer tranchant, puis premier maître d'hôtel des ducs Philippe le Bon et Charles le Téméraire.
P. 166, l. 22. Boccace. L'ouvrage de Boccace auquel il est fait allusion ici est le livre latin De Casibus virorum illustrium, dont il existoit déjà des traductions françoises.
P. 173, l. 17. Boulevars, bailles. Bellèvres, baublières, Verard.
P. 177, l. 12. La ville de Chambery. Le nom de la ville manque dans le texte de Verard.
P. 183. Monseigneur de la Barre. Une faute d'impression. Lisez Barde. Jean d'Estecer, seigneur de la Barde, étoit compagnon d'exil du Dauphin de France, et conserva sa faveur lorsqu'il fut roi. En 1462, il fut envoyé par Louis XI comme son ambassadeur à la cour d'Angleterre.
P. 184, l. 29. Courre. Coucher, Verard.
P. 192. La trente-deuxiesme nouvelle. Ce conte se trouve dans Pogge (Facetiæ, p. 163, decimæ), et dans La Fontaine, liv. II, conte 3. L'auteur des Cent Nouvelles nouvelles l'a pris sans doute du premier de ces conteurs.
P. 192. Monseigneur de Villiers. Ce doit être Antoine de Villiers, premier écuyer du duc de Bourgogne, qui fut, à ce qu'on dit, un des seigneurs qui formoient la cour du Dauphin à Genappe. En 1475, il fut un des courtisans de Louis XI chargés de traiter les Anglois au camp devant Amiens.
P. 192, l. 9. La ville d'Ostellerie en Casteloigne. Hostelerie, Verard.
P. 205, l. 29. Trop mieulx soulier à son pié. Trop mieulx garny au pongnet, Verard.
P. 218. La trente-quatriesme nouvelle. Ce conte est le sujet d'un fabliau par un trouvère nommé Jean de Condé, publié dans la collection de Méon, tom. I, p. 165, sous le titre: Du Clerc qui fut repus deriere l'escrin. On en trouve plusieurs imitations aux XVIe et XVIIe siècles.
P. 221, l. 8. Le survenu. C'est la leçon de Verard que j'ai adoptée, en place de celle du manuscrit, souvenir.
P. 232. La trente-septiesme nouvelle. Imitée par La Fontaine (liv. II, conte 10), et reproduite assez souvent par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.
P. 232, l. 25. Les Quinze Joyes de mariage. Ouvrage célèbre d'Antoine de la Sale; voyez mon Introduction.
P. 233, l. 6. Qu'un follastre de sa massue. Que ung fol de sa marote, Verard.
P. 238. La trente-huitiesme nouvelle. On trouve ce conte dans Boccace (Décam., journée VIIe, nov. 8), et dans un fabliau (voy. Legrand d'Aussy, Fabl., tom. II, p. 340). L'origine se trouve dans les collections de contes indiens.
P. 238. Monseigneur de Loan. Monseigneur de Lau, Verard.
P. 245. Monseigneur de Saint Pol. Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, fut créé connétable de France en 1465, et décapité par ordre de Louis XI en 1475.
P. 254, l. 2. Dedans la dicte cheminée. Dedens le bouhot de la dicte cheminée, Verard.
P. 256, l. 20. Jaserant. Haubergon, Verard. Cette variante, répétée dans le courant de la nouvelle, nous feroit croire qu'entre la date de la rédaction des Cent Nouvelles nouvelles et celle de l'édition de Verard, le jaserant, qui étoit une pièce d'armure plus légère que l'haubergeon, avoit cessé d'être en usage.
P. 261. Racomptée par Mériadech. Les documents contemporains parlent de Hervé de Mériadec au nombre des officiers de la maison de Bourgogne. Selon la chronique de Jacques de La Laing, il avoit accompagné l'expédition en Ecosse, et s'y étoit fait remarquer par ses exploits. En 1461, Louis XI lui donnoit le gouvernement de Tournai.
P. 283. Monseigneur de Thieuges, lisez Thienges. Thianges étoit la seigneurie de Chrestien de Digoine, conseiller et chambellan de Philippe le Bon. On le retrouvera dans les Cent Nouvelles nouvelles, cité comme le conteur de la nouvelle LXVIII.
P. 286, l. 7. Sa goune. Son manteau, Verard.
P. 287. La quarante-septiesme nouvelle. On a prétendu que cette aventure étoit arrivée à Grenoble, à Chaffrey Carles, président du parlement, au commencement du seizième siècle; mais la date de la nouvelle est évidemment trop ancienne pour que l'aventure de Chaffrey ait pu en être l'origine.
P. 295. Pierre David. Cet individu n'est connu que par un compte de la maison de Bourgogne, daté du 30 mai 1448, qui le porte aux appointements de 12 sols par mois.
P. 301. La cinquantiesme nouvelle. On trouve l'origine de cette nouvelle dans les Facéties de Pogge et dans l'ancienne collection italienne de Sacchetti, nov. XIV.
P. 301. Monseigneur de la Salle. Lisez, d'après le manuscrit, la Sale; ce n'est qu'une faute d'impression. Voyez sur Antoine de la Sale notre Introduction.
P. 301, l. 7. Au pays de Lannoys. Lannois, ou Lannoy, dans le Beauvoisis.
AVEC LES TITRES DES NOUVELLES ÉDITIONS DE COLOGNE ET DE LA HAYE.
TOME I.
Pages. | |||
Introduction | v | ||
Dédicace | xxj | ||
Table des sommaires | xxiij | ||
Nouvelle | I. | La médaille à revers | 1 |
II. | Le cordelier médecin | 9 | |
III. | La pêche de l'anneau | 16 | |
IV. | Le cocu armé | 26 | |
V. | Le duel d'aiguillettes | 32 | |
VI. | L'ivrogne au paradis | 38 | |
VII. | Le charreton à l'arrière-garde | 43 | |
VIII. | Garce pour garce | 46 | |
IX. | Le mari maquereau de sa femme | 50 | |
X. | Les pastés d'anguille | 56 | |
XI. | L'encens au diable | 61 | |
XII. | Le veau | 63 | |
XIII. | Le clerc châtré | 67 | |
XIV. | Le faiseur de papes, ou l'homme de Dieu | 73 | |
XV. | La nonne savante | 81 | |
XVI. | Le borgne aveugle | 84 | |
XVII. | Le conseiller au bluteau | 90 | |
XVIII. | La porteuse du ventre et du dos | 95 | |
XIX. | L'enfant de neige | 101 | |
XX. | Le mari médecin | 107 | |
XXI. | L'abbesse guérie | 114 | |
XXII. | L'enfant à deux pères | 120 | |
XXIII. | La procureuse passe la raye | 125 | |
XXIV. | La botte à demi | 128 | |
XXV. | Forcée de gré | 134 | |
XXVI. | La demoiselle cavalière | 137 | |
XXVII. | Le seigneur au bahut | 157 | |
XXVIII. | Le galant morfondu | 166 | |
XXIX. | La vache et le veau | 173 | |
XXX. | Les trois cordeliers | 177 | |
XXXI. | La dame à deux | 183 | |
XXXII. | Les dames dîmées | 192 | |
XXXIII. | Madame tondue | 204 | |
XXXIV. | Seigneur dessus, seigneur dessous | 218 | |
XXXV. | L'échange | 223 | |
XXXVI. | A la besogne | 229 | |
XXXVII. | Le bénitier d'ordure | 232 | |
XXXVIII. | Une verge pour l'autre | 238 | |
XXXIX. | L'un et l'autre payé | 245 | |
XL. | La bouchère lutin dans la cheminée | 251 | |
XLI. | L'amour et l'aubergon en armes | 256 | |
XLII. | Le mari curé | 261 | |
XLIII. | Les cornes marchandes | 267 | |
XLIV. | Le curé courtier | 270 | |
XLV. | L'Ecossois lavendière | 280 | |
XLVI. | Les poires payées | 283 | |
XLVII. | Les deux mules noyées | 287 | |
XLVIII. | La bouche honnête | 292 | |
XLIX. | Le cul d'écarlate | 295 | |
L. | Change pour change | 301 |
Tome I.
Pag. | Ligne. | ||||
14 | 33 | au lieu de | ient | lisez | tient. |
84 | 5 | — | prè set | — | près et. |
134 | 24 | — | Etainçois | — | Et ainçois. |
173 | 10 | — | a chef | — | à chef. |
173 | 19 | — | baillés | — | bailles. |
183 | 14 | — | La Barre | — | La Barde. |
229 | 26 | — | quelque | — | quel que. |
233 | 3 | — | advenues. Nostre | — | advenues, nostre. |
252 | 27 | — | veoit | — | véoit. |
275 | 7 | — | Quen | — | Qu'en. |
283 | 2 | — | Thieuges | — | Thienges. |
283 | 21 | — | l'abbesse qui veoit | — | l'abbesse, qui véoit. |
301 | 2 | — | La Salle | — | La Sale. |
La première ligne indique l'original, la seconde la correction:
Glossaire:
Ung (A l'), également, d'une manière unie. 215.
Ung (A l'), également, d'une manière unie. I, 215.
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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.